MX Magazine

L’extra aterrestre

- Par Pascal Haudiquert

Aujourd’hui considéré comme l’un si ce n’est le meilleur rider FMX au monde, Tom Pages vient de boucler une saison historique après avoir notamment décroché quatre médailles dont deux d’or aux X Games. À 33 ans, Tom est au sommet de son art et ce bourreau de travail n’entend pas en rester là. Rencontre avec l’extraterre­stre le plus humain qui soit !

Nous sommes à Amneville pour le dernier SX de l’année, ce qui marque la fin de saison des pilotes de SX. La trêve hivernale existe aussi pour un rider FMX ? « C’est la fin de saison pour moi aussi car il faut couper à un moment, et puis les fêtes de Noël arrivent et si je ne coupe pas, cela va être compliqué avec mes parents qui aiment bien cette période-là ! Mais pour moi, c’est toujours long car cela veut dire plusieurs jours sans faire de moto. (rires) Mais oui, je coupe jusque début janvier. Un petit break hivernal. Dans tous les cas, c’est une période compliquée pour s’entraîner car il ne fait pas très beau dehors et les conditions météo sont hyper importante­s pour moi. Il ne faut pas d’humidité, pas de gras, contrairem­ent au cross où si l’on est motivé, on peut rouler dans la boue. » La trêve pour toi c’est comme pour un crossman, on se lâche un peu après une saison de privations ? « Moi, j’ai des breaks réguliers tout au long de l’année en fonction des contests. Donc je n’attends pas la fin de l’année pour me relaxer ou faire autre chose. La période hivernale est la plus compliquée car c’est celle où l’on essaye de rentrer de nouvelles figures. Ce sont des choses nouvelles donc il y a de l’inconnue, du risque, c’est vraiment la période la plus difficile. »

Ton début de saison 2019 est déjà programmé? « Je pense que ce sera, si tout se passe bien, une démo lors du supercross de Herning au Danemark début février, ce qui fait que je vais rater l’enduropale du Touquet qui est trop près de ce SX en matière de calendrier. J’adore rouler dans le sable, mais c’est impossible pour moi d’y poser les roues alors qu’une semaine plus tard je dois faire une démo, c’est trop dangereux. »

Pourquoi venir faire une démo à Amneville dans un espace où tu ne peux pas rentrer de gros tricks ? Tu as besoin de vibrer avec le public ? « Le contact avec le public, déjà, c’est une des raisons pour lesquelles je fais ce sport. Ça m’attire, c’est un besoin. Mais venir ici, c’est aussi parce que cela me permet de rouler. C’est un tout et comme en période hivernale, c’est difficile de s’entraîner, de tels contests me permettent de rester en jambes et de performer. »

On peut performer dans une salle comme le Galaxie ? On prend du plaisir ? « Avant de venir ici, j’ai eu la chance de rouler au SX de Barcelone, de Lyon, au Nitro Circus où il y avait beaucoup de rampes ce qui signifie

« Je vis dans un bungalow depuis presque deux ans. Le budget est passé dans le garage et le bac à mousse… »

pas mal de risques aussi. En venant ici, je savais qu’il n’y aurait qu’une rampe “normale”. Je me suis dit qu’il y aurait peut-être moins de fun mais en fin de compte, j’ai besoin parfois d’apprécier la démo et pas de la vivre avec la pression. »

Tu as fait des courses de vitesse, du sable, tu as déjà roulé en SX ? « Non, non, non, ça sort de mes compétence­s ! Ce que font les gars sur un SX, c’est extraordin­aire, je serais incapable de faire ce qu’ils font. Ça m’est déjà arrivé de rouler sur une piste de SX, sur une piste “propre”, mais faire çà pendant 15-20 minutes à bloc sur une piste qui évolue à chaque tour, c’est impossible pour moi. Il y a un gros gros niveau dans le SX français, je suis pote avec beaucoup de pilotes et je sais combien c’est difficile. »

Pourquoi le FMX plutôt que le MX ou le SX ? « Ça vient de notre cursus à Charles et moi. On a commencé par le BMX il y a bien longtemps et passer du BMX au cross comme Gautier Paulin, c’est pas évident. Pour moi le BMX, c’était déjà les sauts, et quand j’ai fait mes premiers pas à moto en ligue des Pays de la Loire, je prenais plus de plaisir à faire des figures sur les tables qu’à essayer de gagner ! C’était plus difficile d’aller vite que de sauter et c’est pour ça qu’on s’est dirigé vers le FMX. »

Tu sors d’une grosse saison. Peutêtre la meilleure de ta carrière ? « J’ai fait une belle saison, une très belle saison ! Deux médailles d’or, deux d’argent, c’est le top. J’avais déjà été médaillé sur les Red Bull X Fighters, mais pour moi les X Games sont encore plus représenta­tifs car j’ai grandi avec ça. Les X Fighters n’existaient pas quand j’ai découvert le freestyle à la télé. C’était l’époque Metzger, Pastrana, et gagner cette médaille aux X Games c’est un peu comme gagner une médaille aux Jeux Olympiques. C’est une consécrati­on et pour moi, cela récompense douze ans de travail. »

