Moyen-Orient

Leila et ses frères : censure, prison et onirisme en Iran

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Le 11 juillet 2022, Jafar Panahi se rendait au parquet de Téhéran pour suivre le dossier des réalisateu­rs Mohammad Rasoulof et Mostafa al-hamad, quand il a été mis en détention. Les deux hommes avaient été arrêtés trois jours plus tôt pour avoir dénoncé l’incarcérat­ion de plusieurs de leurs confrères et la répression contre les manifestan­ts en Iran. Alors que Leila et ses frères, de Saeed Roustaee, est sorti en France le 24 août 2022, il n’est toujours pas autorisé en République islamique, où le cinéma est une activité risquée.

Le Septième art iranien contempora­in connaît un grand succès sur la scène internatio­nale : il a été récompensé lors de nombreux festivals, a reçu les éloges de la critique et a été projeté dans plusieurs pays du monde malgré la volonté des autorités de Téhéran de s’immiscer dans la définition de son avenir. Il a atteint un niveau de qualité indéniable ; c’est également un cinéma unique, spécial, avec un contenu, une esthétique, des formes et des symboles qui lui sont propres et qui l’ont transformé en un puissant moyen d’expression pour les artistes. C’est sans doute pour cela que le régime islamique continue d’interdire des oeuvres et de punir leurs auteurs.

La censure fait partie de l’oeuvre de Jafar Panahi. C’est elle qui l’a poussé à danser entre les prohibitio­ns pour arriver à créer une image qui renvoie quelque chose de singulier et d’onirique. Depuis 2010, le réalisateu­r, à qui il est interdit d’exercer sa profession, a fait preuve d’une ingéniosit­é inégalée pour contourner la vigilance des autorités. Ceci n’est pas un film (2011) est un pied de nez au gouverneme­nt qui lui refuse l’expression de son talent. Pour

Taxi Téhéran (2015), il réduit le champ de vision en étant à l’intérieur d’une voiture avec une petite caméra cachée sur le tableau de bord. Il y en a d’autres : Jafar Panahi a ainsi réussi à tourner et à « exfiltrer » Trois visages (2018), primé à Cannes (meilleur scénario). Il semblait que rien ne pouvait l’arrêter.

La censure, la justice, le gouverneme­nt…, rien ne pouvait l’empêcher de créer et de montrer ce visage sans filtre de l’iran. Rien, jusqu’au 11 juillet 2022 : l’homme doit purger une peine de six ans de prison.

• Une femme contre sa famille

La plupart des films iraniens applaudis ces dernières années sur la scène internatio­nale sont également restés sur les écrans étrangers. Car même s’il existe des solutions pour s’accommoder des règles strictes du régime pour tourner un film, réussir à obtenir un permis de projection et de diffusion est une autre affaire. Ainsi, Le Pardon (2020), de Maryam Moqadam ; Une Séparation (2011), d’asghar Farhadi ; Au revoir (2011), de Mohammad Rasoulof, ont été bannis des salles iraniennes après avoir reçu de prestigieu­x prix. Alors que son précédent travail, La loi de Téhéran (2019) – qui aborde la toxicomani­e et la dureté (et l’absurdité) du système judiciaire, deux sujets pourtant tabous – avait

été un succès inattendu au box-office en Iran, Saeed Roustaee n’arrive pas à présenter Leila et ses frères dans son pays. Ce long métrage met en branle les valeurs traditionn­elles de la famille – donc du système en vigueur – au nom de la liberté d’une femme qui s’oppose au pouvoir des hommes, celui de ses frères, mais aussi, et surtout, de son puissant père. La menace et la pression du régime ont poussé certains metteurs en scène, comme Bahman Ghobadi, connu notamment pour Les Chats persans (2009), à choisir l’exil pour continuer à créer. Avec l’arrestatio­n de Jafar Panahi, le rouleau compresseu­r de la censure iranienne ne laisse souvent plus que ce choix à une génération de réalisateu­rs habitués à jouer au funambule pour l’éviter et pourtant déterminés à rester chez eux. E. Blanchard

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