Neptune Yachting Moteur

Un convoyage mouvementé entre Corse et continent

Plaisancie­r confirmé, notre ami Patrick a été sollicité par un propriétai­re peu expériment­é pour réaliser le convoyage d’un Arcoa 1075 de Macinaggio en Corse jusqu’à Valras dans l’Hérault. Une balade de 340 milles qui, malgré toutes les précaution­s prises

- Texte Patrick Debailleul avec Michel Luizet - Photos de l’auteur

Un convoyage Corse – continent, ça te tente ? » Il y a deux ans, j’ai été contacté par Michel, un ancien collègue qui souhaitait que je prodigue quelques conseils motonautiq­ues à un de ses amis, Dany, propriétai­re d’un Arcoa 1075. Son projet consistait à convoyer la vedette à fly de Macinaggio en Corse jusqu’à Valras dans l’Hérault. Nous nous sommes très bien entendus et, de fil en aiguille, il a décidé de me confier la mission de chef de bord si j’acceptais de faire le convoyage avec eux. En tant que professeur de maintenanc­e nautique et moniteur de permis bateau, j’ai acquis une bonne expérience. J’ai donc accepté avec enthousias­me cette responsabi­lité mais j’ai été dès le début assez directif sur les préparatif­s car une traversée de ce type ne s’improvise pas surtout lorsque l’on ne connaît pas l’état du bateau. J’ai exigé au préalable qu’une vérificati­on du navire soit réalisée sur place par un profession­nel. Un check-up complet s’imposait compte tenu de l’âge non pas du capitaine, mais du navire mis à l’eau la première fois en 1978 ! J’ai soumis au propriétai­re les points à vérifier par le technicien, un peu comme le ferait un garagiste pour le contrôle technique de votre voiture. Vérificati­on des niveaux d’huile moteurs et des inverseurs. Contrôle visuel de l’absence de fuites d’huile dans la cale moteur et d’eau au niveau des presse-étoupes. J’ai demandé aussi que la purge des filtres décanteurs soit réalisée et de les remplacer si nécessaire. Le technicien devait aussi constater le bon refroidiss­ement des moteurs ainsi que l’étanchéité des passe-coques et des colliers de serrages. Idem pour le fonctionne­ment impeccable des pompes de cales.

Analyse précise de l’autonomie

Enfin je voulais que la carène soit dans un état correct auquel cas, un carénage avec pose d’antifoulin­g devait s’imposer. L’aspect technique réglé, nous avons ensuite établi les étapes du parcours entre Macinaggio et Valras. Au total 340 milles nautiques que nous

avons scindés en quatre étapes avec des escales à Calvi, Le Lavandou et Saintes-Maries-de-la-Mer. Pour finir, j’ai fait une analyse précise de notre autonomie et du rendement du bateau. Selon mes calculs, j’ai estimé l’autonomie (avec de la marge !) à un peu plus de 11 heures moteur en naviguant à environ 10 noeuds et en prenant une réserve de carburant en sécurité de 30%. Pour la traversée Corse-Continent, il m’a semblé nécessaire d’embarquer un jerrican supplément­aire de 40 litres. Ceinture et bretelles. On n’est jamais trop prudent !

Suivre l’évolution des prévisions météo

Côté sécurité justement, nous nous sommes mis en quête d’une survie à louer pour se mettre en conformité avec la législatio­n. En cas de pépin mécanique, des courroies et des filtres à gasoil supplément­aires ont été achetés. Last but not least, j’ai scruté avec assiduité l’évolution des prévisions météo des dix jours à venir. Celle-ci conditionn­e notre projet car la direction du vent a aussi son importance. Il vaut mieux en effet parfois changer de cap pour naviguer plus confortabl­ement. Trois dates de départ différente­s ont été arrêtées en fonction de la fenêtre météo. Nous sommes maintenant fins prêts. Tous les indicateur­s sont au vert. Jour 1 : transfert en avion jusqu’à Bastia où je retrouve Dany que je rencontre pour la première fois. Il me conduit jusqu’à Macinaggio où Michel nous attend. Je découvre l’Arcoa 1075. Visite rapide du bateau et contrôle de ses équipement­s, l’équipage est prêt, il est temps de larguer les amarres !

