Neptune Yachting Moteur

La balade américaine de Troll

Partis des Îles Vierges à bord de leur trawler hollandais, Stéphane et Sophie Poughon ont effectué un fascinant périple de 6 000 nautiques en Amérique du Nord. Onze mois de navigation fluvio-maritime originale qui attise le goût du voyage et de l’aventure

- Texte Michel Luizet - Photos Sophie Poughon

Combien d’heures moteur ? Attends voir.» Stéphane Poughon feuillette son livre de bord de la première à la dernière page. «3 187 heures au moment de débarquer le bateau aux Iles Vierges et 4 200 en arrivant à Baltimore, ultime escale avant le retour sur cargo au début de l’automne 2018. Au total, un peu plus de 1 000 heures de risée Perkins ! » Après un an de navigation au long cours entre Caraïbes et Canada, Stéphane et son épouse Sophie ont retrouvé leur maison du sud de la France et se réadaptent en douceur à une vie de terriens. Nous avions fait leur rencontre à Caen en septembre 2017, quelques jours avant leur départ pour les Amériques (lire Neptune n°261). Le couple terminait la préparatio­n de Troll, un robuste trawler en aluminium construit dix ans plus tôt par le petit chantier néerlandai­s Bendie. Le bateau de 16 m de long est un full custom issu de plans commandés à Chuck Payne, un vieil architecte naval américain qui affiche de belles références dans le milieu du bateau de voyage. Le propriétai­re français de l’époque fera de Troll une utilisatio­n intensive en Méditerran­ée ainsi que quelques croisières fluviales mémorables, dont une descente du Danube jusqu’à la mer Noire. Stéphane rachète le bateau en 2015 après plus de deux ans de prospectio­n. Cet ancien pro de la voile au palmarès éloquent (vainqueur de la mini-transat et de la course autour du monde en équipage dans les années 1980) a enfin trouvé le «bon cheval» pour mener à bien son ambitieux programme fluvio-maritime.

Une préparatio­n minutieuse

Troll possède une authentiqu­e carène à déplacemen­t munie d’une paire de stabilisat­eurs. La motorisati­on est assurée par deux moteurs Perkins de 135 ch chacun. A l’intérieur, la plate-forme centrale abrite le poste de pilotage, le carré et la cuisine américaine. Dans la grande tradition hollandais­e, la cabine du propriétai­re se trouve dans la partie arrière à l’aplomb d’un cockpit surélevé. A l’avant, deux cabines plus rustiques. Le sérieux de la constructi­on autant que l’aspect simple et fonctionne­l du plan de pont ont séduit le nouveau propriétai­re, sans compter

l’impeccable salle des machines où l’on se tient quasiment debout. Après un léger refit, Stéphane et Sophie débutent en 2016 par une croisière plein Nord de 6 000 milles jusqu’aux îles Lofoten, tout en haut de la Norvège. Une sorte de grand galop d’essai avant l’aventure américaine. Le navigateur prépare minutieuse­ment son navire pour ce long voyage outre-Atlantique qui doit les conduire jusqu’aux confins du Canada. Au milieu de l’automne 2017, le bateau se retrouve aux Îles Vierges après une transat au sec sur le pont d’un cargo. L’équipage l’a précédé de peu en effectuant la traversée en cabine privée à bord d’un porteconte­neurs, «une expérience géniale», dixit le skipper. Commence alors un délicieux cabotage sous le soleil des Caraïbes. Après un bon mois de balade au coeur des Vierges, Troll gagne Saint-Domingue puis le sud des Bahamas après cinq jours de navigation non-stop. L’archipel se révèle être un terrain de jeu époustoufl­ant pour un trawler à faible tirant d’eau qui se faufile facilement dans les «shallow waters», ces eaux peu profondes aux reflets turquoise. «Sortis des circuits touristiqu­es, les Bahamas sont un véritable paradis sur terre, confie Stéphane. On ne soupçonnai­t pas une telle beauté.» Le bateau progresse cap au nord-ouest le long

du chapelet d’îles jusqu’aux Abacos et Gran Bahama. Un saut de puce d’une petite journée de navigation plein ouest et changement de décor radical : mi-février, Troll fait son entrée en Floride par West Palm Beach, la capitale chic des milliardai­res où le président Trump a ses habitudes. C’est le début d’une longue remontée du littoral est américain via l’Intracosta­l Waterways.

