L’île du silence
A trois milles du vieux port de Cannes, Saint-Honorat est une oasis de sérénité dans un pur écrin de nature provençale. Un joyau préservé et soigneusement entretenu par les moines cisterciens de l’abbaye de Lérins.
Le port des Moines est le seul abri sur l’île de Saint-Honorat. De forme circulaire et d’environ 50 m de diamètre pour une profondeur d’à peu près 1,50 mètre, il peut accueillir une dizaine de petites embarcations. Pour modeste qu’il soit, ce port offre une place de choix pour notre Expression 32. Dans la chaleur de l’été naissant, sous un ciel éclatant, nous empruntons l’une des allées qui traverse l’île vers l’abbaye de Lérins, ombragée de majestueux pins parasols et pins maritimes, et bordée d’oliviers centenaires. Seuls le chant puissant des cigales et les senteurs multiples de la nature surchauffée nous accompagnent sur le chemin de terre poussiéreux. A l’entrée de l’abbaye, frère Marie, l’un des vingt moines qui composent la congrégation, nous reçoit pour évoquer ce lieu si particulier chargé d’histoire, mais aussi pour nous parler du vin qu’ils produisent depuis 1990, et dont la ré- putation s’étend dans le monde entier, du Japon aux Etats-Unis. En oenologue averti, frère Marie règne sur ce domaine viticole de 8,5 hectares, qui produit 30 000 bouteilles de vin rouge et blanc par an.
Cinq minuscules terroirs sur l’île
Les preuves de l’existence du vignoble sur Saint-Honorat remontent au Moyen-Age, mais il est fort probable que la vigne était déjà présente dans l’Antiquité. Les terroirs occupent le centre
de l’île, répartis en cinq clos et micros terroirs, bénéficiant d’un ensoleillement exceptionnel, d’un sol calcaire et argileux et de la présence de l’air marin et d’une source d’eau douce. Le vignoble actuel est récent, mais s’inscrit dans une histoire où le temps monastique de l’île est rythmé par les soubresauts des révolutions, des guerres et des grands changements sociétaux. Après la Seconde Guerre mondiale, le vignoble tombe en désuétude, remplacé petit à petit par la culture de la lavande et celle des oliviers. En 1990, il ne reste qu’un hectare de vigne lorsque les moines décident de relancer le vignoble. Ils défrichent, replantent, étudient les techniques modernes auprès des meilleurs maîtres de chais dans le respect de la nature, perpétuant une culture naturelle sans chimie, qui obtient un authentique label bio. Les moines ne sont pas hors du temps, et utilisent les technologies les plus modernes pour travailler le vin, avec des cuves en inox climatisées, des engins mécaniques pour traiter les sols, des pressoirs pneumatiques. Ils limitent volontairement le rendement. Le résultat est un vin d’exception, qui a été servi entre autres aux chefs d’Etats lors du dernier sommet du G20 et au jury du festival du film de Cannes. Il est présent aussi sur la carte de l’Elysée et de Matignon, mais cette excellence a un prix et la première bouteille débute à 33 euros.
La journée commence à 4h30
Les moines de Saint-Honorat appliquent la devise de leur ordre, «Ora et labora» : «Prie et travaille». Ils se lèvent à 4 h 30 du matin, se couchent à 20 h 30, et leur journée de travail est ponctuée par sept offices religieux ; ce sont les seuls habitants permanents de l’île. Saint-Honorat est ouverte au public (une tenue et un comportement décents sont requis) qui peut visiter certaines parties de l’abbaye ainsi que l’ancienne abbaye fortifiée dont le donjon domine l’île et les alentours, offrant un point
de vue exceptionnel. Les visiteurs peuvent également déjeuner à l’ombre de La Tonnelle, un restaurant appartenant à l’abbaye, ou partager la vie de la communauté au travers de séminaires ou de retraites qui accueillent 2 500 personnes par an pour des séjours de 3 à 7 jours. Les moines sont aussi propriétaires d’une compagnie de navigation dont les trois navettes assurent le transport de passagers entre Cannes et l’île. Cette communauté discrète mais très active vit dans notre monde contemporain et en utilise les outils, mais avec une approche religieuse qui en fait toute la différence.