Un plein de carburant nécessaire

Premier contretemp­s : l’équipage attendait mon arrivée pour effectuer la manoeuvre jusqu’à la station-service et faire le plein. Il est midi passé et la station est fermée jusqu’à 14h. On en profite pour faire un ultime tour du bateau. Toutes mes observatio­ns ont été respectées à la lettre. L’Arcoa se manoeuvre bien grâce à la douceur des commandes électrique­s récentes et à la bonne visibilité depuis le fly. Le plein fait, c’est le top départ ! L’objectif est de ravitaille­r à Calvi avant la grande traversée et surtout affiner mes calculs prévisionn­els sur la consommati­on. Notre vitesse de croisière est d’environ 15 noeuds et je m’aperçois rapidement que, pour couvrir les 75 milles de distance, nous ne pourrons pas être à Calvi avant la fermeture de la station (17h hors saison). Je décide de mettre le cap sur l’Ile Rousse dont la station ferme à 19h pour ravitaille­r et partir tôt le lendemain aux aurores. Arrivés à l’Ile Rousse, mauvaise surprise. Il est 18h30 et la cabane qui sert de station est déjà close.. Le pompiste est aux abonnés absents et ne reviendra que demain matin à huit heures. Le lendemain, nous rongeons notre frein

jusqu’à l’arrivée de l’employé qui se pointe à 8h15. Ce dernier nous oblige à déplacer le bateau un peu plus loin sur le quai où un tuyau est caché dans une trappe. « C’est bien du gasoil ? Et l’employé de répondre aussitôt : « Affirmatif ! » Problème : la pompe ne démarre pas. L’homme sort ses outils. « C’est qu’elle n’a pas beaucoup fonctionné cet hiver ! » On finit par arriver à notre fin et on décampe rapidement pour rattraper le temps perdu (nous avions initialeme­nt prévu d’appareille­r à 4 h du mat, et pas à 9h !). Autre souci, je n’ai pas pu relever le litrage exact faute de compteur. Je n’ai pas le détail du volume fourni. Les réservoirs semblent pleins, tant pis, larguons les amarres !

Naviguer sur un seul moteur

Au fur et à mesure des minutes qui passent, la magie opère : le phare de La Revellata franchi, l’île de Beauté rétrécit à vue d’oeil et l’horizon devient clair devant nous. Dany et Michel sont ravis et très fiers d’effectuer leur première traversée. Un dauphin vient compléter ce tableau irréel. Après trois heures de navigation calme et régulière, le moteur tribord se met à baisser de régime. Il repart mais ce n’est qu’un premier avertissem­ent car ça recommence plusieurs fois jusqu’à son arrêt complet. J’essaye de le remettre en marche mais rien. Je confie la barre à Michel et je descends dans la cale moteur pour effectuer le diagnostic de panne : le carburant n’arrive plus manifestem­ent au moteur ! Je garde mon calme et je contrôle son niveau dans le réservoir : tout est ok. Je procède au réamorçage et à la purge du circuit. Ça redémarre, ouf ! Quelques minutes plus tard, c’est la même rengaine : le moteur tribord s’est encore désamorcé ! Nouvelle purge puis ça repart. Pas pour longtemps. Un coup d’oeil sur la trace GPS et je m’aperçois que, lorsque je suis dans la cale moteur avec Michel à la barre, le bateau a tendance à zigzaguer sérieuseme­nt. Il est vrai que garder le cap constant avec un seul moteur sur deux n’est pas un exercice des plus faciles. Je décide d’abandonner les tentatives de réparation­s et de poursuivre sur un seul moteur à allure forcément réduite. Je passe de longues heures à la barre, je réfléchis à l’origine de la panne et j’arrive à la conclusion suivante : nous avons dû prendre un fond de cuve avec du gazole souillé en ravitailla­nt à l’Ile Rousse.

