Burning Casablanca : sexe, drogue et « Marock’n’roll »
Burning Casablanca (ou Zanka Contact, selon les lieux de distribution), qui sortira en France le 3 novembre 2021, est le premier long métrage du réalisateur marocain Ismaël el-iraki. Il invite le spectateur dans une Casablanca baroque, théâtre de la rencontre entre Rajae (Khansa Batma) et Larsen (Ahmed Hammoud) : elle est une prostituée qui n’attend pas qu’on la sauve, lui un ancien rockeur exilé et rongé par l’héroïne.
Le réalisateur livre un ovni cinématographique, une fresque foutraque au rythme explosif. Il ne souhaite pas être enfermé dans la case « cinéaste arabe/africain » qui le condamnerait à un cinéma naturaliste et social ; il revendique son droit à la fiction, à un acte purement artistique. Par ce film à la facture hollywoodienne truffé de codes de série B et d’hommages à Quentin Tarantino et Sergio Leone (1929-1989), il déclare son amour au cinéma de genre.
Ismaël el-iraki nous emmène là où l’on ne l’attend pas, comme la scène de fusillade dans un ranch tenu par Rokia (Fatima Attif), une exprostituée au style de Calamity Jane berbère, qui confère à son oeuvre une dimension de « western tagine » assumée. Bien qu’il dépeigne une société patriarcale, il aspire également à renverser les stéréotypes de genre : « Rajae porte certains traits habituellement masculins, Larsen certains traits habituellement féminins. […] C’est ce qu’on cherchait avec Ahmed : donner à voir une masculinité maghrébine qui ne soit définie ni par l’agressivité ni par la tchatche […]. Un mec arabe empreint de sensualité, de sensibilité, de fêlures. »
• Hommage au rock marocain
Il souffle sur le Maroc d’ismaël el-iraki une brise seventies, punk et colorée. Les costumes incroyables, à l’image des bottes en peau de serpent de Larsen, plongent dans une Casablanca aux allures de festival folk. Le film met au premier plan l’importance du rock dans l’histoire musicale du pays, comme en témoignent les références aux séjours de Jimi Hendrix (1942-1970) et Brian Jones (1942-1969) au royaume chérifien à la fin des années 1960, et les influences qu’ils ont imprimées sur les rythmes gnawas. S’il est un groupe qui incarne sans conteste l’héritage du rock marocain depuis la décennie 1970, c’est bien Nass el-ghiwane, surnommés « Les Rolling Stones d’afrique ». Plusieurs de leurs morceaux parsèment la riche bande originale du film, amplifiée par la présence de la chanteuse Khansa Batma au casting. Ismaël el-iraki fait également redécouvrir Les Variations, dont la musique allie la guitare électrique, la batterie et l’oud, donnant toutes ses spécificités aux sonorités rock marocaines des années 1970.
La musique choisie par le réalisateur est un mélange de styles et d’histoires ; la bande originale est le coeur et l’âme du long métrage. Le « Marock » fantasmé du réalisateur dit quelque chose des complexes réalités politiques et sociales du pays, et bien qu’il ne le revendique pas, Ismaël el-iraki signe un film subtilement engagé. Son ode au rock n’est pas dénuée de dimension politique, car la scène musicale marocaine est encore un espace de rébellion. « Au Maroc, si tu es métalleux, tu peux être condamné à la prison pour satanisme : être un rockeur veut encore dire être un libre penseur », rappelle-t-il.
Ses choix de personnages archétypiques ne sont pas non plus anodins et font écho à des questions taboues au Maroc : l’importance de la prostitution et les méthodes violentes de la police durant et depuis les « années de plomb » (1970-1999). Finalement, le « personnage » le plus complexe du film reste la ville de Casablanca, sur laquelle Ismaël el-iraki livre un regard rafraîchissant et non orientaliste : rock’n’roll, irrévérencieuse, provocatrice, vulgaire, belle et violente. Jamila Fizazi