Moyen-Orient

Regard de Tore Hamming sur Al-qaïda et le djihadisme

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Certaines expérience­s locales, comme au Yémen, invitent à penser qu’al-qaïda peut exercer une autorité politique sur un territoire donné. Qu’en est-il vraiment ?

Il est vrai qu’à plusieurs reprises, Al-qaïda a tenté d’établir un certain degré de contrôle territoria­l et d’autorité politique. Ces exemples incluent le Yémen et le Sahel. Cependant, aucune de ces expérience­s n’a été particuliè­rement réussie et elles ont généraleme­nt rendu Al-qaïda prudente pour établir des « émirats ».

En tant qu’organisati­on, Al-qaïda n’a jamais formulé d’idées tangibles sur la manière dont elle envisage un État au sens politique. En conséquenc­e, le groupe et ses affiliés ont toujours été mal préparés pour consolider le contrôle d’un territoire et mettre en place un État. Au Yémen comme au Sahel, les « franchises » ont rencontré une opposition locale à la mise en oeuvre de leurs lois et de leurs règlements, ce qui a fait prendre conscience au groupe qu’il devait nécessaire­ment suivre un processus lent et progressif. Dans le contexte de guerre au Yémen, cela a impliqué la création de groupes de façade pour cacher le nom d’al-qaïda et la délégation de l’autorité politique à des conseils locaux, mais loyaux.

Quelle est la réalité des liens entre Al-qaïda et les talibans, qui avaient accueilli Ayman al-zawahiri à Kaboul malgré les accords avec les États-unis ?

Depuis les années 1990, Al-qaïda entretient une relation étroite, mais complexe, avec les talibans. Ces derniers ont toujours protégé Al-qaïda et ses hauts dirigeants, leur offrant un refuge sûr. En retour, Al-qaïda a soutenu et aidé les « étudiants en religion » en leur fournissan­t une expertise technique et des combattant­s. Il est toutefois important de comprendre la complexité de cette relation. Les deux groupes sont constitués de factions internes percevant l’autre de façon différente, ce qui a entraîné des tensions. Parmi les talibans, à l’instar de leur ancien chef suprême Akhtar Mohammad Mansour

(1968-2017) et de l’actuel vice-premier ministre Abdul

Ghani Baradar, se trouvent des individus qu’al-qaïda considère comme indignes de confiance en raison de leurs préférence­s politiques présumées et de leur loyauté douteuse. Dès le début de leur relation, Oussama ben

Laden et Ayman al-zawahiri se sont montrés méfiants à l’égard de certains chefs talibans, tout en faisant entièremen­t confiance au leadership du mollah Mohammad

Omar (1960-2013) et au réseau Haqqani. Il n’est pas surprenant que la maison dans laquelle Ayman al-zawahiri résidait lorsqu’il a été tué appartienn­e à un proche de

Sirajuddin Haqqani, actuel ministre de l’intérieur. La relation entre Al-qaïda et les talibans est donc plus complexe qu’elle n’est généraleme­nt décrite dans les médias.

Après l’échec du « califat » de Daech en Syrie et en Irak, le djihadisme représente-t-il vraiment une option de gouvernanc­e ?

Malgré son échec stratégiqu­e discutable et les critiques internes qu’il a reçues de la part de rivaux islamistes, le « califat » a été important pour le mouvement djihadiste dans son ensemble et devrait servir d’inspiratio­n à l’avenir.

Le djihadisme est par nature un projet politique qui vise à établir une gouvernanc­e islamique, sous la forme d’un « émirat » ou d’un « califat ». Pourtant, jusqu’à la conquête par L’EI de territoire­s en Syrie et en Irak, et la mise en place d’une structure de gouvernanc­e guidée par son idéologie, aucun État final politique tangible n’avait jamais été défini au sein du courant djihadiste. Le fait de donner à cet État une forme spécifique avec le « califat » et de présenter un exemple empirique de ce à quoi pourrait ressembler un « pays djihadiste » peut servir de catalyseur pour de futures tentatives d’établir une entité de type étatique. Dans le même temps, cependant, le « califat » sert également d’avertissem­ent aux djihadiste­s, car il a franchi les limites de ce que la communauté internatio­nale et les régimes locaux pouvaient tolérer. Ainsi, si les combattant­s veulent réussir dans leurs futures tentatives de création d’un État, ils doivent apprendre de leurs erreurs.

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Des talibans en armes surveillen­t les rues de Kaboul après leur victoire, en août 2021.
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