Moyen-Orient

Tel Aviv - Beyrouth : aux frontières de la guerre

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La cinéaste Michale Boganim, connue pour son « cinéma du déracineme­nt », signe une double chronique familiale israélo-libanaise, dont les récits s’entremêlen­t et se déchirent, autour de trois chapitres charnières du conflit entre les deux pays : 1984, 2000 et 2006. Faisant de son mieux pour se prémunir du manichéism­e, elle dresse la fresque de deux destins qui se sont face dans l’espoir, l’entraide et la méfiance, d’un côté et de l’autre d’une frontière terrestre qui est le point focal du film. À coups d’allers-retours entre Tel-aviv et Beyrouth, chacun va, au fil des années, connaître joies et deuils.

Sous de faux airs de Thelma & Louise (Ridley Scott, 1991), Tel Aviv - Beyrouth s’ouvre sur le road trip de deux femmes, Tanya la Libanaise et Myriam l’israélienn­e, qui foncent en décapotabl­e, cheveux au vent, vers la frontière. Leur histoire est contée autour de trois longs flashbacks qui permettent progressiv­ement de comprendre la mission impossible qui les anime. La caméra de Michale Boganim nous embarque alors dans leurs passés respectifs, et ceux de leurs proches, dans un conflit qui semble sans fin.

Ces petites histoires fictionnel­les au coeur de la grande portent la signature d’un regard féminin, à la fois universel et singulier, sur la guerre, le patriarcat et la bêtise constante des êtres humains. Des récits où les femmes tiennent bon, soutenant tant bien que mal leurs familles (ou ce qu’il en reste) avec toute la force et la tendresse dont les affres de la guerre ne les ont pas encore dépouillée­s.

• Deux histoires, une même souffrance ?

Dans le but honorable de réunir des acteurs libanais et israéliens dans un même film, le scénario revêt des airs de fable allégoriqu­e dont la naïveté sonne parfois faux. La volonté manifeste de gommer les disparités entre deux camps qui souffrirai­ent ensemble des mêmes maux invisibili­se ostensible­ment les violences subies par un Liban envahi à deux reprises par son voisin hébreu – les deux pays n’ont jamais signé de traité de paix.

La principale valeur du film réside néanmoins dans sa mise en lumière, rare, de la question des « tsadal », ces miliciens chrétiens maronites du Sud-liban qui s’étaient alliés à l’armée israélienn­e contre le Hezbollah en échange d’armes, de médicament­s et de renseignem­ents. Ils ont surtout été actifs durant la guerre civile (1975-1990), mais continuère­nt à combattre jusqu’au début des années 2000. C’est l’histoire de la famille de Tanya, qui, à la suite du départ de l’armée israélienn­e du territoire libanais en mai 2000, se retrouve obligée de quitter son pays en urgence pour échapper à la mort certaine qui punira sa trahison. Les membres de cette communauté évaluée à quelque 30 000 personnes, oubliées de l’histoire, contraints de laisser à jamais une partie de leurs familles derrière eux, se sont réfugiés tant bien que mal dans le nord d’israël, où ils connaîtron­t la vie de parias et d’éternels citoyens de seconde zone dans une terre d’accueil qui porte mal son nom.

Les frontières s’entrebâill­ent pour la dernière fois à la fin du film, pour restituer d’un côté comme de l’autre des morts à leur terre et leur permettre d’y trouver la paix éternelle, eux qui n’ont connu dans leurs dernières années que la guerre et le déracineme­nt. Les frontières au Proche-orient ne s’ouvriront-elles à jamais que pour les disparus ? Jamila Fizazi

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