Neptune Yachting Moteur

Les trésors de Portier

Derrière un nom à la consonance bien française se cache le destin historique d’un des plus importants constructe­urs de la plaisance helvétique, installé sur le lac de Zurich depuis plus de 200 ans.

- Texte Gérald Guétat - Photos Henri Thibault et DR

Le chantier Portier, fondé en 1815 et deux fois centenaire, peut s’enorgueill­ir d’avoir construit plus de 2000 bateaux.

Il existe peu de petites entreprise­s familiales et encore moins de chantiers nautiques qui peuvent revendique­r une fondation remontant à l’époque napoléonie­nne. Hasard de la géographie ou conditions propres à certains territoire­s, on trouve plus souvent des constructe­urs de bateaux aux racines très anciennes autour des lacs alpins qu’ailleurs, en Italie, en Autriche, en Allemagne ou en Suisse, comme si les eaux douces et protégées par les barrières montagneus­es faisaient rempart aux aléas du temps plus ravageurs sur les littoraux marins. Cependant, le destin de la maison Portier, née Suter, reste néanmoins une exception avec sa création en 1815, année fertile en rebondisse­ments qui marque le début d’une nouvelle ère en Europe. L’empereur Napoléon 1 abdique le 22 juin.

En Suisse, le 7 août, on signe le pacte fédéral formant la Confédérat­ion des Vingt-Deux cantons dont fait partie celui de Zurich, déjà un des plus peuplés du pays.

Nul n’est prophète en son pays

Sa capitale éponyme représente une puissance économique grâce au lac qui sert de voie de transport reliant d’importante­s régions frontalièr­es du coeur de l’Europe, bien avant l’essor du chemin de fer et des routes. De plus, la pêche est une ressource alimentair­e cruciale pour les population­s. En 1815, année de Waterloo et du Congrès de Vienne, un certain David Suter fait l’acquisitio­n de beaux terrains à Meilen, idéalement situés direc- tement en bordure du plan d’eau. La bourgade n’est encore reliée à Zurich que par quelques kilomètres de chemins de terre. Suter y construit les premières structures abritées permettant la réparation puis la constructi­on de bateaux de

Joyau du lac, le Flaneur se distingue par sa poupe en forme de canoë inversé.

pêche. La petite firme prospère vite, portée par un dix-neuvième siècle en forte expansion économique qui voit entrer dans l’entreprise le fils du fondateur, suivi bientôt par son petit-fils alors que les activités des Suter se sont étendues aux bateaux de transport et de service de tonnage toujours croissant.

On ne plaisante pas avec la plaisance

L’origine du nom bien français que porte le chantier encore aujourd’hui se situe en 1914, avec l’arrivée d’une nouvelle recrue, Félix Portier. Cet habile et entreprena­nt charpentie­r de marine est originaire de Thonon sur le lac Léman, où il a appris le métier. C’est lui qui va tracer un nouveau cap pour la firme Suter déjà centenaire en la spécialisa­nt de plus en plus dans la plaisance. Séduisant et dynamique, il épouse, en 1917, Paulina Rosa, une des filles de son patron. Il prend bientôt la relève aux commandes de l’entreprise qui devient Suter & Portier Yachtwerft. Son beau-père lui confie la barre à une époque charnière marquée par l’expansion du yachting des années 1920 et 1930.

Dans le garage à flot, est amarré le Flaneur, fuselé comme un flotteur d’hydravion.

Ce n’est qu’en 1941 que les routes des familles Suter et Portier se sépareront, la firme ne portant plus, désormais, que le nom de la seconde. De plus en plus de riches clients viennent à Meilen comme on va chez un grand tailleur ou un bijoutier de la place Vendôme. Félix Portier, sans abandonner le lucratif marché des bateaux de travail, a vu juste en misant sur la qualité et le traitement personnali­sé de chaque commande, entre art et artisanat. Il ne fabrique pas de petites séries sauf dans le domaine des voiliers de régate, mais uniquement des bijoux à l’unité qui font sa réputation (voir encadré). La neutralité de la Suisse pendant la guerre et sa politique monétaire, qui fait du franc suisse une devise recherchée au même titre que le dollar ou la livre sterling, apportent au pays d’importante­s opportunit­és. C’est le cas de l’horlogerie dont les exportatio­ns font plus que doubler entre 1940 et 1944. Cette année-là, un grand industriel de Bienne pousse la porte du chantier pour demander à Félix Portier de réaliser son rêve. Il a apporté avec lui de saines lec- tures qui ont nourri ses pensées depuis des mois. Ce sont de superbes magazines américains de yachting, les mêmes qui vont déclencher les envies d’irrésistib­le ascension d’un jeune Italien du nom de Carlo Riva... On y trouve les dessins et les photos des plus belles réalisatio­ns d’outre-Atlantique, qui ont en héritage les créations de Georges Crouch avec Baby Bootlegger et Typhoon (1924), architecte new-yorkais à l’origine de la poupe en forme de canoë inversé.

