Si j’avais un but, je n’avais pas de véritable programme...
Une page se tourne quand Philippe Joubert quitte La Rochelle le 6 mai 2015 à bord de son Swift Trawler 42, Roulemapoule. Pour l’ancien patron du chantier Latitude 46, dont les célèbres Tofinou et les Andreyale ont imprimé leur silhouette élégante dans le paysage rétais, c’est comme un second départ, la promesse de nouveaux horizons. « J’avais envie de voir autre chose, avoue-t-il. D’en finir avec les mouillages encombrés de la Méditerranée où il fallait souvent se faire sa place au soleil pour s’abriter du monde. »
Se laisser guider par son inspiration
La Grande Bleue, il en a pratiquement fait le tour. C’est d’ailleurs par elle qu’il débute ses premières croisières dès l’achat, en 2008, de ce Trawler 42 équipé de deux moteurs Volvo Penta 4 D de 300 chevaux, conçu pour le chantier Bénéteau par son frère, l’architecte Michel Joubert, aujourd’hui disparu. Durant près de sept ans de navigation, de 2008 à 2015, la liste des pays qu’il visite en famille impose le respect. Au menu : Sicile, Grèce, Turquie, Croatie, Italie, Tunisie, Malte, Sardaigne, Corse sans oublier cette croisière mémorable dans les eaux vénitiennes. Famille oblige, il hiverne Roulemapoule en Tunisie à Hamamet, en Turquie à Marmaris, avant de finir son périple méditerranéen à Gruissan, ultime étape avant le retour de son trawler par camion jusqu’à La Rochelle. Là où, durant l’hiver 2015, il va préparer son bateau pour un changement radical de cap. Adieu le sud, direction le nord pour l’Ecosse. Il pensait y rester un an, il y séjour
nera deux ans, séduit par la majesté du site, les beautés de ses mouillages sauvages, sa faune et sa flore. De plus, s’il ne l’avoue qu’à demimot, Philippe est resté marqué par les récits de navigation de son frère et par ses sublimes photos qu’il rapporte de ses croisières vécues à bord de son bateau Marguerite, un Fifty en aluminium épais. En résumé, c’est à bord de Roulemapoule que Philippe quitte La Rochelle accompagné de ses deux fidèles compagnons, ses potes de l’île de Ré. « Si j’avais un but, je n’avais pas de véritable programme, reconnaît-il. Je me suis toujours laissé guider par mon inspiration. Si un endroit me plaît, je peux y rester plusieurs jours. Si je n’aime pas, je remonte le mouillage et pars ailleurs. »
Immersion totale dans la nature
Par-dessus tout, il sait donner du temps au temps. Pour des raisons économiques et de confort, il limite sa vitesse à 9/10 noeuds pour ne consommer pour les deux moteurs que 20 litres à l’heure et se
refuse – à quelques exceptions près – à utiliser les marinas. En mer, il fait confiance au pilote si ce n’est pour approcher des zones délicates pavées de cailloux, s’aidant de sa tablette Navionics, du Guide Imray et, plus insolite, d’une carte Michelin pour les escapades à terre. Le ciré, il ne se souvient pas en avoir porté d’autant qu’il navigue avec un cockpit protégé intégralement par des toiles.
Conjuguer plaisance et découvertes
Cerise sur le gâteau, Roulemapoule est équipé d’un chauffage à air pulsé permettant de dîner ou de déjeuner dans le cockpit disposant d’une plancha. Enfin ou plutôt, comme il l’a déjà fait pour son périple en Méditerranée, quatre vélos protégés par des bâches sont stockés sur le fly-bridge. Et bien sûr, il dispose d’une bonne annexe, un semi-rigide de 3,40 mètres
doté d’un hors-bord de neuf chevaux. Equipement indispensable pour débarquer à terre avant de se lancer dans de longues marches pour s’imprégner de la culture des pays visités. Escales aux Glénans, à Ouessant, puis traversée de la Manche pour un long arrêt aux îles Scilly où il fait l’impasse sur le mouillage de St Mary’s, préférant ancrer au pied de Cromwell’s Castle afin de débarquer sur l’île de Tresco, prétexte à visiter son étonnant jardin tropical et son musée des figures de proue, deux pépites de l’archipel des Scilly. Désormais, Roulemapoule et son équipage sont parés pour la plus longue de ses traversées : 250 milles jusqu’à la ville de Dublin où la présence d’un aéroport permet de changer facilement d’équipiers avant de mettre le cap au nord sur la petite île de Rathlin, ultime étape avant l’Ecosse, distante de seulement 55 milles. Nous sommes le 4 juin. C’est dire
que Philippe, parti de La Rochelle le 6 mai, a pris son temps, fidèle à sa philosophie de la croisière. Sa façon bien à lui de conjuguer plaisance et plaisir. D’ailleurs, c’est par l’île la plus proche et la plus au sud qu’il fait son entrée en Ecosse, Islay, là où est installée la distillerie Lagavulin. Le mouillage se révèle idyllique, cerné par les phoques.