Quinze jours à New York

Cet invraisemb­lable bras de mer naturel aménagé par l’homme au début du XX siècle permet de naviguer à l’abri des fureurs de l’océan tout à proximité du trait de côte depuis Miami jusqu’à Atlantic City. «Même si le chenal est parfaiteme­nt balisé, la navigation est moins reposante qu’on ne l’imagine, met en garde Stéphane. Beaucoup de zones sont peu profondes et les bancs de sable affleurant ont tendance à bouger. Bref, même à 7,5 noeuds, il faut rester vigilant en permanence.» La traversée de la Géorgie est un moment fort. «La région autour de Savannah est magnifique, s’enthousias­me le capitaine. On visite des plantation­s ainsi que de nombreux musées consacrés à la guerre civile. C’est très riche culturelle­ment.» La remontée passe aussi par l’emblématiq­ue Great Dismal Swamp Canal, la plus ancienne voie d’eau américaine viabilisée, opérationn­elle depuis 1805. Le bateau progresse sur 40 km au milieu d’une haie de cyprès. Inoubliabl­e. Le 3 avril, après cinq semaines de navigation, Troll atteint Norfolk, la colossale base de l’US Navy abritant plus de 80 navires de guerre. C’est ici que l’Intra- costal cède la place à l’immense baie de Cheasapeak­e (100 milles de longueur) marquant le retour à une navigation plus maritime. A bord, le chauffage tourne à fond (les températur­es ne dépassent pas 3/4° au début du printemps !). Tout au nord de la Cheasepeak­e, Troll s’engage dans le canal du Delaware de façon à rejoindre l’océan. Petit crochet de 50 milles au sud-est et retour sur l’ICW jusqu’à la Skyline d’Atlantic City, le Las Vegas de la côte est. La statue de la Liberté n’est maintenant plus qu’à 100 milles de distance. L’équipage restera 15 jours à New York. Le trawler trouve refuge au

mouillage près de Port t Washington à l’entrée du Long ng Island Sound et évite ainsi les s marinas de Manhattan au tarif prohibitif. Une nou- velle aventure à caractère fluvial s’amorce avec la remontée de l’Hudson on River sur 250 km jusqu’à qu’à Albany. Stéphane et Sophie auraient pu poursuivre vre leur route plein nord via le lac Champlain pour rejoindre Montréal. Ils préréfèren­t prendre le chemin min des écoliers en bifurquant ant vers l’ouest au niveau du canal Erié dont la réououvert­ure pour l’été coïn- ïn- cide avec l’arrivée de Troll. La traversée comprend une quarantain­e d’écluses sur une dist tance de 300 km jusqu’à Oswego sur le lac Ontario. De là, l’éq l’équipage loue une voiture pour alle aller voir les chutes du Niagara, à env environ 200 km plus à l’ouest. «On «O ne pouvait pas rater ça !» Le nav navire cabote ensuite le long du lac et se faufile au milieu du fame meux archipel des Mille-Îles, entre nor nord Ontario et Saint-Laurent. La sais saison touristiqu­e commence à pein peine et les pontons des marinas démontés sept mois sur douze sont en cours d’installati­on.

Un trafic intense et de forts courants

Le fleuve qui s’étend sur 275 km jusqu’à Montréal fait la frontière entre les Etats-Unis (rive droite) et le Canada. Cela contraint l’équipage à une petite gymnastiqu­e administra­tive selon l’endroit où il fait escale. En outre, la navigation n’y est pas de tout repos. Le trafic commercial est intense et le

Le budget d’une telle navigation est assez variable en fonction des choix faits par les participan­ts. Dans le cas de Troll, l’achemineme­nt du bateau par cargo constitue un poste financier important. Pour le transport aller de Southampto­n aux Îles Vierges, la note s’élève à 20 000 €. Le retour depuis Baltimore jusqu’à Amsterdam a été facturé 30 000 US $. «Les tarifs du shipping sont en fait très fluctuants», précise le propriétai­re de Troll. Ils évoluent selon les saisons et la densité du trafic. Sur place, l’équipage a privilégié les mouillages forains dans les Caraïbes et aux Bahamas ainsi qu’au Canada. Sur l’ensemble du parcours, Stéphane Poughon estime le prix moyen de la nuitée en marina à 2 dollars par pied soit environ 110 $ pour un bateau comme Troll. «Il y a bien sûr des cas particulie­rs comme à New York où l’on flirte avec les 300 US$ pour avoir le privilège de s’amarrer au pied de Manhattan.» Enfin, le budget carburant est plus raisonnabl­e qu’on ne l’imagine sachant que Troll consomme seulement 1,8 litre par mille, à 7,5 noeuds de moyenne. Avec un prix au litre outre-Atlantique oscillant entre 80 et 90 cents d’euros, la facture totale pour onze mois de nav s’établit sous les 10 000 €.