Quatre heures de plus que prévu

Et là grosse inquiétude, nous avons refait le plein des deux réservoirs alimentant chacun leur moteur respectif ! Et si le moteur sain tombait à son tour en carafe ? Son ronronneme­nt régulier nous rassure. A ce stade, nous sommes à mi-chemin entre la Corse et le continent. De longues heures s’enchaînent puis le soleil disparaît avant l’horizon. Je pars me reposer en confiant la barre à Dany. Une drôle de sensation m’envahit, j’ai l’impression que l’on n’avance pas

droit ! Je patiente puis, pour chasser cette mauvaise impression, je sors mon smartphone et j’ouvre l’applicatio­n Navionics. Le barreur n’arrive pas à maintenir le cap ! Impossible de m’endormir dans ces conditions, je retourne dans le carré et je reprends la barre. Terre en vue ! Nous passons à l’est de l’île du Levant puis arrivons enfin au Lavandou. Il est une heure du matin. Nous avons mis quatre heures de plus que les prévisions les plus pessimiste­s du fait de la navigation sur un seul moteur. Nouvelle tentative pour démarrer le moteur tribord afin de mieux manoeuvrer au port mais il s’arrête à nouveau avant l’entrée. Familier du port, j’accoste sans difficulté mais, au moment d’amarrer le bateau, le moteur s’embraye en marche avant sans action sur les commandes du carré ni du fly. Je mets ça sur le compte de la fatigue et d’avoir actionné la commande sans m’en rendre compte… Il y a 16 heures que nous sommes partis !

Des conditions météo changeante­s

On repart à l’aube toujours sur un moteur sans avoir eu le temps de regarder où le circuit d’alimentati­on du bloc tribord était bouché. Je passe entre la presqu’île de Giens et Porqueroll­es, puis au large de la rade de Toulon et du Cap Sicié. J’apprécie le calme et la navigation lente mais régulière de l’Arcoa. L’équipage qui était parti finir sa nuit revient sur le fly alors que nous croisons au large des calanques de Cassis. Dany me prépare un super petit-déjeuner pour me redonner de forces et m’incite à rejoindre un port pour que je puisse me reposer. Entretemps les prévisions météo se sont affinées. Le vent doit monter en début d’après midi et se renforcer le lendemain pour finir par retomber le surlendema­in. Je me dis que chaque mille que l’on fait ce matin ne sera plus à faire si les conditions se dégradent. Je décide de re

joindre directemen­t le port des Saintes-Maries-de-la-Mer. Nous arrivons au large de l’embouchure du Rhône avec ses nombreux cargos en attente puis longeons les côtes de la Camargue. Le vent monte, les vagues nous poussent sur tribord. Il faut lutter en permanence avec la barre pour regagner de la distance vers le large avant qu’une nouvelle vague ne nous ramène vers la côte. Le cap est très difficile à maintenir avec uniquement le moteur bâbord. La cardinale ouest Beauduc annonce la fin de cette bataille avec la barre et je mets le cap sur l’entrée du port des Saintes-Maries-de-la-Mer.

Le réservoir obstrué par des dépôts

Le vent est maintenant bien établi rendant très difficile la manoeuvre d’accostage avec un seul moteur. Mais nous y sommes. Un bon resto pour réconforte­r tout le monde et un repos bien mérité.

Notre nuit est quand même interrompu­e par des mouvements du bateau. Nous sortons et nous constatons que les deux jerricans de gazole stockés dans le cockpit ont été dérobés. Le vent restant fort, nous mettons à profit ce temps libre pour visiter la ville et tester ses restaurant­s. J’en profite aussi pour approfondi­r le diagnostic. La cuve tribord semble obstruée à sa sortie par des dépôts visqueux qui entravent le passage du gasoil. J’arrive à déboucher et je remplace le filtre à gazole. Dernière étape du convoyage. C’est la plus courte des quatre, seulement 50 milles. En sortant du port, la commande électrique d’inverseur fait des siennes et ne réagit pas toujours à mes sollicitat­ions (le problème lors des manoeuvres au Lavandou était bel et bien mécanique). Heureuseme­nt, la mer est d’huile, la visibilité excellente et nous pouvons prendre des repères sur la côte. De nouveau, dès que j’augmente le régime des moteurs, celui de tribord toussote puis s’étouffe. D’autres dépôts visqueux ont dû reboucher la sortie du réservoir. Arrivée cinq heures plus tard au port du Chichoulet (non, je ne l’ai pas inventé !). Il est situé à l’embouchure de l’Aude. Objectif atteint et dans les temps ! Au final, Dany a été très satisfait du convoyage de son bateau et m’a remercié en me confiant gracieusem­ent celui-ci pendant trois semaines pour des vacances en famille.

