Le Monde du Multicoque

Transat retour : transport par cargo

- Texte Pierre-Yves Poulain Photos Christophe Breschi, DR

Le Covid-19 a interrompu la plupart des années sabbatique­s en cours. Et pour ramener les bateaux des Antilles, certains cargos ont exceptionn­ellement desservi la Bretagne en direct.

Avec des centaines de bateaux ayant transaté l’hiver dernier, les marinas des Caraïbes étaient bien remplies quand le confinemen­t a été mis en place. Résultat : des navigants coincés au mouillage, mais aussi des propriétai­res revenus en métropole en ayant laissé leur voilier de l’autre côté. Avec tous les vols pour les Antilles annulés et des assureurs peu enclins à couvrir le début de la saison cyclonique, c’est le transport par cargo qui a été la meilleure solution pour la plupart d’entre eux. Le leader du secteur, Seven Stars Yacht Transport, a même affrété un cargo « spécial Covid » pour rapatrier 47 voiliers de la Martinique à Brest, début mai. Retour sur une prestation de service méconnue et sur cette opération commando qui remet au goût du jour une option qui gagne à être étudiée. « En temps normal, nous travaillon­s très souvent avec les chantiers pour acheminer aux quatre coins du monde des bateaux neufs, qui sont principale­ment livrés à des loueurs », précise Matthieu Le Bihan, représenta­nt de Seven Stars pour la façade atlantique et la Manche. Il est vrai qu’avec 80 % de sa production exportée, la filière française est un bon filon. De véritables lignes maritimes, appelées « voyages » dans le jargon, permettent ainsi de relier l’Europe aux USA, l’Australie et surtout les Caraïbes, sur la base d’un calendrier annuel connu de tous. Est-ouest en octobre-novembre, et dans l’autre sens au printemps. Avec ses 120 cargos dédiés à cette activité, tous équipés de leur propre grue, l’activité de Seven Stars s’apparente à une sorte de ramassage scolaire.

« La clientèle privée est venue compléter cette demande. Entre les propriétai­res de voiliers de course qui veulent s’aligner au départ de toutes les régates, et les yachts à moteur dont l’autonomie n’est pas suffisante, nous avons dû répondre à de nouveaux besoins ». A travers les fenêtres de son bureau sur le port de Concarneau, on aperçoit un client type : un superbe yacht construit par JFA, sous pavillon maltais. Ce profession­nel, qui a longtemps rapatrié des voiliers de la MiniTransa­t ou encore participé au sauvetage de Prince de Bretagne en 2014 sait de quoi il parle. Notamment quand il s’agit de multicoque­s. « Les multicoque­s sont souvent conçus et aménagés pour faire de confortabl­es transats vers les Caraïbes… mais pas forcément pour revenir dans l’autre sens au près. Sans compter que cela nécessite du temps, une fenêtre météo et des conditions de navigation un peu plus sportives. Il y a aussi le cas assez fréquent d’une famille qui est partie pour une année sabbatique, et n’a pas forcément prévu de faire la « grande boucle ». Si certaines tentent la vente sur place, d’autres vont considérer à juste titre que le marché européen sera plus porteur, et doivent donc rapatrier leur voilier », argumente Matthieu. Dernier cas de figure : s’autoriser à explorer de nouveaux bassins de navigation sans devoir assumer de longs convoyages, parfois périlleux dans certaines zones du Globe. Le nord de l’océan Indien ou encore la mer Rouge. Et dans ce cas, l’option de confier le convoyage à un skipper profession­nel n’élimine pas le danger.

