Au rythme des malouinières et des moulins à marée
Vingt-trois kilomètres, c’est la distance qui sépare les quais de Dinan du barrage de l’usine marémotrice de la Rance. Ou devrait-on dire 9 milles nautiques et 6 kilomètres car, à partir de l’écluse du Châtelier (voir carte cicontre), la ria du fleuve devient canal d’Ille-et-Rance et renonce ainsi à son caractère maritime. La réglementation exige donc deux permis, l’un fluvial, l’autre côtier pour naviguer jusqu’aux remparts de Dinan qui est un but de croisière en soi. Au-delà de la cité médiévale, le canal mis en service en 1832, après un quart de siècle de travaux, emprunte le lit de la Rance avant de rejoindre la Vilaine puis l’Ille à proximité de Rennes. Un parcours ponctué de 48 écluses, dont celle du Châtelier située à l’ultime point kilométrique indiquant 84,8 km.
Malouinières et villas praticiennes
Mais c’est un tout autre objectif de navigation exclusivement fluviale qui ne concerne que les pénichettes et autres bateaux « taille basse » compte tenu d’un tirant d’air qui ne doit pas excéder 2,50 m. A bord du Karaboudjan, ancienne vedette anglaise des années 1930 (lire l’article Neptune n°276/juillet 2019), capitaine et équipage ont établi un programme maritime au départ de SaintMalo. Toutes les heures pleines, les lourdes portes du bassin d’éclusage de l’usine marémotrice s’ouvrent. La mise à niveau prend dix minutes. Les bateaux remontent d’environ quatre mètres avant que la voie soit libre. Le Karaboudjian quitte la mer mais le décor reste inchangé. L’écluse s’ouvre sur un plan d’eau aussi large que long qui ne semble jamais finir. La magie de la Rance opère dès que l’on se rapproche de la Richardais et que l’on remonte le bras de rivière de 100 mètres de large qui conduit sur un quart de milles jusqu’au mouillage du Moulin Neuf. Les rives sont bordées de villas patriciennes, les fameuses malouinières des riches armateurs de Saint-Malo qui préféraient l’environnement verdoyant de la Rance à l’ambiance grise et minérale du Saint-Malo intra-muros. La malouinière est l’emblème de la Rance au même titre que les nombreux moulins à marée qui étaient disséminés sur toute la longueur de la ria jusqu’à
Dinan. Après la pointe de Cancaval, l’étau se resserre jusqu’à l’anse de Montmarin, et son ponton de bois de soixante mètres de long qui sert de débarcadère aux annexes. La malouinière de Montmarin est réputée pour être la plus belle avec ses jardins à la française qui descendent en pente douce jusqu’à l’estran. C’est l’un des mouillages de prédilection des plaisanciers malouins qui peuvent bénéficier ici d’un champ de bouées corps-mort à l’année organisé par la commune de Pleurtuit.
Le charme de Saint-Suliac
En face, l’anse de la Passagère est tout aussi réputée pour son charme bucolique et l’imposante maison qui a appartenu au commandant Charcot. Celui-ci avait pris l’habitude de faire caréner son Pourquoi Pas ? à la cale sèche en bois du chantier Lemarchand. S’il existe de nombreuses cales de mise à l’eau, seules une poignée, dont celles de La Richardais, de Jouvente et de la Landriais sont accessibles à marée basse. Depuis Montmarin, le meilleur endroit
pour les aficionados de la Rance, le village de Saint-Suliac n’est qu’à trois milles de distance. Il est visible de loin grâce à son clocher en granit et ses maisons aux toits d’ardoise. L’ancienne base arrière des terre-neuvas a conservé son charme d’antan. C’est une escale incontournable. On y trouve une cale à l’accès facile et un vrai petit port de plaisance comme à Plouër situé un peu plus en amont.
Un changement d’atmosphère
Saint-Suliac marque le début d’une nouvelle grande plaine marine qui se resserre au niveau des deux ponts routiers qui enjambent la Rance. Il faut bien prendre garde de suivre le chenal balisé. Aux vertes rives encaissées succèdent très vite des vasières constellées de roseaux sauvages. Les saveurs maritimes se retirent au profit d’odeurs plus champêtres. L’arrivée devant l’écluse du Châtelier vient confirmer ce changement d’atmosphère. Le sas s’ouvre à la demande en journée à partir de 8,50 m d'eau. C'est le commencement de la Rance fluviale. Les remparts de Dinan ne sont plus qu'à une demi-douzaine de kilomètres.