Ancetile en Sicile
Depuis 2011, Philippe et Geneviève sillonnent la Méditerranée à bord d’Ancetile. Après Minorque, les Cyclades, la Sardaigne et Malte, le cap est mis sur la Sicile et les mythiques îles Eoliennes. Une croisière mémorable en dépit des aléas de la météo.
Infatigables navigateurs, nos amis belges de Ancetile, un GB 48 MY, ont exploré l’est de la Sicile, jusqu’aux îles Eoliennes, avant de rejoindre Raguse, leur port d‘attache.
Retardés par diverses mésaventures, nous quittons Raguse pour de bon le 21 juillet, en direction de Syracuse, sur la côte est de la Sicile. Rien à signaler. La mer est belle et les conditions sont idéales sauf qu’au large de Pozzallo, un patrouilleur de gardecôtes nous fait signe de stopper. Contrôle des papiers, rien de bien méchant, mais il manque la dernière attestation d’assurance... Finalement tout s’arrange après discussions et nous pouvons enfin démarrer notre navigation 2017 ! Elle va être courte, moins de deux mois. Le rêve des îles Éoliennes que nous avions prévu de décou- vrir tranquillement, s’éloigne peu à peu compte tenu de la surfréquentation en cette période et des prévisions météo peu encourageantes. Nous espérons tout au plus pouvoir y faire une «vuelta» et repérer ainsi le programme de navigation du printemps prochain. Ce soir mouillage dans le creux de la baie de «Fontane Bianche» un peu avant d’arriver à Syracuse où nous serons demain en milieu d’après-midi. Vite la baignade ! Enfin une eau limpide à 27°, la plus belle des récompenses après huit heures de route. Une fois de plus, nous confirmons la précision des fichiers météo du site Lamma Rete qui annonçait un vent de sud-ouest de force 6 en rafale une
bonne partie de la journée. Nous quittons le mouillage de «Fontane Bianche» sans regret en milieu de matinée car déjà les sonos des hôtels vocifèrent à tue-tête. Aux abords de Syracuse, nous demandons l’autorisation par VHF de mouiller. Accéder à cette baie naturelle équivaut en effet pour les autorités à pénétrer dans le port. Surtout ne ratez pas cette démarche, sous peine de verbalisation ! Nous organisons notre mouillage par 30 noeuds de vents et restons à l’écart des bateaux déjà arrivés. Farniente, lecture jusqu’en fin de journée où le vent tombe pour laisser place à une très belle soirée. Impossible de ne pas succomber au charme de cette baie et de cette citée chargée d’Histoire, dont la conquête par les Grecs remonte à près de 2 700 ans. Les anciens quais romains ont laissé place à une structure pour accueillir les grands yachts. Nous nous rabattons sur la marina au pied de l’île d’Ortigia. Aucune digue de protection sur le ponton extérieur, Le va-et-vient incessant de petits bateaux à vive allure rend la position douloureuse pour les chaumards qui ne manquent pas de couiner bruyamment. Mais au moins nous pouvons librement mettre pied à terre et profiter de la vieille ville. Nous restons en tout une semaine complète afin de laisser passer cet énorme «coup de grisou» estival venu du golfe du Lion et qui aura perturbé tout le bassin méditerranéen. Demain, direction Taormine.
Taormine
La météo semble favorable mais plus on progresse et plus le vent forcit, au point que le bateau commence à légèrement enfourner, faisant monter des gerbes d’eau que le vent plaque sur tout ce qui est sur sa trajectoire. Dures conditions ! En approchant de l’anse de Taormine, il faut contourner un énorme bateau de croisière qui déverse en continu ses passagers vers le port de Girardini Naxos. Le parc de bouées, très cher, est vide et pas plus protégé de la houle de nord-est que le mouillage forain au pied de Taormine. La première nuit est très agitée par cette houle résiduelle. La seconde est consacrée au farniente et la mise en oeuvre de nos deux anniversaires :
côte de boeuf au barbecue et patatas à la brava selon la recette de Pollensa... Le mouillage à Taormine est un cas d’école. L’Etna contrariant la plupart des fichiers météo, il est fréquent d’être têtebêche avec le bateau voisin, le courant marin étant souvent contraire avec l’aérien. Dans ces conditions, le mouillage devient difficile et la houle des bateaux passant au large le rend de toute façon inconfortable. Le parc de bouées est à mon sens inutile car les fonds de sable par 15 mètres sont de bonne tenue.
