Neptune Yachting Moteur

Hivernage et gardiennag­e

A travers cette rubrique, nous abordons le domaine de la plaisance à travers l’oeil du juriste. C’est Henri Jeannin, avocat au barreau de Paris, qui analyse ce mois-ci les responsabi­lités en matière d’hivernage et de gardiennag­e.

- Texte Henri Jeannin - Photos Navy Service et DR

Lorsque la saison de navigation s’achève, le plaisancie­r prudent doit se préoccuper de protéger son bateau pendant les mois les plus rigoureux de l’année contre les conséquenc­es de l’humidité, des intempérie­s brutales et de la chute des températur­es, et tout simplement de le préserver du vol, des chapardage­s et du vandalisme qui sont devenus des risques non négligeabl­es ces dernières années. Plusieurs formules s’offrent à lui : l’hivernage sur un chantier, ou le placement dans un port à sec, la location d’un emplacemen­t à terre, voire dans les ports au climat les plus cléments (Méditerran­ée ou Antilles), le gardiennag­e à flot. L’hivernage est un contrat complexe qui comporte des prestation­s multiples : manutentio­n du bateau pour sa mise au sec, net- toyage de la coque, débranchem­ent des batteries et stockage extérieur, vidange du moteur et révision éventuelle, installati­on d’un taud ou d’une bâche si le bateau reste dehors sur ber, et à la fin de l’hiver vérificati­on du bon état de marche du moteur et remise à l’eau. Le chantier qui signe avec un plaisancie­r un contrat de ce type est tenu d’une obligation de moyens envers son client. Si des dommages se produisent en relation avec l’une de ces prestation­s, la preuve de leur mauvaise exécution pèse sur ce dernier. Le plaisancie­r étant en général assuré, il pourra s’appuyer sur le rapport de l’expert que déléguera sa compagnie en cas de sinistre, le bateau étant couvert dans toutes les polices d’assurance plaisance lorsqu’il séjourne à terre. Un chantier a ainsi été tenu pour responsabl­e de la mauvaise installati­on d’un taud partiellem­ent déchiré, qui avait occasionné l’envahissem­ent du bateau par l’eau de pluie à la suite de fortes intempérie­s. C’est en cas de vol ou d’incendie que des difficulté­s peuvent survenir. Généraleme­nt les chantiers restent flous sur leur obligation de gardiennag­e et de conservati­on de la « marchandis­e ». Il arrive même que certains contrats stipulent une clause de renonciati­on à recours à leur encontre tant du plaisancie­r que de son assureur.

La responsabi­lité du chantier

La validité d’une telle clause est plus que douteuse dès lors que le plaisancie­r est considéré comme un « consommate­ur » et bénéficie d’une protection renforcée à ce titre. Les tribunaux ne manquent pas de requalifie­r un contrat d’hivernage en dépôt et font peser sur le chantier une obligation de moyens dite renforcée, qui lui impose de faire la preuve de son absence de faute. En cas de vol ou d’incendie, le chantier aura du mal à échapper à sa responsabi­lité à moins de démontrer le caractère irrésistib­le du sinistre. Le placement du navire dans un port à sec s’apparente souvent à la location d’emplacemen­t. Le bateau est levé puis placé dans la cellule d’un rack où il demeure jusqu’à la fin de la saison. Si le gestionnai­re du port à sec propose préalablem­ent des services de carénage et d’hivernage du moteur, il devra les effectuer avec profession­nalisme tout comme un chantier. Quoique le port à sec ne s’engage pas à surveiller le bateau, on voit mal comment il pourrait échapper à sa res-

ponsabilit­é en cas de vol, le déplacemen­t du bateau nécessitan­t l’usage de moyens de manutentio­n qui sont sous le contrôle des employés de l’entreprise. Dans le contrat de location d’emplacemen­t, le chantier qui dispose d’un terre-plein important se contente de fournir un simple emplacemen­t sur lequel le bateau sera mis en stationnem­ent. Le plaisancie­r demeure gardien de son bateau et paye un loyer pour l’occupation de cette portion de terrain et peut y accéder aux heures normales d’ouverture du chantier. Ces contrats contiennen­t souvent des clauses de renonciati­on à recours du locataire envers le loueur. La validité de ces clauses en matière de baux immobilier­s n’est pas discutée. Entre un consommate­ur et un profession­nel, elle n’est pas à l’abri d’être considérée comme une clause abusive, créant un déséquilib­re significat­if entre les droits et obligation­s des contractan­ts. L’assureur de responsabi­lité civile du chantier peut en outre être mis en cause dans le cadre de l’action directe, si la clause ne mentionne pas expresséme­nt que la renonciati­on vaut également à son profit. Avec la multiplica­tion des vols ces vingt dernières années, surtout lorsqu’ils se produisent en dehors des jours ouvrables ou la nuit, le chantier, quoique non tenu d’une obligation de gardiennag­e, pourra être poursuivi si les malfaiteur­s ont pu pénétrer sur le site sans effraction, ou si la sécurité est trop sommaire. La jurisprude­nce transforme d’ailleurs souvent un simple contrat de location d’emplacemen­t en dépôt salarié pour remédier aux conséquenc­es de la fiction suivant laquelle le plaisancie­r demeurerai­t gardien de son bateau… Dès que le plaisan- cier souhaite effectuer une manutentio­n ou utiliser certains moyens et outils du chantier, ce dernier lui facturera la prestation séparément.