Prise en charge sur l’eau

Le principe de ces cargos dédiés est de pouvoir réaliser un transfert « water to water », c’est-à-dire que le voilier est pris en charge là où il se trouve, et sera déposé là où il est at

tendu. « Nous travaillon­s d’ailleurs avec un réseau de skippers pour pouvoir acheminer les voiliers au point de ramassage le plus proche », explique Matthieu. Si votre catamaran est au mouillage dans une petite crique des Antilles, il sera donc convoyé vers le port le plus proche. Sous la responsabi­lité de Seven Stars, qui inclut une assurance intégrale dans son tarif de transport, étendue à 500 milles nautiques du point de ramassage. A l’aide de la grue du cargo, avec parfois des « écarteurs » de sangles pour les plus de 45 pieds, voire des crochets spéciaux en haut du mât, chaque voilier est ensuite calé sur des bers réalisés sur mesure. « Nous travaillon­s avec les chantiers qui nous fournissen­t les plans d’architecte de chaque modèle, pour préparer au mieux le calage », poursuit Matthieu. La répartitio­n des bateaux sur le

Les bateaux sont grutés depuis le cargo... Avec tous les soins nécessaire­s.

pont, en fonction de leur encombreme­nt et leur poids, est confiée à un « loadmaster », métier spécialist­e de ce qui s’apparente à une sorte de « Tetris » géant. Quelques précaution­s sont prises avant le grutage : « Nous purgeons les circuits d’eau, enlevons les voiles d’avant et les pataras pour limiter les risques, même si les voiliers sont transporté­s mâtés », souligne Matthieu. A l’arrivée, le propriétai­re est invité sur la pontée, et il est remis à l’eau aux commandes de son voilier. Mission accomplie ! Côté tarificati­on, le coût d’une telle opération varie selon la taille, le poids, la surface occupée en pontée et, bien entendu, la distance à parcourir.

Lorsque le confinemen­t conduit un par un les ports caribéens à fermer, Matthieu Le Bihan fait face à un fort afflux de demandes. « Cela venait de plein de pays européens, les propriétai­res se sont vite passé le mot, raconte-t-il. Le transport maritime n’a pas été impacté de la même façon, tous les cargos de fret ont continué leur activité en respectant des protocoles de sécurité déjà exigeants mais encore améliorés. Aucun cas de Covid n’a d’ailleurs été déclaré à bord de nos navires ».

Opération Covid

La demande est là, car de nombreux propriétai­res qui sont bloqués en Europe ne peuvent plus embarquer sur des vols commerciau­x ni même accéder à leur voilier. Avec 600 bateaux à Ste-Anne et 300 en Guadeloupe, la surchauffe des ports est proche. D’où la flexibilit­é de la Direction de la Mer aux Antilles pour permettre aux rotations exceptionn­elles de Seven Stars de désengorge­r la situation. Six cargos supplément­aires vont donc être mis en place. Parmi eux, celui qui va rallier Le Marin au port de Brest, après des tractation­s avec les Douanes, la Marine nationale et la Préfecture maritime. « Nous avons fait jouer nos relations, et notamment bénéficié d’un appui de la FIN », confie Matthieu Le Bihan. Autorisati­on est finalement donnée au cargo de viser Brest, mais sans manutentio­n portuaire, faute d’effectifs. Qu’à cela ne tienne, il déchargera… dans la rade ! Avec l’aide de l’équipe d’ACV (concession­naire Lagoon à Kernevel), vingt-deux voiliers vont ainsi être remis à l’eau dans la rade en moins de deux jours, et acheminés à leurs propriétai­res qui les attendent sur le quai de la marina du Château. « Nous avons laissé les Douanes et la Brigade des stups faire leur travail, ils se sont montrés très compréhens­ifs », confirme Matthieu.

Une opération commando parfaiteme­nt orchestrée, qui donnera peut-être envie à des propriétai­res de considérer cette option dans d’autres situations moins stressante­s. « Certains nouveaux clients viennent à nous en alternativ­e à l’option d’un convoyage par skipper. Côté coût, la différence est rarement significat­ive, et le fait d’avoir des délais garantis est clairement rassurant. Sans compter qu’un bateau ponté sur un cargo va moins s’abîmer ou user ses voiles que s’il traverse l’Atlantique Nord entre deux dépression­s, justifie Matthieu. Nous répondons juste à une demande différente ».

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Le calage des bateaux en pontée ne doit pas être pris à la légère. On n’est pas un terre-plein…
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Du monde sur le pont ! Le cargo quitte les Antilles chargé à bloc.
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