Les croisières de sa Majesté HSY Britannia
A la fois yacht de représentation et de détente pour la famille royale, le HSY Britannia sillonna toutes les mers du globe de 1953 à 1997. « C’est à son bord que je peux vraiment me relaxer», a confié un jour la Reine Elizabeth II, qui a toujours marqué son attachement à ce navire d’exception.
Onze décembre 1997. La Reine Elizabeth II d’Angleterre préside la cérémonie de désarmement du Britannia, à Portsmouth. Pour la première fois de son règne, elle essuie une larme en public. La pendule royale du bord est arrêtée pour toujours à 15 h 01, l’heure exacte où la Reine descend la passerelle du navire pour la dernière fois. Le Britannia a effectué une tournée d’adieu le mois précédent, faisant escale dans les six principaux ports des îles britanniques. Jugé trop dispendieux et anachronique par le Parlement britannique à majorité travailliste, le yacht est retiré définitivement du service après 44 ans d’activités. Autre temps, autres moeurs.
Construit en 15 mois seulement
La future Reine (elle sera couronnée deux mois plus tard) participe au baptême du Britannia auquel assistent 30 000 personnes dont 7 000 enfants. L’événement a lieu en Ecosse, chez John Brown & Co, chantier naval plus que célèbre pour avoir construit entre autres le paquebot Queen Mary. Les ouvriers écossais ont réalisé un authentique exploit en parvenant à mettre à l’eau ce yacht de 120 m de long, 15 mois seulement après que la commande fut validée. C’est l’une des dernières grandes coques acier à être entièrement ntièrement rivetée. Six couches de e peintures seront nécessaires pour obtenir un lissage parfait. Pour gagner du temps, l’amirauté reprend prend les plans de deux navires d’une ’une compagnie de ferries. Elizabeth eth choisit elle-même le nom du u yacht qui vient en remplacement du Victoria & Albert lancé en 1898. Elle s’est beaucoup up impliquée également dans la décoration du navire, , travaillant de près avec l’architecte chitecte d’intérieur Sir Hugh Casson. Elle intervient dans le choix des tissus des fauteuils et canapés aux motifs floraux ux qui évoquent davantage un univers campagnard que maritime. Le duc d’Edimbourg n’est pas en reste. En tant qu’officier de marine, il donne son avis sur les choix techniques. Enfin, c’est le couple royal qui décide de la couleur bleu marine de la coque, identique à celle de leur voilier de course Bluebottle, offert en 1948 comme cadeau de mariage.
Une authentique résidence royale
Au sein de la C Couronne Britannique, le yacht r royal est une vieille tradition qui r remonte au XVII e siècle. Britannia Britanni est le 83 e et le 7 e à porter ce nom nom. Il faut considérer le navire com comme une authentique rési résidence royale à double fon fonction. C’est à la fois un lie lieu de villégiature pour la fam famille et un moyen de transpor transport pour des voyages officiels d dans les territoires les plus reculés du Commonwealth. monwea La navigation inaugurale inaugur a lieu au printemps 1954. Le navire vogue vog en Méditerra
née et fait escale à Tobrouk en Lybie, où la Reine embarque pour la première fois après un voyage de plusieurs mois à travers le Commonwealth. C’est le début d’un périple au long cours qui ne s’achèvera qu’en 1997 après plus d’un million de milles nautiques parcourus soit l’équivalent de cinquante tours du monde. Chaque année, début août, la Reine se rend avec sa famille à Portsmouth pour leur traditionnelle croisière estivale. Le programme est réglé comme du papier à musique. On commence par une apparition aux Cowes Week Regatta qui ont lieu devant l’île de Wight et le Royal Yacht Squadron club, où la famille royale a ses habitudes. Puis le yacht trace le long de la côte ouest, fait un stop au Pays de Galles avant de poursuivre sa route vers les Western Isles écossaises. Isle of
Skye, Nouvelles Hébrides, Ullapool, Castle of Mey sont autant d’étapes que la Reine affectionne. Au total, 8/10 jours de cabotage avant de rejoindre jusqu’à la fin août la résidence royale de Balmoral, à une soixantaine de kilomètres du port d’Aberdeen, sur la côte est écossaise. Le reste de l’année, le navire se déplace au gré des voyages officiels. Canada, Hong Kong, Australie, îles du Pacifique, le Britannia arrive toujours à l’heure au rendez-vous. Durant quarante ans, la majorité des jeunes mariés de sang royal passe leur honeymoon en croisière à bord du navire. La Princesse Margaret embarque pour un mois avec son mari Anthony Amstrong-Jones en 1960.
