Lagoon Sixty 5
A l’instar de son grand frère le Seventy, le petit (grand) dernier de chez Lagoon propulse le chantier dans une nouvelle ère.
Les jours précédant l’essai d’un catamaran de croisière jaugeant 48 tonnes, on se dit qu’Eole serait bien inspiré de se montrer généreux. Le « général Vent » a entendu notre appel et c’est un vigoureux 20 noeuds – rafales à 23 – qui nous attend ce 18 juin sur le plan d’eau de La Rochelle. Depuis le ponton d’accueil du port des Minimes, nous observons l’espar glisser en arrière-plan des rochers de la digue Lazaret. Culminant à près de 34 mètres, celui-ci renvoie la tour Richelieu à une aimable marque latérale. Le Sixty 5 entre dans le port et dévoile ses coques d’une livrée crème. Le moins que l’on puisse dire est que cet oiseau du large suscite les regards impressionnés des plaisanciers alentour. Imaginez : 20,55 mètres hors tout par 10 de large; il est des bateaux qui n’ont pas de mal à piquer votre curiosité. « C’est pour nous un autre monde, celui des milliardaires que nous ne connaissions pas avant le Seventy et le Sixty 5… ». C’est par ces mots que Yann Masselot dévoile le nouvel horizon du chantier. Des familles essentiellement, en quête de la trilogie autonomiestabilité-équipage réduit. Le vent d’ouest nous plaque au ponton. Affranchir une telle masse, un tel fardage ne semble pas chose aisée. Et pourtant, combiné à l’emploi des moteurs, le propulseur en tunnel logé à l’avant de la coque tribord fait de l’appareillage une formalité. Côté moteurs justement, deux D4 Volvo 175 ch propulsent le Sixty 5.
Objectif avoué en vitesse de croisière à 2 200 tours : 9,9 noeuds. A 2 800 tours, ou « full speed », la vitesse de l’engin est donnée pour 11 noeuds. Les mesures effectives de consommations restent à faire mais nul doute que la clientèle, essentiellement venue de l’univers des motor-yachts, ne s’offusquera pas de leur niveau.
Le chenal dans le sillage, nous n’avons guère le temps d’investiguer les 90 m2 d’espace vie que nous réalisons être sous voiles. Outre l’insonorisation de grande qualité, c’est la
Pont en teck et bain de soleil côtoient un accastillage et des voiles de qualité.
confirmation de l’un des avantages d’un catamaran de 65 pieds : nonobstant les dix personnes embarquées, on peut à tout moment avoir l’illusion d’être seul à bord ! Nous quittons le havre de paix du cockpit et gagnons les hauts par un escalier en teck élégamment courbé. L’arrivée sur le flybridge est émoustillante : en avant d’un second salon de pont où l’on se verrait bien rêver des nuits durant, deux barres de belle facture et toute l’électronique digne d’un voilier océanique captent le regard. Au centre, une batterie de winches surdimensionnés régule l’ensemble des manoeuvres. Le vent apparent avoisine les 21 noeuds. A 80° du vent réel, sous grandvoile à un ris et trinquette, le Sixty 5 affiche un honorable 7,9 noeuds. L’équipage en redemande et les membres du chantier ne sont visiblement pas rassasiés de leur nouvelle monture. Le ris est largué et le génois vient apporter un supplément de puissance. Le speedo renseigne désormais la vitesse de 9 noeuds. Nous observons au passage la remarquable coupe des voiles, performance d’autant plus notoire qu’Incidences – prestataire de longue date du chantier – équipe là le numéro 1 de la série. Une autre bonne surprise nous attend : à la barre, le bateau est somme toute vivant. Après quelques réglages de la transmission hydraulique, celle-ci sera plus agréable encore. Nous pensions naviguer depuis cinq minutes mais la silhouette grossissante du fort Boyard nous rappelle que confort et vitesse font ici bon ménage.
Génois roulé, profitant de son inertie, le Sixty 5 vire comme à la parade. Un bord lofé en direction de l’île de Ré nous permet enfin de déployer le code 0 et de « redescendre » sur La Rochelle à plus de 11 noeuds.