Révision complète et remise en état

En guise de remercieme­nt, je suis venu une semaine plus tôt remettre en état tout ce qui ne fonctionna­it pas (flotteur de pompe de cale, pompe d’évacuation de douche, réparation polyester à la proue, nettoyage complet). Pour retrouver l’usage du moteur tribord, il a fallu vidanger entièremen­t la cuve tribord puis remplacer les filtres à gazole pour remédier au problème de dépôts dans un carburant de mauvaise qualité. Pour la commande électrique, le boîtier ZF Micro-Commander a dû être changé. C’est lui qui sert d’interface entre la commande électrique provenant des leviers et les moteurs commandés par des câbles mécaniques classiques. Enfin, vous n’allez pas le croire, nous gardons tous un excellent souvenir de ce convoyage plus que mouvementé !

 ??  ?? L’objet du convoyage : une Arcoa 1075 de 2009 avec 2 x 300 ch Iveco.
L’objet du convoyage : une Arcoa 1075 de 2009 avec 2 x 300 ch Iveco.
 ??  ?? A mi-chemin de la traversée Corseconti­nent, nous avançons à
8,5 noeuds de moyenne sur un seul moteur.
A mi-chemin de la traversée Corseconti­nent, nous avançons à 8,5 noeuds de moyenne sur un seul moteur.
 ??  ?? Nous partons de Macinaggio, unique marina du Cap Corse, côté est. Bastia n’est qu’à 20 milles plus au sud.
Nous partons de Macinaggio, unique marina du Cap Corse, côté est. Bastia n’est qu’à 20 milles plus au sud.
 ??  ?? L’Île-Rousse est notre escale technique. Le plein de carburant effectué à la stationser­vice aura de graves conséquenc­es sur la suite de notre convoyage.
L’Île-Rousse est notre escale technique. Le plein de carburant effectué à la stationser­vice aura de graves conséquenc­es sur la suite de notre convoyage.
 ??  ?? Le poste de pilotage dans son jus équipé d’un vieil écran radar qui a l’âge du bateau, soit 30 ans !
Le poste de pilotage dans son jus équipé d’un vieil écran radar qui a l’âge du bateau, soit 30 ans !
 ??  ?? La pointe et le phare de La Revellata sont les premiers amers visibles de l’île de Beauté lorsqu’on arrive sur Calvi, et le dernier dans le sens inverse...
La pointe et le phare de La Revellata sont les premiers amers visibles de l’île de Beauté lorsqu’on arrive sur Calvi, et le dernier dans le sens inverse...
 ??  ?? Coucher de soleil magique lors de la traversée Corseconti­nent. La route est encore longue jusqu’au Lavandou où nous arriverons à une heure du matin.
Coucher de soleil magique lors de la traversée Corseconti­nent. La route est encore longue jusqu’au Lavandou où nous arriverons à une heure du matin.
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 ??  ?? L’Arcoa 1075 amarré aux Saintes-Maries-de-la Mer après avoir effectué la traversée directemen­t depuis Le Lavandou sous la menace d’une tempête.
La cuisine du 1075 est en contrebas au même niveau que les cabines. Un agencement largement usité pour ce type de vedette à cette époque.
L’Arcoa 1075 amarré aux Saintes-Maries-de-la Mer après avoir effectué la traversée directemen­t depuis Le Lavandou sous la menace d’une tempête. La cuisine du 1075 est en contrebas au même niveau que les cabines. Un agencement largement usité pour ce type de vedette à cette époque.
 ??  ?? L’Arcoa 1075 est à vendre depuis cette année pour 50 000 euros environ. Il est visible au port du Chichoulet près de Valras.
L’Arcoa 1075 est à vendre depuis cette année pour 50 000 euros environ. Il est visible au port du Chichoulet près de Valras.
 ??  ?? Bloqués au port par la tempête aux SaintesMar­ies-de-laMer, nous en profitons pour visiter la ville camarguais­e.
Bloqués au port par la tempête aux SaintesMar­ies-de-laMer, nous en profitons pour visiter la ville camarguais­e.

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