Stromboli
Demain, nous partons de bonne heure direction le Stromboli à 65 milles nautiques plus au nord. Départ à 7 heures du matin pour passer le détroit de Messine dans de bonnes conditions, c’est-à-dire avec le courant porteur. L’application iOS Messina 2017 calcule les courants nord et sud en fonction de l’heure de passage. Bien pratique mais tout n’est pas aussi simple que ça. A 10 milles de Messine, un fort courant contraire nous fait perdre jusqu’à trois noeuds de vitesse fond sur trois milles de distance. Sans toucher au régime des moteurs, notre vitesse oscille entre 8,6 et 5,3 noeuds pour une allure normale à ce
régime de 7,2 noeuds. Pas de tourbillons du côté de Charybde mais un très gros trafic de bacs entre les rives nous oblige à zigzaguer pour les éviter. À la sortie du détroit, un scooter des mers de la police avec deux feux à éclats fonce sur nous, mais c’est pour stopper le trafic afin de laisser passer une compétition de natation reliant l’île au continent. Invraisemblable vu le nombre de ferries, porte-containers, tankers et navires de tout genre qui y pullulent, sans oublier les chasseurs d’espadon avec tour vigie à 30 m et leur delphinière qui triple la longueur de l’embarcation. C’est ça aussi l’Italie du Sud ! Rien n’est impossible et tout peut surgir à n’importe quel moment... Passé le détroit, cap au 315 avec déjà en vue le volcan du Stromboli à cinq heures de navigation. La mer est claire et d’un bleu auquel nous n’étions plus habitués dans le sud de la Sicile. Malheureusement, beaucoup de déchets en surface et de sacs plastiques entre deux eaux. Mouiller autour du volcan n’est possible que dans sa partie nord-est où les fonds sont de 15 à 20 m, sinon c’est abyssal. Dîner à bord en attendant la fin du jour pour contourner l’île avec l’annexe et se poster au large devant l’ouverture du cratère. Le Stromboli est en activité quotidienne depuis l’Antiquité mais ses éruptions ne sont vraiment visibles que de nuit. Laissant le bateau au mouillage, nous fonçons au crépuscule avec le dinghy pour parcourir deux milles et s’inviter au spectacle. Nous sommes nombreux à nous émerveiller à chaque éruption de lave et scories qui jaillit à cadence régulière. Retour
dans le noir, moteur à fond. Sensations garanties à près de 20 noeuds sans visibilité autre que le reflet de lune sur l’horizon !
Panarea
À la différence de ses îles soeurs, le volcan a tellement bien explosé qu’il s’est retrouvé éparpillé «façon puzzle». Panarea n’est que le plus gros morceau de ce qu’il reste du cratère auréolé de minuscules îlets et rochers nus et arides. Pas de quoi imaginer un futur Saint-Tropez... et pourtant Antonioni, en y tournant le film «L’Avventura» en 1960, a suscité un engouement certain. Des Milanais rachetèrent quelques masures à des paysans pêcheurs exsangues, puis construisirent un hôtel devenu culte. Cinquante ans plus tard, j’ai pu sillon- ner l’île à pied en évitant les voiturettes électriques, seuls véhicules possibles dans un lacis de ruelles de moins de deux mètres de large, bordées de murets qui permettent la vue sur les «cabanons» immaculés pavoisés de bougainvilliers, jasmins et figuiers. Chiliennes tournées vers la mer, bois flottés d’Indonésie, voilages de lin blanc, on est dans l’entre-soi de la simplicité et de la nature,
ralliées à coup d’hélicoptère grâce aux deux hélistations... On peut sourire de ce snobisme jet-set mais Panarea représente surtout des fonds marins magnifiques où même le sable est pailleté d’or dans une eau cristalline à 28 degrés. Au quai du ferry embouteillé rien n’est prévu pour laisser l’annexe, Philippe me dépose et profite de la pompe de carburant pour remplir son réservoir à... 1,99 € le litre ! Le lendemain matin, un petit bateau de pêche propose sa pêche du jour. Ce sera gambas et calamars pour le dîner. Là aussi, la note s’envole ! C’est le prix de la fraîcheur...