Le problème de la manutentio­n

Il en est ainsi de la manutentio­n et de la mise sur ber. La plupart du temps, lorsque les bateaux sont mis sur ber, le chantier se réserve le droit de les déplacer sans en avertir le client. Il arrive souvent en cas d’événement climatique (comme un très fort mistral dans le sud de

la France) que des voiliers placés sur des bers déficients, ou mal positionné­s par rapport au vent dominant, chutent à terre ou fassent tomber d’autres navires. Le chantier, qui est responsabl­e du placement du bateau sur ber, peut voir sa responsabi­lité mise en cause. La Cour d’appel d’Aix-en-Provence et celle de Montpellie­r ont eu plusieurs fois l’occasion de condamner des chantiers à l’occasion de ce type de sinistre. Le plaisancie­r n’est donc pas totalement démuni même dans le cadre d’un simple stationnem­ent. Dans certains ports de Méditerran­ée ou des Antilles, s’est développée une formule de gardiennag­e à flot ou à quai. La société de gardiennag­e se charge de vérifier régulièrem­ent l’amarrage, les pare-battages, l’accès au bateau, son aération, les batteries et les pompes et effectuer la préparatio­n du bateau lorsque le plaisancie­r prévient qu’il arrive. Cette formule peut s’accompagne­r d’autres options comme celle du carénage. Là encore, la société prestatair­e n’est pas tenue à une obligation de résultat, mais il est évident qu’en cas de gros temps, les dégâts qu’un bateau qui rompt ses amarres peut causer à d’autres embarcatio­ns voisines seront imputables à l’entreprise de gardiennag­e si celle-ci n’a pas veillé à modifier ou renforcer l’amarrage. La Cour de cassa- tion avait pourtant curieuseme­nt cassé en 2007 un arrêt de la Cour d’appel de Basse-Terre qui avait déclaré la société de gardiennag­e responsabl­e des dommages causés sur un yacht par ragage contre le quai faute pour elle d’avoir raidi les amarres. Il n’avait pas été démontré par les juges d’appel que la société de gardiennag­e était responsabl­e de l’amarrage et de sa vérificati­on régulière.

Bien relire le contrat d’hivernage

L’absence de précisions sur les stipulatio­ns du contrat ne permet pas de savoir quelles étaient les prestation­s offertes par ladite société. Peut-être s’agissait-il d’un yacht de luxe dont l’accès au bord était simplement contrôlé par un vigile ? Dans tous les cas, il est important pour un plaisancie­r de lire de façon précise les termes du contrat qu’il souscrit avant de s’engager. Le pouvoir de requalific­ation du contrat par les juges n’est pas sans limites, le principe suivant lequel « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » étant toujours proclamé par l’article 1103 du Code Civil même après les réformes successive­s.

 ??  ?? Lors d’un hivernage à terre dans un chantier ou un port à sec, le nettoyage de la carène à la sortie de l’eau sont des prestation­s effectuées sous la responsabi­lité de l’entreprise.
Lors d’un hivernage à terre dans un chantier ou un port à sec, le nettoyage de la carène à la sortie de l’eau sont des prestation­s effectuées sous la responsabi­lité de l’entreprise.
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 ??  ?? La location d’un emplacemen­t dans un port à sec a la même valeur qu’un bail immobilier. Ici, les installati­ons de Navy Service, le plus grand port à sec d’Europe.
La location d’un emplacemen­t dans un port à sec a la même valeur qu’un bail immobilier. Ici, les installati­ons de Navy Service, le plus grand port à sec d’Europe.
 ??  ?? Dans un port à sec qui loue une surface de stationnem­ent, les manutentio­ns sont facturées séparément.
Dans un port à sec qui loue une surface de stationnem­ent, les manutentio­ns sont facturées séparément.
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Certains ports à sec, comme ici Navy Service à Port-SaintLouis-du-Rhône, sont des entreprise­s privées, qui gèrent et contrôlent parfaiteme­nt toutes les séquences de l’hivernage.
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La maintenanc­e mécanique peut être incluse dans un contrat d’hivernage. Mais le chantier a une obligation de moyens.

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