Un ambassadeur de premier plan
Au programme, saut de puce d’îles en îles aux Caraïbes. Vingt et un ans plus tard, c’est au tour du Prince Charles et de Lady Diana de prendre le large pour une croisière de 16 jours autour de la Méditerranée. Pour l’occasion, Charles fait une entorse à la tradition et une certaine bienséance en faisant installer pour la première fois un lit double dans la cabine qui lui était réservée. « This is where I can truly relax » (« C’est ici que je peux vraiment me relaxer »), affirme la Reine à propos de son cher Britannia. Un sentiment de détente qui reste toute relative car, à bord, le protocole ayant cours à Buckingham continue à être observé avec une rigueur toute britannique. L’équipage permanent représente 241 personnes, dont 21 officiers. Au sein de cet effectif, on trouve un orchestre de 26 musiciens qui sont aussi en charge de la sécurité de la passerelle lors rs des escales. Ces militaires de cararrière sont sous les ordres d’un un amiral de la Royal Navy qui ui a fort à faire lorsque la Reine e ou des membres de la famille ille royale sont à bord. Le com- modore est invité chaque soir dans les appartements royaux pour le dîner et doit changer de tenue jusqu’à six fois par jour en fonction des différents états de service. Durant quatre décennies, Britannia est un ambassadeur ex extraordinaire. C’est un lien phy physique avec les anciennes colo colonies de l’empire britanniq nique et les membres du Com Commonwealth. Le navire a eu aussi des missions émin nemment symboliques à l’instar de la fin de la concession de Hong Kong en 1997. Le dernier gouverneur de l’île embarque dans le port de Hong Kong l’Union Jack plié s sous le bras, pour ne jamais y revenir. Ce moment fut l’ult l’ultime geste officiel du Britannia. Depuis trois ans déjà, son destin e est scellé. Les travaillistes de
Tony Blair ont voté son désarmement en raison d’un coût de fonctionnement et d’entretien qui ne cadre plus avec les difficultés économiques et le monde moderne. Le glorieux navire entame alors une nouvelle vie.
Le yacht transformé en musée
En effet, le yacht royal n’est pas déconstruit comme le veut la tradition. Le gouvernement confie le bâtiment à une association en charge de le transformer en musée. Les machines sont définitivement stoppées en juillet 1998 après l’amarrage au quai de l’ancien terminal des paquebots, dans le port de Leith. Edimbourg, la capitale de l’Ecosse, n’est qu’à quelques kilomètres. Quatre mois plus tard, le public monte pour la première fois à son bord. S’il a subi préalablement un lifting en règle (nouvelle peinture de coque et de pont), tout est resté à sa place. Le mobilier n’a que peu ou prou changé depuis le lancement en 1953. Idem pour les éléments techniques comme l’impressionnante salle des machines ou le poste de commandement, centre névralgique du Britannia. C’est justement par celui-ci que la visite
commence. L’espace, d’une quinzaine de mètres carrés aux parois bleu clair, est une plongée dans la marine des fifties. Il faut imaginer ici en navigation 5 à 6 personnes s’activant autour de la table à carte, du radar ou du compas gyroscopique placé au centre.
Des réceptions mémorables
Le commodore est le seul à disposer d’une chaise haute au confort sommaire. Les ordres de manoeuvres sont transmis via des porte-voix qui émettent directement dans la « wheelhouse », cabine aveugle située sous la passerelle où trône la barre à roue provenant du voilier de course de 1893 du roi Edouard VII. Trois membres d’équipage gèrent le cap demandé et relayent au moyen du chadburn les ordres de vitesse et de mouvement à la salle des machines hébergée cinq ponts plus bas. Comme on peut s’y attendre, l’amiral est le membre d’équipage le plus choyé du navire. Il jouit d’appartements privés comprenant un grand salon et une chambre. C’est aussi le seul officier à bénéficier d’un cabinet de toilette indépendant. Les autres officiers ont leur propre cabine, modeste mais confortable, avec bureau et canapé-lit. Cette caste de 21 personnes se retrouve midi et soir dans le salon et la salle à manger qui leur sont réservés. L’ambiance de type « club de gentlemen » y est décontractée bien que le dress code doive être respec
té à la lettre. Dans cette société très hiérarchisée, les sous-officiers ont aussi un mess dédié, à proximité des chambrées. A ce niveau de grade, le dortoir collectif (de six à douze lits) s’impose à tous. Il y a trois cuisines à bord. L’une pour les officiers, une autre pour les Yotties (surnom donné aux marins du
Britannia), et une troisième pour la famille royale et ses invités. Pour cette dernière, les plats sont systématiquement élaborés par un cuisinier de Buckingham Palace lorsque la famille royale est à bord. Les dîners de gala sont servis dans la salle à manger de l’upper deck, le pont inférieur où se situent également les bureaux personnels de la Reine et du Duc (partie arrière) ainsi que le carré des officiers. L’immense table peut accueillir jusqu’à 56 convives. Winston Churchill, Nelson Mandela, Bill Clinton ou encore Ronald Reagan ont dîné là aux côtés de la Reine.