Parties de pêche spectaculaires
Qu’importe s’il ne reste que 50 cm sous la quille. Dans ce trou de souris, Philippe est aux toutes premières loges pour visiter la distillerie, célèbre dans le monde entier pour son whisky très tourbé. « Ce fut comme un coup de foudre, avoue-t-il. Le point de départ d’une longue histoire d’amour avec l’Ecosse. Je savais déjà qu’il me faudrait au moins deux ans pour en apprécier tous ses charmes. » Après Islay, Philippe met le cap sur Jura en négociant le passage entre les deux îles, traversé par un fort courant. « Là, au mouillage de Jura, on a ramassé notre premier gros coup de vent. Il va durer deux jours », se souvient Philippe en sortant pour l’occasion son carnet de bord. Mais se plaindre, ce serait mal le connaître. Il s’adapte à la météo et en profite pour embarquer l’équipage dans de longues randonnées à pied avant de repartir pour l’île de Mull ou encore celle de Shuna, et pour le port de Craobh, une marina qui dispose d’un poste de gazole. Chaque jour, la navigation ne dépasse pas les deux ou trois heures. Jamais plus, Philippe préférant passer de longues heures à terre où il s’adonne à sa passion favorite, la photographie. Et force est de reconnaître que l’ancien élève de l’Ecole des Métiers d’art et de l’Ecole de Penninghen ne manque pas de talent artistique. A bord, le soir, de préférence après le dîner, il fait le tri de ses prises de vue, 150 les mauvais jours, 250 les bons, et les classe pour en faire des albums qui s’empilent en ordre dispersé dans sa maison de l’île de Ré. Si l’inspiration guide son programme, c’est le hasard qui le fait hiverner le 15 septembre à Lochboisdale, dans une petite marina en construction sur la côte Est des Hébrides extérieures. « J’avais trouvé le capitaine du port sympathique, justifie Philippe. De plus, la marina était toute proche du petit aéroport de Barra où, pour 75 euros, de petits avions nous transportaient jusqu’à Édimbourg. » Autant le préciser, il est unique au monde ce petit aéroport dans la mesure où les atterrissages et les décollages sont programmés en fonction de la marée. De la marée basse bien évidemment, condition
imposant un sérieux rinçage à l’eau douce de l’appareil avant chaque nouveau départ. Le 27 septembre 2015, Philippe fait ses adieux à Roulemapoule avant de le retrouver le 1 mai 2016, accompagné d’un nouvel équipage rochelais, dont Annick Martin, bien connue dans le milieu de la voile. Malgré ses huit ans de bons et loyaux services, le trawler affiche un état de santé resplendissant. Certes, la remise en état des niveaux d’huile n’est pas des plus faciles tout comme le remplacement des bouteilles de gaz. Mais pas de quoi entamer le moral du capitaine Joubert et de son épouse Calou qui se préparent à sillonner l’Ecosse avant de mettre le cap sur la Norvège, le tout complété par un passage aller et retour par le Canal Calédonien. Remontés par la côte Est des Hébrides extérieures jusqu’au port de Stornoway, mouillages à tutoyer les cailloux sur la côte de l’île Uist, chaque escale se révèle un agitateur d’émotions nées de rencontres insolites avec des animaux sauvages en totale liberté. De plus, féru de pêche, Philippe ne manque jamais de laisser traîner son fil, tentative couronnée par des prises de poissons spectaculaires. Les bons jours, les deux casiers embarqués sont mis à l’eau pour y prendre des homards, destinés à améliorer un ordinaire déjà haut de gamme. Les mauvais, les pêcheurs de la région alimentent le bord en langoustines. A Inverness, Roulemapoule embouque le Canal Calédonien, traverse le mythique Loch Ness, où les champignons ramassés sur les rives varient l’ordinaire. Le voyage touche à sa fin.
Des souvenirs pour toujours
Il ne reste plus qu’à remonter le Canal jusqu’à Inverness, où Roulemapoule sera laissé pour hiverner. Malgré les années, et la revente de son trawler, Philippe est resté sous le charme de sa croisière à la sauce écossaise. Il suffit de l’observer marquer une escale sur la carte, l’écouter commenter l’endroit pour imaginer qu’il en a gardé un souvenir à jamais gravé dans sa mémoire.