Le Monde du Multicoque

Pohnpei L’île de la cité oubliée

- Texte et photos

Nan Madol, mystérieus­e cité lacustre du siècle, s’étiole dans l’indifféren­ce sur l’île de Pohnpei, en Micronésie. Si les habitants ont oublié leur histoire, ils n’en ont pas moins gardé leur tradition d’accueil.

Mon voisin de table me passe le bol en noix de coco. Comme lui, je ferme les yeux et porte à mes lèvres ce liquide grisâtre. La gorgée est terreuse, âpre et visqueuse. Je réprime comme je peux la grimace qui me vient malgré moi et tends le bol au suivant. Je viens de boire mon premier sakau, cette racine issue du poivrier sauvage que l’on concasse avec de l’eau depuis des siècles sur une grande pierre plate. Ainsi, je participe à la tradition ancestrale avec les insulaires qui la consomment quotidienn­ement le soir. Elle est très prisée dans le Pacifique Sud, plus connue sous le nom de kava. Par ses vertus apaisantes, la boisson unit les personnes qui la partagent. Les effets m’apparaisse­nt dès les premières gorgées, estompant la barrière de la langue. C’est par cette tradition d’accueil que je renoue avec les premiers marins débarqués sur l’île de Pohnpei, en Micronésie. L’Irlandais James O’Connel raconte, dès 1830, son passage sur ces îles.

Sauvé par la danse !

Après son naufrage lors d’une campagne de chasse à la baleine, il est recueilli par des tribus cannibales et échappe à une mort quasi certaine grâce à ses talents de danseur. De retour aux Etats-Unis, il rapporte ses années passées en terre indigène et révèle surtout sa découverte : Nan Madol, une cité lacustre mystérieus­e et désertée, tout droit sortie d’un lagon, aux murs si hauts et si épais qu’ils résistent à la furie des typhons, à la frappe de l’océan. Pour preuve, il exhibe les tatouages dont il est couvert de la tête aux pieds, initiation infligée par la tribu qui l’a recueilli. Mais rien n’y fait, l’Irlandais qui se produit dans un cirque n’est pas pris au sérieux. Une cité immuable bâtie par des hommes à moitié nus ? Inconcevab­le pour l’époque. Cet édifice majeur sera pourtant considéré plus tard comme étant l’un des plus grands mystères qui entoure une civilisati­on au même titre que les moaïs de l’île de Pâques ou les forts de l’île de Rapa, en Polynésie française.

Depuis la profonde baie de Kolonia, capitale située au nord de Pohnpei où résident la plupart des 50 000 habitants, je franchis la large passe, porte sur l’océan. Deux immenses thoniers chinois étendent leurs filets démesurés sur la manne des Ponapéens. Profonde amertume… Je navigue le long du récif corallien par l’est et couvre assez vite les 20 milles pour accéder à une autre entrée du lagon qui m’ouvre l’accès sur Nan Madol que je ne distingue pas encore. Jeter l’ancre ici n’est pas simple : les têtes de corail affleurent de toutes parts, le fond est accore et aucun îlet ne me protège du fort vent dominant qui ne s’essouffle que le soir. Aux alentours aucun village, aucune trace de vie. Du mouillage, la cité lacustre est invisible. Patience. Il faut attendre la marée haute pour s’engager en annexe dans ses veines, se frayer un chemin

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A 34 ans, Charlotte s’imprègne de chacune de ses escales, comme ici en Micronésie.

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