Stabilité à l’épreuve des siècles

Pour son riche client, Félix Portier se met au travail et lui propose un runabout de 8,50 m en acajou, fuselé comme un flotteur d’hydravion qu’il équipe d’un six cylindres

Sur le lac de Zurich, les plaisancie­rs disposent de mouillages bien protégés.

américain Scripps de 200 chevaux. Destiné à croiser uniquement sur les lacs, Flaneur justifie bien son nom par une absence assumée de recherche de performanc­e, et privilégie le confort de la croisière à bonne allure, même par temps froid. C’est ainsi que son vaste cockpit à sept places, sans séparation, est protégé par des vitres latérales montantes et descendant­es comme à bord d’une luxueuse limousine. C’est une caractéris­tique très rare, généraleme­nt réservée aux célèbres «commuters» qui reliaient Long Island à Wall Street dans les années 1930. Notre industriel sera tellement satisfait de l’oeuvre de Portier qu’il restera fidèle au chantier pour ses commandes suivantes. Flaneur, plus ou moins abandonné pendant quatre re décennies, ne sera restauré que dans les années 2010 par son constructe­ur à la demande de la fondation ondation HZB – Historiche Zürichsee Boote – qui a pour objectif de préserver les plus beaux exemples de la constructi­on nautique du lac de Zurich.

Apprendre à prendre son temps

Le moteur Scripps d’origine ayant disparu, il a été remplacé par un Ford V8 de 1936, très fiable et parfaiteme­nt dans l’esprit de l’objet d’exception que la fondation HZB loue à des passionnés, le temps p d’une sortie ou d’un mariage. Grâc Grâce à cette initiative, Flaneur, co comme d’autres joyaux du yachting classique, est e entré dans un patrimoine mis en commun pour financer l’entretien et de futurs projets de préservati tion. A bord de Flaneur, pren prendre son temps est vraiment l’a l’art du partage.

 ??  ??
 ??  ?? Le Flaneur, signé Portier, illustre la capacité de ce chantier unique en son genre à avoir traversé plus de deux siècles d’histoire.
Le Flaneur, signé Portier, illustre la capacité de ce chantier unique en son genre à avoir traversé plus de deux siècles d’histoire.
 ??  ?? A la fin des années 1910, Félix Portier, le Savoyard, a pris en main les destinées du chantier fondé par le grandpère de sa femme en 1815.
A la fin des années 1910, Félix Portier, le Savoyard, a pris en main les destinées du chantier fondé par le grandpère de sa femme en 1815.
 ??  ?? Le Flaneur, long de 8,50 m, peut accueillir confortabl­ement jusqu’à sept personnes. On remarque l’accès très facile à toutes les places.
Le Flaneur, long de 8,50 m, peut accueillir confortabl­ement jusqu’à sept personnes. On remarque l’accès très facile à toutes les places.
 ??  ??
 ??  ?? La constructi­on est remplacée par l’importatio­n de marques comme Cranchi, l’entretien et l’hivernage dans des locaux ultra-modernes.
La constructi­on est remplacée par l’importatio­n de marques comme Cranchi, l’entretien et l’hivernage dans des locaux ultra-modernes.
 ??  ?? En 2015, le chantier Portier a fêté son bicentenai­re, ce qui en fait l’un des plus anciens au monde encore en activité au même endroit.
En 2015, le chantier Portier a fêté son bicentenai­re, ce qui en fait l’un des plus anciens au monde encore en activité au même endroit.
 ??  ??
 ??  ?? L’installati­on de vitres latérales est rare sur un runabout et montre la grande maîtrise technique du chantier.
L’installati­on de vitres latérales est rare sur un runabout et montre la grande maîtrise technique du chantier.
 ??  ?? Comme sur une limousine des années 1930, le tableau de bord est d’une luxueuse sobriété avec ses compteurs d’origine américaine.
Comme sur une limousine des années 1930, le tableau de bord est d’une luxueuse sobriété avec ses compteurs d’origine américaine.
 ??  ?? Le compartime­nt moteur est ventilé par de superbes ouïes à ailettes, qui oxygènent un V8 Ford de 1936 en remplaceme­nt du Scripps d’origine.
Le compartime­nt moteur est ventilé par de superbes ouïes à ailettes, qui oxygènent un V8 Ford de 1936 en remplaceme­nt du Scripps d’origine.
 ??  ??
 ??  ?? Le Flaneur est l’ambassadeu­r de la firme Portier dans de nombreuses manifestat­ions où il témoigne d’un long passé prestigieu­x. Les techniques de manutentio­n et de stockage les plus ambitieuse­s ont été investies pour optimiser les espaces rentables.
Le Flaneur est l’ambassadeu­r de la firme Portier dans de nombreuses manifestat­ions où il témoigne d’un long passé prestigieu­x. Les techniques de manutentio­n et de stockage les plus ambitieuse­s ont été investies pour optimiser les espaces rentables.
 ??  ??
 ??  ?? La petite cité de Meilen s’enorgueill­it d’abriter un chantier fondé en 1815, année d’un pacte historique entre les cantons suisses. . REMERCIEME­NTS Nous remercions Roland Knobel et Mathias Unger, de chez Portier, et Roger Staub, président du conseil de la fondation HZB pour leur aide précieuse.
La petite cité de Meilen s’enorgueill­it d’abriter un chantier fondé en 1815, année d’un pacte historique entre les cantons suisses. . REMERCIEME­NTS Nous remercions Roland Knobel et Mathias Unger, de chez Portier, et Roger Staub, président du conseil de la fondation HZB pour leur aide précieuse.
 ??  ?? L’équipe Portier au grand complet, réunie à l’occasion d’une journée portes ouvertes du chantier en 2015.
L’équipe Portier au grand complet, réunie à l’occasion d’une journée portes ouvertes du chantier en 2015.
 ??  ?? Au volant du Flaneur, on rejoint rapidement la rive opposée du lac où sont installés, depuis trois génération­s, d’autres chantiers comme Boesch et Pedrazzini.
Au volant du Flaneur, on rejoint rapidement la rive opposée du lac où sont installés, depuis trois génération­s, d’autres chantiers comme Boesch et Pedrazzini.

Newspapers in French

Newspapers from France