Marc Thiercelin
Voyageur du Monde
Marc Thiercelin a troqué son habit de skipper pour celui de voyageur du Monde. Pendant quatre ans, il est allé à la rencontre des peuples marins des cinq continents. Un voyage ethnologique filmé pour Arte et sur lequel les éditions Glénat reviennent en textes et en images. Nous avons demandé à Marc de commenter quatre images fortes de cet enrichissant périple.
Les Kanaks
LE PREMIER CONTACT fut catastrophique. Nous étions les touristes. Puis j’ai rencontré le chef du clan. Nous sommes restés côte à côte, dans le silence, à regarder la mer un long moment. Il y a eu ce dialogue lapidaire : « C’est toi qui vas naviguer avec nous ? - Oui. - C’est bien. » En Nouvelle-Calédonie, les Kanaks sont fiers, taiseux, parfois rugueux, un peu comme chez moi en Bretagne... Ensuite nous sommes allés couper un pin colonnaire pour construire une pirogue, appelée « béérëwè ». Le choisir, le creuser, l’extraire de la forêt. L’embarcation a bien failli disparaître. Mais les touristes et la nécessité de les « promener » dans la lagune l’ont indirectement sauvée.
Les Jangadeiros
LA PREMIERE FOIS que j’ai vu un Janga, j’étais en course sur l’étape Charleston-Cape Town de l’Around Alone (1999) au large du Brésil. Je filais à 20 noeuds dans une mer vraiment très formée et tout à coup j’ai l’ai vu au creux d’une vague : ce mec était là, debout, avec une glacière à ses pieds et un bout de torchon en guise de voile ! Les gars vont vraiment très loin au large, et pour se reposer ils se glissent et s’enferment à quatre à l’intérieur de la coque, là même où ils stockent leur pêche... J’avais été impressionné à l’époque, alors discuter et naviguer avec eux fut incroyable. D’autant que parmi les trente peuples rencontrés, c’est le seul qui navigue autant pour le travail que pour le plaisir. Ils sont comme des dingues en régate !
De vrais marins : durs au mal et compétiteurs.
Les Vézos
ILS MIGRENT en famille huit mois sur douze, leurs embarcations chargées de riz et de sel. Chaque soir loin de leur base, ils déchargent et sèchent leur pêche sur la plage. Comme souvent à Madagascar, ces marins sont très jeunes, mais ils naviguent de jour comme de nuits guidés par les étoiles, comptant mentalement les jours passés en mer pour estimer leur route. Une belle rencontre, mais il faut gagner leur confiance : après une longue navigation j’ai deviné la présence sur l’horizon d’un banc de sable grâce à la colonne d’air sec qui s’en dégageait (comme pour les icebergs). Il a fallu ça pour être accepté.
Les bateaux lune
ILS SONT MAGNIFIQUES, avec une ligne vraiment très belle. Des six voiliers construits pendant ce tour du monde des Peuples des Mers c’est le plus beau. Cette double étrave millénaire leur permet de passer la barre qui sévit ici au bout du Bangladesh, près de la frontière birmane. A bord, dans le bruit assourdissant d’un moteur souvent antédiluvien, une dizaine de pêcheurs part au large affronter la haute mer mais surtout la piraterie omniprésente. Il ne faut pas se fier à l’entraide que l’on observe sur la plage lorsqu’une ribambelle d’enfants aide à la mise à l’eau de ces bateaux lune. Ici plus qu’ailleurs, la vie est rude, à la merci d’une journée sans poisson, d’un fonctionnaire corrompu ou d’un acte de piraterie.