Un protocole incontournable
Ici règne l’étiquette la plus intransigeante. Il faut plus de trois heures aux serveurs pour mettre les couverts qui sont posés à l’aide d’une règle afin de respecter une symétrie parfaite. Cocorico, les menus, validés évidemment par la Reine elle-même, sont rédigés exclusivement en français. Dans certaines occasions, les tables sont déménagées afin de transformer la salle à manger en cinéma, en office de messe certains dimanches ou exceptionnellement en piste de danse. Ce fut le cas pour les 21 ans de la princesse Anne en 1971. Avant ou après le repas, la famille royale et ses invités aiment se
retrouver dans le grand salon adjacent. Une cheminée factice trône au fond de la pièce dans une ambiance champêtre. Le piano à queue à l’entrée est vissé au plancher. Les appartements privés de la Reine et de sa famille sont situés sur le pont supérieur. Elizabeth dispose d’une suite propriétaire qui surprend par ses dimensions presque modestes comparées à celle d’un yacht de 30 m !
Un gigantesque pont arrière
Sa cabine communique avec celle du Prince Philip. On y trouve aussi un grand dressing capable de stocker les cinq tonnes d’effets personnels qui suivent la Reine dans tous ses déplacements. En 1953, son lit de 90 cm est équipé des draps et des taies utilisés par son arrière-grandmère, la Reine Victoria, à bord du précédent yacht royal. Précisons enfin que le passavant qui longe la cabine royale a été volontairement surbaissé afin d’éviter les regards indiscrets depuis les hublots. La Reine et son mari n’ont à faire que quelques pas pour rejoindre la véranda communiquant avec le gigantesque pont arrière qui est comme une terrasse sur la mer. Nous sommes ici au coeur des espaces réservés à la Reine. Le personnel est trié sur le volet. Pas question que celle-ci soit importunée par l’équipage. L’entretien quotidien du pont en teck de Birmanie (5 cm d’épaisseur !) et des abords des appartements royaux doivent se faire en silence et terminés avant huit heures du matin. Si un marin croise par mégarde le chemin d’un membre de la famille royale, il a pour ordre de rester immobile et silencieux, en regardant droit devant lui jusqu’à ce que la personne soit passée. Aucun marin n’est autorisé dans les quartiers royaux à porter un couvre-chef afin qu que la famille n’ait pas à retourne retourner leur salut. Une tout autre atmo atmosphère règne deux niveaux en dessous. C’est le lo lower deck, le pon pont des besogneux où se côtoient les m mécaniciens
de la salle des machines et les marins, stewards et membres de la fanfare royale qui logent dans un quartier d’équipage plutôt spartiate. On imagine la chaleur élevée produite par la blanchisserie et la salle des chaudières. Car, aussi curieux que cela puisse paraître, le navire est propulsé par des turbines à vapeur connectées à deux arbres d’hélices de 30 mètres de long. Ces énormes bouilloires, alimentées par des moteurs diesel, fournissent une puissance de 12 000 chevaux et permettent d’atteindre les 22,5 noeuds. L’eau utilisée en circuit fermé est extrêmement pure.
Une salle des machines rutilante
La vapeur retrouve en effet son état liquide grâce à un ingénieux système de condenseur contenant des tubes remplis d’eau de mer. Le cycle peut alors reprendre. Avec ses cadrans chromés rutilants et ses peintures sans écailles, la salle des machines impressionne. On peine à croire que cette mécanique complexe a fonctionné sans interruption pendant 44 ans. « Vous m’avez montré le musée, maintenant montrez-moi la salle réelle des machines », plaisanta le général américain Schwarzkopf lors d’une visite à bord à l’issue de la première Guerre du golfe en 1992. On repart du navire avec l’impression d’avoir côtoyé, le temps d’une visite, l’univers parallèle dans lequel vit la Reine d’Angleterre.
Le Britannia est devenu le musée le plus visité d’Écosse.