Regard de Tore Hamming sur Al-qaïda et le djihadisme
Lorsque le prédécesseur de l’état islamique en Irak s’est séparé d’al-qaïda en 2014, il a donné le coup d’envoi d’un conflit interne au sein du mouvement djihadiste pour son leadership et sa domination. Si les observateurs de ce conflit interne ont raison de conclure que son principal moteur est de nature politique, il existe des différences importantes entre les deux groupes qui ont joué un rôle dans la scission et les tensions qui en ont résulté.
Une différence essentielle réside dans la méthodologie, lorsqu’il s’agit d’établir un État islamique. L’objectif d’al-qaïda consiste à créer des entités islamiques, mais le processus pour y parvenir doit se faire étape par étape. Daech, en revanche, considère qu’il existe une obligation religieuse d’ériger et de mettre en oeuvre un État islamique le plus rapidement possible et dans son intégralité.
Sur le plan théologique, les différences sont généralement minimes mais importantes pour les acteurs eux-mêmes. Prenons l’exemple de l’excommunication (takfir). Al-qaïda a toujours été extrêmement prudente en ce qui la concerne, estimant qu’elle ne peut avoir lieu que sur une base individuelle, avec des preuves solides de l’incroyance de cette personne. Alors que L’EI n’a aucun problème pour classer des groupes entiers, voire des sociétés, en dehors de l’islam sans aucune preuve.
Quelles sont les principales oppositions entre Al-qaïda et L’EI ? Existe-t-il une « alternative » ou une « concurrence » djihadiste à ces deux mouvements ?
Comment analysez-vous la lutte antiterroriste au Moyen-orient, celle menée par les États de la région d’une part, et celle conduite par les Occidentaux d’autre part ?
Je suis assez critique à l’égard de la campagne mondiale de lutte contre le terrorisme. Le principal problème est que, qu’elle soit menée par l’occident ou par des États du monde islamique, elle se caractérise généralement par une stratégie à court terme, visant à vaincre militairement le terrorisme.
Dans de nombreux pays, dont l’afghanistan, l’irak, la Syrie et la Somalie, l’occident et les régimes en place luttent depuis des années contre le terrorisme sans grand succès, malgré les énormes ressources qu’ils y consacrent. Les campagnes militaires peuvent être une méthode pour affaiblir momentanément les groupes et réseaux terroristes et empêcher les attentats internationaux de se produire, mais elles ne contribuent en rien à résoudre l’extrémisme idéologique sous-jacent et les tensions sociales, financières et politiques qui l’alimentent. Si ces éléments ne sont pas traités, l’extrémisme persistera, voire se développera. Nous devons bien sûr être justes et dire que la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme n’est en aucun cas une tâche facile, mais se concentrer aussi fortement sur la composante militaire au lieu de s’attaquer aux mécanismes plus profonds ne constituera jamais une solution durable. L’évolution la plus récente du point de vue occidental est une désescalade des efforts mondiaux de lutte contre le terrorisme en raison de la montée en puissance d’autres programmes de sécurité urgents face aux menaces venant de Russie, de Chine et du cyberespace. Comme l’a annoncé le président américain Joe Biden (depuis 2021) dans le contexte du retrait d’afghanistan, cette nouvelle approche sera définie par une doctrine à long terme, qui repose sur le retrait des troupes au sol et l’utilisation de drones pour éliminer les cibles identifiées. Ce changement a déjà eu lieu en Syrie et en Somalie, tandis que la France suit une évolution similaire au Sahel avec la fin de l’opération « Barkhane ».
Entretien réalisé par Guillaume Fourmont et Anne Lohéac (septembre 2022)