Neptune Yachting Moteur

M/Y Fortuna Le cadeau empoisonné

- Texte Michel Luizet - Photos DR

Offert au roi Juan Carlos en 2000 par un groupement d’entreprene­urs espagnols, l’incroyable Fortuna, le yacht le plus rapide du nouveau millénaire, porte en lui tous les germes du cadeau empoisonné. Treize ans plus tard, le bateau devient le témoin trop visible des malversati­ons et des petits arrangemen­ts entre amis d’un souverain peu scrupuleux.

Un cadeau à 21 millions d’euros, ça ne se refuse pas ! C’est ce qu’a dû se dire Juan Carlos quand, en 2000, les élus de la région des Baléares et un groupement de vingt-cinq capitaines d’industrie espagnols lui ont offert un yacht flambant neuf de 41 m de long. Le souverain est coutumier de ce genre d’attention.

Vingt ans plus tôt, le roi Fahd d’Arabie Saoudite l’a déjà gratifié d’un présent digne de son rang afin de sceller « l’amitié étroite » entre les deux familles royales. Il s’agit alors d’un yacht d’occasion de 33 m entièremen­t refité et pourvu de huit cabines. Celui-ci succède à un yacht de 20 m acquis par Juan Carlos en 1976 au moment de son avènement. L’homme est un amoureux de la mer depuis son plus jeune âge. C’est un marin aguerri qui aime autant la voile en compétitio­n que les croisières familiales. « Je n’échangerai­s une journée en mer contre rien au monde, dira-t-il à un journalist­e. Si je n’étais pas contraint d’habiter le palais de la Zarzuela, je pourrais passer ma vie sur l’eau. » A bord du yacht donné par le roi saoudien, il navigue en famille au départ de Palma de Majorque où le roi a ses habitudes. Il reçoit à bord des têtes couronnées (Baudouin et Fabiola, l’Aga Khan, la princesse

Lady Di) et quelques politiques aussi (Bill Clinton, le Premier ministre espagnol Aznar). Il peut laisser libre cours aussi à sa passion pour la vitesse. Le yacht ne file-t-il pas à 40 noeuds à plein régime ? Cependant, après vingt ans de croisières méditerran­éennes, le bateau commence à montrer des signes de faiblesse. Un jour, il tombe en panne moteur et doit être remorqué jusqu’à la marina alors que le Prince Charles est l’invité

du bord. « Ce yacht est pire qu’une 4L », aurait déclaré le roi d’Espagne. A la fin de la saison, il le met aux enchères mais personne n’en veut. Nul ne sait aujourd’hui ce qu’il est devenu. Le yacht offert par les businessme­n des Baléares qui ont mis chacun 600 000 euros au pot arrive donc à point nommé. Comme les précédents navires royaux, il sera baptisé Fortuna. Construit aux chantiers Izar de Cadix, sa ligne extérieure est l’oeuvre du designer italien Tommaso Spadolini tandis que la décoration intérieure est assurée par l’architecte milanais au style baroque, Celeste dell’Anna.

Fortuna détonne également par son bagage technologi­que. Le yacht est équipé de deux moteurs Man de 1 280 ch complétés par trois turbines gaz Rolls Royce développan­t chacune 6 700 ch, couplées à une propulsion jet Kamewa. Les performanc­es sont à la hauteur de la cavalerie. En pointe, Fortuna atteint les 70 noeuds ce qui fait de lui encore aujourd’hui le yacht le plus rapide du monde. Même le Wally Power 118 lancé trois ans plus tard ne fera pas mieux. La coque est doublée de fibres d’aramide pour la rendre totalement insensible aux impacts de balles. Cette luxueuse Formule 1 des mers sera le lieu de villégiatu­re favori des membres de la couronne espagnole jusqu’aux révélation­s fracassant­es sur les malversati­ons financière­s de son gendre à la fin des années 2000. Le roi est à son tour épinglé pour son train de vie, ses frasques sentimenta­les et ses tricheries vis-à-vis du fisc. L’infortuné Fortuna et ses pleins de carburant à 20 000 euros font les choux gras de la presse espagnole. Le yacht royal a tout du sparadrap du capitaine Haddock. Sous pression, le souverain est contraint en mars 2013 de s’en séparer et de le rendre sans condition à ses anciens bienfaiteu­rs. L’affaire se fait non sans heurts, l’équipage attaquant les autorités pour licencieme­nt abusif. Le grand public découvre ainsi que les sept membres d’équipage étaient plutôt grassement payés - 137 000 euros annuels net pour le capitaine, 60 000 euros pour les marins – grâce aux contribuab­les espagnols, alors que le yacht est sorti moins de six heures sa dernière année. Les entreprene­urs cherchèren­t à leur tour à se débarrasse­r de ce cadeau empoisonné. Mis en vente 10 millions d’euros, ils trouvèrent finalement un acquéreur un an plus tard après avoir baissé le prix de 20 %. Le nouveau propriétai­re est la compagnie de ferries Balearia Eurolineas Maritimas. Fortuna est aussitôt rebaptisé Foners. Il est aujourd’hui visible à Denia, son port d’attache.

 ??  ??
 ??  ?? Palma de Majorque est la base arrière de la famille espagnole qui y prend ses quartiers d’été. C’est aussi le port d’attache de Fortuna.
Palma de Majorque est la base arrière de la famille espagnole qui y prend ses quartiers d’été. C’est aussi le port d’attache de Fortuna.
 ??  ??
 ??  ?? FORTUNA (2000)
Longueur 41,50 m Largeur 9 m Puissance 2 x 1 289 ch Man/3 x 6 700 ch turbines Rolls Royce/jet Kamewa Poids 180 tonnes Matériau Aluminium Equipage 6 + 1 capitaine Vitesse maxi 70,1 noeuds
Designer Tommaso Spadolini
Déco intérieure Celeste dell’Anna
FORTUNA (2000) Longueur 41,50 m Largeur 9 m Puissance 2 x 1 289 ch Man/3 x 6 700 ch turbines Rolls Royce/jet Kamewa Poids 180 tonnes Matériau Aluminium Equipage 6 + 1 capitaine Vitesse maxi 70,1 noeuds Designer Tommaso Spadolini Déco intérieure Celeste dell’Anna
 ??  ?? La famille royale réunie à la proue de Fortuna autour du souverain Juan Carlos en polo bleu.
La famille royale réunie à la proue de Fortuna autour du souverain Juan Carlos en polo bleu.

Newspapers in French

Newspapers from France