Salina et Lipari
L’approche de Salina offre un panorama différent. Deux cratères éteints totalement comblés cha- peautent de vert cette île préservée à 10 milles dans le sud-ouest de Panarea. Pins parasols, cyprès, chênes-lièges nourris par les rosées d’altitude forment une calotte touffue ponctuée par endroits de forêts. Après avoir longé la pointe sud au son des cigales, nous trouverons notre mouillage au pied d’une falaise au tombant net, dont les roches écroulées depuis des siècles ont formé un joli fond de sable noir. Nuit tranquille. Au loin, l’alignement de Panarea et du Stromboli aux lueurs tremblotantes. Lieu de tournage du film «Il postino» («Le Facteur») sur la vie de Pablo Neruda (avec Philippe Noiret), Salina a su préserver sa nature, son urbanisation et, vrai bonheur, un certain isolement. Lipari sera notre dernière découverte de l’archipel. Elle fait figure de capitale avec son urbanisation importante, ses remparts et son musée archéologique réputé. Sa superficie est constituée de neuf volcans qui ont fusionné (c’est le cas de le dire !). Tout ça donne très envie d’y atterrir et de parcourir l’intérieur des terres. Nous avons fait une tentative d’approche des
trois ou quatre pontons flottants, ouverts sur la baie et sans aucune protection contre la houle incessante des bateaux et au tarif exorbitant de 150 € la nuit... Avanti ! Nous visiterons l’année prochaine à la basse saison ! En maraudant au sud de l’île pour trouver une crique où dormir, nous avons découvert un mouillage sublime aux fonds clairs devant les «Faraglioni», des colonnes de roches hautes
de 60 m jaillissant près des falaises. En fait ces stalagmites sont les magmas solidifiés, débarrassés de leur gangue de cratère. Ce cadre féerique ouvert à l’ouest nous a offert un soleil couchant somptueux. L’autre mouillage étonnant, et tout blanc, se situe au pied d’une carrière de pierres ponce aujourd’hui désaffectée. Richesse de l’île, elle a également servi de bagne à Mussolini pendant la guerre. Cette zone industrielle aux bâtiments en ruines et aux structures métalliques rouillées surplombe un immense lagon turquoise de cinq mètres de fond. Paradisiaque le soir quand on se retrouve seuls avec quelques voiliers à passer la nuit, ça fait oublier les nuées de bateaux-taxis, traînetouristes, barques de location et autres scooters des mers qui investissent les lieux dès dix heures. Nous avons pu suivre des scènes de voisinage entre deux grondins ailés et des vives patibulaires, et jouer avec des solettes en traînant un plomb au bout d’un filin sur le sable. Pour réussir à faire coïncider les festivités du 15 août à Marina di Ragusa, une navigation optimale et des courants favorables dans le détroit de Messine, la météo nous incite à précipiter la route du retour. Dernière étape à Syracuse pour faire le plein d’amandes d’Avola, de pistaches de Bronte, et de steaks d’espadon frais à l’incontournable marché de la vieille ville. Nous ne reviendrons pas les mains vides !