Les X Games, c’est un peu comme le SX US pour un pilote français, on en rêve ? « C’est un peu ça car on idéalise les États-unis et aujourd’hui, dans le freestyle, on a presque réussi à vaincre les Américains puisqu’ils ne sont plus présents sur les contests. Il reste Pastrana qui est proche de la retraite et qui performe encore, mais pas sur les contests. »

Tu voyages beaucoup, tu aimes découvrir de nouveaux pays, de nouvelles cultures ? « J’aime bien voyager, mais vu que mon rythme de vie c’est l’entraîneme­nt quasi quotidien, dès que je suis arrivé quelque part, j’aime bien rentrer le plus vite possible. »

C’est quoi une semaine normale de Tom Pages ? « En pleine saison, c’est moto tous les jours, matin et après-midi. Les journées les plus longues sur la moto, c’est l’hiver, parce que je vais tester plein de nouvelles choses pour préparer de nouvelles figures. On va dire qu’en saison, c’est la qualité, en hiver, la quantité. »

L’hiver tu en parlais, c’est la période où tu travailles de nouvelles figures ? « Exactement. C’est la période où l’on découvre de nouvelles figures, et au fur et à mesure que les premières compétitio­ns vont approcher, je vais revenir sur mes acquis et les travailler à nouveau. C’est important parce qu’il y a plus de risques et qu’il faut donc viser la perfection car si blessure il y a, on perd du temps. Les deux semaines précédant une compétitio­n, je ne fais que de la répétition d’acquis, c’est très monotone. C’est un peu lassant, mais c’est ce qui permet de durer dans le temps. »

Comment ça se passe la genèse d’une nouvelle figure ? « Avant, c’était un peu plus simple car il y avait plus de choses à faire. Aujourd’hui, c’est plus difficile car je ne suis pas vraiment un nouveau dans ce sport et vu que j’arrive sur la fin de carrière, beaucoup de figures existent déjà. J’ai un peu de mal à innover, du coup je fais aussi évoluer certaines figures. Ce qui est difficile, c’est de créer des mouvements qui n’existent pas. J’essaye d’y travailler, mais j’ai un peu de mal. »

Pourtant tu es une référence en matière d’innovation dans la mesure où tu n’as jamais copié tes rivaux mais apporté de la nouveauté ? « C’est ce qui m’a permis de tenir dans le sport, ce qui m’a permis de progresser, d’évoluer et d’aller à l’entraîneme­nt tous les jours. Je fais beaucoup de sacrifices pour mon sport, avec un rythme de vie assez difficile. »

C’est quoi ton moteur aujourd’hui? Le fun ? L’adrénaline ? Les médailles ? « Il y a plein de choses. Ça commence par le fait que plus je vieillis, plus je me rends compte que c’est un privilège de vivre de sa passion et de bien gagner sa vie en faisant ce que j’aime. Le moteur aujourd’hui, c’est que j’ai réussi à toucher la perfection dans mon sport et j’ai réussi à gagner. Je pense que ce qui me pousse à repartir, c’est la victoire. La compétitio­n n’est pas ce que j’aimais le plus mais aujourd’hui, je me rends compte que de voir le résultat d’un travail acharné en décrochant une médaille, cela n’a pas de prix. »

Ce doit être compliqué de toujours essayer de faire mieux ? « C’est ma grosse difficulté et c’est pour ça qu’aujourd’hui j’accepte mieux la victoire qu’avant. Quand j’ai gagné ma première médaille aux Red Bull X Fighters en 2013, pour moi c’était terminé… Il a fallu travailler avec ma psychologu­e du sport pour trouver d’autres objectifs parce qu’il y a un moment, je me disais “mais qu’est- ce qu’il y a après ?”. Aujourd’hui je me dis, ça va être la même chose, mais encore mieux. Et c’est presque encore plus “challengea­nt” de se dire que je suis vieux dans le sport et que je peux encore performer. Quand je suis arrivé dans ce sport, on me disait toi le jeune, et aujourd’hui on ne me le dit plus. » (rires)

Une nouvelle médaille forgerait encore un peu plus la légende Tom Pages ? « Légendaire, je ne sais pas. Pour moi, je suis la même personne depuis mes débuts. Ce n’est pas parce que je fais de la moto que j’ai changé. La seule chose importante, c’est le travail. J’aime ça, j’aime sacrifier ma vie pour atteindre mon objectif. Ça me plaît. »

En MX ou en SX, il y a un chrono, une ligne d’arrivée. En FMX, vous dépendez d’une note, d’un juge. Ce n’est pas difficile à accepter? « C’est difficile parce que tu ne sais jamais vraiment qui est le meilleur en fait. Tu peux faire une belle perf qui ne ressemble pas du tout à celle des autres concurrent­s. C’était un peu

plutôt timide. J’essaye de donner une image positive du sport moto car c’est vrai qu’aujourd’hui, les sports mécaniques n’ont pas trop le vent en poupe avec l’écologie. »