Une production toujours plus importante
Elle semble loin l’époque où l’apparition dans un port du rondouillet Lagoon 37 faisait sensation sur les pontons… CNBLagoon est depuis longtemps abonné aux grands catamarans. Avec le Sixty 5 et son pendant le Seventy, le chantier tutoie désormais les très grands. Le développement de la marque à deux coques est tel que les monos CNB sont depuis peu produits à Trieste, en Italie, laissant à l’usine de Bordeaux la place nécessaire à une production toujours plus importante. Jugez plutôt : 1 100 personnes officient aujourd’hui quai de Brazza. Concernant le Sixty 5, à raison de dix exemplaires produits par an et vingt vendus à ce jour, l’incroyable pari prend déjà des airs de succès. La prouesse est d’autant plus remarquable que la concurrence est féroce avec le chantier Fountaine-Pajot et, dans une moindre mesure eu égard au volume de leur production, le chantier Privilège Catamarans et le Polonais Sunreef. Interrogé sur l’avantage comparatif de son dernier-né vs l’Alegria 67, Yann Masselot nous répond en souriant : « C’est une affaire de goût ». Pour un argumentaire technique et commercial, nous repasserons. Au-delà des goûts et des couleurs, on se prend à rêver d’un test grandeur nature entre les frères jumeaux français. Les conditions étaient en effet idéales le jour de notre essai mais quid du superbe oiseau de mer quand Eole se fait moins vigoureux ? Les 15 tonnes (et 40 m2 de surface de voiles) en moins de l’Alegria seraient-ils gage d’une pratique plus fréquente de la voile ? Une certitude demeure : CNB-Lagoon prétend fort légitimement étancher la soif d’iode des milliardaires. Trois fois hélas, le chantier ne nous a pas révélé comment on le devenait…●
Sur le pont
Sur le pont, une multitude de détails soulignent le soin apporté à ce catamaran d’exception. Le teck gris, le cockpit avant de belle dimension, le trampoline au maillage fort agréable pour des pieds nus, le chemin du mouillage dissimulé sur la poutre et facilement accessible, le sentiment de sécurité inhérent à la hauteur des filières ainsi qu’à l’échantillonnage des chandeliers, tout concourt au cahier des charges du chantier : le grand large avec luxe à tous les étages. Véritable pièce à vivre, le cockpit impressionne par ses volumes et sa capacité à accueillir sans sourciller une douzaine de personnes. Autre lieu de détente, l’assise transversale en arrière de la nacelle se pratique face à la route ou côté sillage. Perchée au-dessus de l’eau, la plateforme hydraulique tient le tender à l’écart des vagues. C’est en entamant la procédure d’avant-retour au port qu’une telle unité révèle ses contraintes. Outre la machinerie complexe qu’il convient de savoir entretenir au long cours (groupe électrogène, climatisation, électronique et divers réseaux…), l’affalage de la grand-voile est un travail de titan et son ferlage sur la bôme rigide ne l’est pas moins.
En comptant la plateforme immergeable, pas moins de trois niveaux où se détendre au mouilllage.
Nacelle et coques
De retour au port, nous parcourons une dernière fois l’intérieur. A lui seul, le carré est une invitation au voyage. Un voyage connecté sur la mer auquel les boiseries en chêne gris brossé et la sellerie de cuir blanc apportent une touche chaleureuse. La profusion d’éclairages à LED (chauds) renforce le côté « home sweet home ». A tribord, la table à manger accueille huit à dix convives et le coin apéritif qui lui fait face n’est pas en reste. C’est avec horreur que nous réalisons que nous foulons la molletonnée et immaculée moquette chaussés de nos souliers ! Dans cette version, la coque tribord est le coin de paradis du propriétaire. Implantée en son milieu, la cabine, ou plutôt devrait-on dire la chambre, s’y taille la part du lion. Cependant, l’agencement et la modernité de la salle de bains rendent cette dernière digne d’une maison d’architecte. Seul bémol, les rangements semblent minimalistes pour qui souhaite faire de ce bateau un lieu où la vie prend ses quartiers. Nul doute que le bureau d’études saura tendre l’oreille au propriétaire désireux d’accroître ces volumes. A noter qu’à l’instar des autres secteurs du bateau, la cabine jouit d’une sonorisation high-tech, fruit d’un partenariat avec le fabricant français Waterfall. Sur l’arrière bâbord, accessible depuis le cockpit comme depuis la coursive, nous découvrons une cuisine surprenante. L’électroménager dernier cri s’y trouve naturellement à profusion mais ce sont la luminosité et une atmosphère hautement cosy qui frappent le visiteur. Pourvue d’une table à manger capable de recevoir aisément quatre personnes, cette pièce allie fluidité et prise directe sur la mer grâce aux généreux hublots qui l’entourent. Une version « cuisine centrale » est également proposée par le chantier, cette dernière occupant alors le coin apéritif situé à bâbord du carré. Selon que l’emplacement de la cuisine se situe en haut ou en bas, des agencements à quatre, cinq et six cabines permettent de répondre à tous les programmes.