Transat retour : transport par cargo
Le Covid-19 a interrompu la plupart des années sabbatiques en cours. Et pour ramener les bateaux des Antilles, certains cargos ont exceptionnellement desservi la Bretagne en direct.
Avec des centaines de bateaux ayant transaté l’hiver dernier, les marinas des Caraïbes étaient bien remplies quand le confinement a été mis en place. Résultat : des navigants coincés au mouillage, mais aussi des propriétaires revenus en métropole en ayant laissé leur voilier de l’autre côté. Avec tous les vols pour les Antilles annulés et des assureurs peu enclins à couvrir le début de la saison cyclonique, c’est le transport par cargo qui a été la meilleure solution pour la plupart d’entre eux. Le leader du secteur, Seven Stars Yacht Transport, a même affrété un cargo « spécial Covid » pour rapatrier 47 voiliers de la Martinique à Brest, début mai. Retour sur une prestation de service méconnue et sur cette opération commando qui remet au goût du jour une option qui gagne à être étudiée. « En temps normal, nous travaillons très souvent avec les chantiers pour acheminer aux quatre coins du monde des bateaux neufs, qui sont principalement livrés à des loueurs », précise Matthieu Le Bihan, représentant de Seven Stars pour la façade atlantique et la Manche. Il est vrai qu’avec 80 % de sa production exportée, la filière française est un bon filon. De véritables lignes maritimes, appelées « voyages » dans le jargon, permettent ainsi de relier l’Europe aux USA, l’Australie et surtout les Caraïbes, sur la base d’un calendrier annuel connu de tous. Est-ouest en octobre-novembre, et dans l’autre sens au printemps. Avec ses 120 cargos dédiés à cette activité, tous équipés de leur propre grue, l’activité de Seven Stars s’apparente à une sorte de ramassage scolaire.
« La clientèle privée est venue compléter cette demande. Entre les propriétaires de voiliers de course qui veulent s’aligner au départ de toutes les régates, et les yachts à moteur dont l’autonomie n’est pas suffisante, nous avons dû répondre à de nouveaux besoins ». A travers les fenêtres de son bureau sur le port de Concarneau, on aperçoit un client type : un superbe yacht construit par JFA, sous pavillon maltais. Ce professionnel, qui a longtemps rapatrié des voiliers de la MiniTransat ou encore participé au sauvetage de Prince de Bretagne en 2014 sait de quoi il parle. Notamment quand il s’agit de multicoques. « Les multicoques sont souvent conçus et aménagés pour faire de confortables transats vers les Caraïbes… mais pas forcément pour revenir dans l’autre sens au près. Sans compter que cela nécessite du temps, une fenêtre météo et des conditions de navigation un peu plus sportives. Il y a aussi le cas assez fréquent d’une famille qui est partie pour une année sabbatique, et n’a pas forcément prévu de faire la « grande boucle ». Si certaines tentent la vente sur place, d’autres vont considérer à juste titre que le marché européen sera plus porteur, et doivent donc rapatrier leur voilier », argumente Matthieu. Dernier cas de figure : s’autoriser à explorer de nouveaux bassins de navigation sans devoir assumer de longs convoyages, parfois périlleux dans certaines zones du Globe. Le nord de l’océan Indien ou encore la mer Rouge. Et dans ce cas, l’option de confier le convoyage à un skipper professionnel n’élimine pas le danger.
Prise en charge sur l’eau
Le principe de ces cargos dédiés est de pouvoir réaliser un transfert « water to water », c’est-à-dire que le voilier est pris en charge là où il se trouve, et sera déposé là où il est at
tendu. « Nous travaillons d’ailleurs avec un réseau de skippers pour pouvoir acheminer les voiliers au point de ramassage le plus proche », explique Matthieu. Si votre catamaran est au mouillage dans une petite crique des Antilles, il sera donc convoyé vers le port le plus proche. Sous la responsabilité de Seven Stars, qui inclut une assurance intégrale dans son tarif de transport, étendue à 500 milles nautiques du point de ramassage. A l’aide de la grue du cargo, avec parfois des « écarteurs » de sangles pour les plus de 45 pieds, voire des crochets spéciaux en haut du mât, chaque voilier est ensuite calé sur des bers réalisés sur mesure. « Nous travaillons avec les chantiers qui nous fournissent les plans d’architecte de chaque modèle, pour préparer au mieux le calage », poursuit Matthieu. La répartition des bateaux sur le
Les bateaux sont grutés depuis le cargo... Avec tous les soins nécessaires.
pont, en fonction de leur encombrement et leur poids, est confiée à un « loadmaster », métier spécialiste de ce qui s’apparente à une sorte de « Tetris » géant. Quelques précautions sont prises avant le grutage : « Nous purgeons les circuits d’eau, enlevons les voiles d’avant et les pataras pour limiter les risques, même si les voiliers sont transportés mâtés », souligne Matthieu. A l’arrivée, le propriétaire est invité sur la pontée, et il est remis à l’eau aux commandes de son voilier. Mission accomplie ! Côté tarification, le coût d’une telle opération varie selon la taille, le poids, la surface occupée en pontée et, bien entendu, la distance à parcourir.
Lorsque le confinement conduit un par un les ports caribéens à fermer, Matthieu Le Bihan fait face à un fort afflux de demandes. « Cela venait de plein de pays européens, les propriétaires se sont vite passé le mot, raconte-t-il. Le transport maritime n’a pas été impacté de la même façon, tous les cargos de fret ont continué leur activité en respectant des protocoles de sécurité déjà exigeants mais encore améliorés. Aucun cas de Covid n’a d’ailleurs été déclaré à bord de nos navires ».
Opération Covid
La demande est là, car de nombreux propriétaires qui sont bloqués en Europe ne peuvent plus embarquer sur des vols commerciaux ni même accéder à leur voilier. Avec 600 bateaux à Ste-Anne et 300 en Guadeloupe, la surchauffe des ports est proche. D’où la flexibilité de la Direction de la Mer aux Antilles pour permettre aux rotations exceptionnelles de Seven Stars de désengorger la situation. Six cargos supplémentaires vont donc être mis en place. Parmi eux, celui qui va rallier Le Marin au port de Brest, après des tractations avec les Douanes, la Marine nationale et la Préfecture maritime. « Nous avons fait jouer nos relations, et notamment bénéficié d’un appui de la FIN », confie Matthieu Le Bihan. Autorisation est finalement donnée au cargo de viser Brest, mais sans manutention portuaire, faute d’effectifs. Qu’à cela ne tienne, il déchargera… dans la rade ! Avec l’aide de l’équipe d’ACV (concessionnaire Lagoon à Kernevel), vingt-deux voiliers vont ainsi être remis à l’eau dans la rade en moins de deux jours, et acheminés à leurs propriétaires qui les attendent sur le quai de la marina du Château. « Nous avons laissé les Douanes et la Brigade des stups faire leur travail, ils se sont montrés très compréhensifs », confirme Matthieu.
Une opération commando parfaitement orchestrée, qui donnera peut-être envie à des propriétaires de considérer cette option dans d’autres situations moins stressantes. « Certains nouveaux clients viennent à nous en alternative à l’option d’un convoyage par skipper. Côté coût, la différence est rarement significative, et le fait d’avoir des délais garantis est clairement rassurant. Sans compter qu’un bateau ponté sur un cargo va moins s’abîmer ou user ses voiles que s’il traverse l’Atlantique Nord entre deux dépressions, justifie Matthieu. Nous répondons juste à une demande différente ».