Tu as parlé des blessures, des risques. Vous en prenez beaucoup? « La blessure, c’est un risque qui existe comme dans n’importe quel sport. Je pense que je prends moins de risques qu’un mec qui roule à fond de cinq et qui découvre quand il arrive au freinage qu’un trou qui n’existait pas au tour précédant s’est formé. Moi, il n’y a rien d’aléatoire dans mon sport. Si je me blesse, cela peut signifier fin de carrière ou perdre un an. Le stress, le plus gros qu’on a tous, c’est l’échec. Il y a trop de travail pour pouvoir accepter un échec. »

Quand on est la tête en l’air, dans l’espace, cela doit être compliqué de savoir où on est et ce qu’on doit faire dans la seconde qui suit? « Non, parce qu’on a tellement répété la figure qu’on la maîtrise. Ce sont des fractions de seconde, on n’a pas le temps de réaliser. En fait, tout se déclenche quand on décolle sur la rampe. Après, on ne voit plus que la réception. 80 % de la figure se fait dans la rampe. »

Tu es un solitaire, c’est un choix ou une obligation? « C’est parce qu’à un moment, le rythme de vie que je m’impose fait que je n’ai le temps de voir personne, si bien que je me renferme sur moimême. Mes amis, je les vois rarement. Les sorties, j’en fais pas. Voir du monde, c’est aussi perdre du temps. Quand je me retrouve sur les compètes, c’est tellement cool, je pense que je vis un truc exceptionn­el ! »

Tu as 33 ans, un âge où bien souvent un crossman a raccroché. En FMX, il y a une limite d’âge ? « Non, pas vraiment. J’ai commencé le sport à 20 ans. C’est sans doute pour ça que je dure. À 33 ans, je reste motivé. Je ne dis pas que je vais continuer à aller chercher des médailles pendant des années mais tant que j’ai le niveau et que je me fais plaisir, pourquoi arrêter ? »

Tu as roulé au Bol d’argent, au Touquet, ça te branche de pratiquer d’autres sports ? « J’aime bien tous les sports sur deux roues, j’adore la vitesse et j’ai une R6 à la maison. Le Touquet, j’aime beaucoup mais le souci, c’est que je n’ai le temps de rien faire. J’adore sauter en parachute avec un pote de chez Red Bull. Je m’autorise quelques sorties. Cette année, j’ai fait un saut en parachute, je suis allé une fois rouler sur un circuit de vitesse, mais du cross, je n’en ai pas fait une fois. Une fois que j’aurai arrêté, j’aurai plein de trucs à faire! À la fin de ma carrière, j’aimerais continuer le sport. Je ne sais pas où ça ira mais sur deux ou quatre roues, j’ai envie de continuer à performer. »

Quatre roues aussi? « Un peu. J’ai mon buggy 1000R de chez Yamaha que je sors (rarement) quand j’ai un peu de temps et je suis allé rouler deux fois dans la Coupe Peugeot 208, un truc super excitant car tu arrives dans une discipline où tu te retrouves face à des mecs qui maîtrisent un max. Tout ce qui est challenge, ça me plaît ! »

Parle-nous un peu de ton nouveau spot d’entraîneme­nt ! « Je suis parti habiter en Espagne en 2017 pour trouver un peu plus de soleil l’hiver pour pourvoir rider. Jusquelà, chaque début de saison, j’arrivais un peu juste face aux Australien­s qui ont eu tout l’été chez eux (l’hiver chez nous) pour se préparer. J’ai trouvé une maison avec beaucoup de terrain, et aujourd’hui, quand je sors de la maison, j’ai mon bac à mousse qui est à 50 mètres. C’est du rêve ! »

Je me suis laissé dire que tu as mis plus d’argent dans les rampes, le bac à mousse que dans la maison? « Oui. Je vis dans un bungalow depuis presque deux ans. Le budget est passé dans le garage et le bac à mousse. J’ai mes rampes à moi, mon bac à mousse est bien spécial (15 m x 11 m, rien que les mousses ont coûté 30 000 €!). Je fais tout. Dans mon garage, il y a 20m2 pour les motos et 100 m2 pour construire mes rampes. J’ai appris la soudure quand j’ai débuté dans ce sport, ça me plaît beaucoup et je développe même certaines pièces spéciales pour mes motos. Je soude le TIG, la baguette, l’alu, je m’amuse ! Tout ça, ce n’est pas du travail pour moi, c’est du bricolage ! »

C’est ton spot exclusif? « Les collègues sont les bienvenus, même si tout le monde a son terrain et ses rampes. Si des potes viennent rider chez moi, c’est avant les compètes, je sais qu’ils n’auront pas le temps de copier donc ça ne me dérange pas. »

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