 ??  ?? Troll et son capitaine, Stéphane Poughon, lors d’un passage d’écluse sur le canal du lac du Bras d’Or en Nouvelle-Ecosse (Canada). 74
Troll et son capitaine, Stéphane Poughon, lors d’un passage d’écluse sur le canal du lac du Bras d’Or en Nouvelle-Ecosse (Canada). 74
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 ??  ?? 76 Une colonie d’iguanes vit sur Allen Cay aux Exumas (Bahamas). Troll a mouillé à proximité du rivage dans moins de deux mètres d’eau.
76 Une colonie d’iguanes vit sur Allen Cay aux Exumas (Bahamas). Troll a mouillé à proximité du rivage dans moins de deux mètres d’eau.
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 ??  ?? Les Bahamas sont un immense terrain de jeu pour les plaisancie­rs en dépit d’une navigation qui doit composer avec de très faibles profondeur­s. Photo aérienne de Troll au mouillage dans l’archipel des Bahamas. La couleur de l’eau est bien réelle !
Les Bahamas sont un immense terrain de jeu pour les plaisancie­rs en dépit d’une navigation qui doit composer avec de très faibles profondeur­s. Photo aérienne de Troll au mouillage dans l’archipel des Bahamas. La couleur de l’eau est bien réelle !
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 ??  ?? Sophie et Stéphane, bien à l’abri dans la timonerie lors d’un orage sur le canal Erié.
Sophie et Stéphane, bien à l’abri dans la timonerie lors d’un orage sur le canal Erié.
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 ??  ?? La plage de Major Cay, aux Exumas, est célèbre pour ses cochons nageurs qui n’hésitent pas à venir quémander leur nourriture auprès des plaisancie­rs.
La plage de Major Cay, aux Exumas, est célèbre pour ses cochons nageurs qui n’hésitent pas à venir quémander leur nourriture auprès des plaisancie­rs.
 ??  ?? Photo souvenir au moment de passer devant la statue de la Liberté après plus de deux mois de navigation depuis Palm Beach en Floride.
Photo souvenir au moment de passer devant la statue de la Liberté après plus de deux mois de navigation depuis Palm Beach en Floride.
 ??  ?? 78 Construit en 1875, le fameux phare sur pilotis de Thomas Point dans la baie de Cheasepeak­e fait partie du patrimoine américain.
78 Construit en 1875, le fameux phare sur pilotis de Thomas Point dans la baie de Cheasepeak­e fait partie du patrimoine américain.
 ??  ?? De la famille vinet rejoindre Stéphane (à g.) et Sophie pour une découverte des «Thousand Islands» entre le lac Ontario et le fleuve Saint-Laurent.
De la famille vinet rejoindre Stéphane (à g.) et Sophie pour une découverte des «Thousand Islands» entre le lac Ontario et le fleuve Saint-Laurent.
 ??  ?? La navigation fluviale entre New York et Montréal est rythmée par le passage de nombreuses écluses, avec un fort dénivelé pour certaines.
La navigation fluviale entre New York et Montréal est rythmée par le passage de nombreuses écluses, avec un fort dénivelé pour certaines.
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 ??  ?? Troll amarré à un ponton en compagnie de bateaux de pêche à Ingonish Harbor, au nord de la Nouvelle-Ecosse. Les forêts de conifères tout autour offrent un spectacle saisissant. Erigée en 1750, la chapelle de Tadoussac, dite des Indiens, est l’une des plus anciennes églises en bois d’Amérique du Nord.
Troll amarré à un ponton en compagnie de bateaux de pêche à Ingonish Harbor, au nord de la Nouvelle-Ecosse. Les forêts de conifères tout autour offrent un spectacle saisissant. Erigée en 1750, la chapelle de Tadoussac, dite des Indiens, est l’une des plus anciennes églises en bois d’Amérique du Nord.
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 ??  ?? En NouvelleEc­osse, Troll franchit l’une des deux écluses du canal qui relie l’océan au sublime lac du Bras d’Or.
En NouvelleEc­osse, Troll franchit l’une des deux écluses du canal qui relie l’océan au sublime lac du Bras d’Or.
 ??  ?? L’estuaire du Saint-Laurent est de mai à octobre un lieu d’observatio­n privilégié des baleines qui s’y regroupent en été.
L’estuaire du Saint-Laurent est de mai à octobre un lieu d’observatio­n privilégié des baleines qui s’y regroupent en été.
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