Franck Darnet, le frenchy du superyacht
Avec patience et passion, Franck Darnet, fondateur du cabinet de design éponyme, impose sa griffe dans l’univers très sélectif des yachts et des superyachts. Un parcours sans faute qui remonte à l’enfance.
Franck Darnet a été nourri aux belles choses. Dans ses ateliers du faubourg Saint-Antoine, haut lieu parisien de l’ébénisterie, son père Jacques et soixante ouvriers spécialisés fabriquaient des meubles et des canapés d’exception pour les palais princiers, les ambassades et les demeures des grands de ce monde. Une enfance à côtoyer des compagnons, à respirer des essences de bois précieux, à toucher les plus beaux cuirs et les meilleurs tissus va forger une indélébile culture de l’esthétisme.
Diplômé de l’école Boulle
Cette enfance que l’on imagine heureuse s’est accompagnée très tôt de la découverte de la mer et de la navigation en Bretagne, en suivant un parcours classique, avec des débuts en Optimist, puis l’école des Glénans, prolongés par d’autres navigations plus lointaines. Le mobilier d’art et l’univers maritime seront les deux clefs, les piliers fondateurs du parcours de Franck Darnet. Une vie professionnelle qui se structure en intégrant l’école Boulle dont il sortira cinq ans plus tard diplômé des Métiers d’Art, spécialité Ameublement. La phase maritime débute en 1990 lorsque, diplôme en poche, Franck Darnet sonne chez Jean-Marie Finot, un architecte naval réputé. Une période très riche qui durera six années, se souvient Franck : « JeanMarie dessinait à la main des bateaux et des ébauches d’intérieurs. Il me donnait sa liasse de dessins, charge à moi d’en faire des plans précis et réalisables. A cette époque, j’ai conçu beaucoup d’intérieurs pour
des grands chantiers comme Bénéteau, mais aussi des yachts customs pour des particuliers. » Cette période est entrecoupée d’une année sabbatique à naviguer dans le Pacifique en voilier, une immersion longue durée dans l’univers maritime, dont l’effet se répercute encore aujourd’hui. Il y a vingt-deux ans, Franck Darnet pose son sac de marin/designer à Nantes, dans un grand loft lumineux au bord de l’Erdre et, si son travail est majoritairement centré sur la plaisance et la grande plaisance, il s’autorise quelques incursions vers le fluvial en dessinant les batobus qui sillonnent la Seine à Paris, ou vers l’immobilier de prestige avec des hôtels spa en Bretagne et à Marseille, sans oublier des autobus blindés pour le roi d’un pays du Moyen Orient, ou encore des maisons sous-marines. Mais l’essentiel reste la plaisance avec deux partenaires principaux: le groupe allemand Hanse avec les catamarans Privilege Marine et Fjord, et le groupe Grand Large qui possède plusieurs marques comme Outremer, Garcia Yachts, Allures Yachting et maintenant RM, pour
qui Darnet Design dessine 80 % de la production. On voit également sa signature chez Neel Trimarans ou chez Black Pepper. Mais les bateaux grandissent et des chantiers français et internationaux, de même que certains confrères prestigieux s’intéressent à son travail, pour ne citer que Bruce Farr, Philippe Briand ou Espen Oeino. Alors Darnet Design signe les intérieurs et le mobilier extérieur d’Africa (45 m) et d’Atomic (45 m), construits chez Sunrise en Turquie (aujourd’hui fermé). Il collabore avec le chantier américain Lazzara Yachts sur un motoryacht de 110’, avec JFA sur le Long Island 85, un catamaran de 26 m, ou encore avec Taurus Marine, pour le Licia C24M, un grand catamaran turc à moteur de 24 mètres.
Un travail de patience
D’autres unités naviguent, sont en construction ou en projet, comme le YXT de Lynx Yachts, un yacht support de 24 m, ainsi que deux projets de 86 m et 107 m très avancés, dessinés intégralement par Darnet Design, sans oublier un 64 m lancé récemment à Viareggio en Italie.
Alors évidemment une question nous brûle les lèvres: comment parvient-on à intégrer le monde des superyachts largement dominé par les designers anglo-saxons et italiens? Franck Darnet évoque le temps, le travail et les relations: « Ce sont des choses qui se construisent petit à petit. Un projet en appelle un autre ; il est vu, commenté, puis des contacts se nouent. C’est malgré tout un travail de longue haleine. » Franck poursuit: « Il faut aussi se faire voir, participer à des salons, à des événements mondains, côtoyer les milieux que fréquentent nos clients potentiels » (même s’il confesse ne pas courir après, ndlr). Au-delà du relationnel et du bouche-à-oreille, il y a une véritable réalité commerciale à maîtriser. Le coût d’un intérieur varie entre 20 000 e et 60 000 e par tonneau de jauge brute, selon le travail demandé, les matières utilisées et la complexité du projet. La maîtrise des coûts est l’autre facette du travail, une tâche usuelle pour les architectes et les designers, souvent occultée, pourtant aussi importante que le rendu esthétique final. Ce que Franck Darnet définit comme le « design to cost », à savoir que le projet doit toujours s’accompagner d’une évaluation chiffrée réalisable à défaut parfois d’être raisonnable. Mais comment définir le style Darnet ?
Un style moderne et intemporel
Le principal intéressé place la modernité et surtout l’intemporalité comme valeurs premières, en évitant l’écueil du bling-bling et de l’extravagance, un exercice délicat qui implique toujours le donneur d’ordres, qu’il soit un chantier ou un propriétaire. Starlight, un 86 m qui est l’une des dernières réalisations de Darnet Design, est intéressant à plus d’un titre. Ce projet
est né de la collaboration entre Darnet Design et TWW (Thompson, Westwood & White), un important broker basé à Monaco. Ces fins connaisseurs du marché ont estimé viable de lancer l’étude d’un superyacht, sans même avoir de client et Darnet Design s’est vu confier la charge de définir et de réaliser la totalité du projet, intérieur et extérieur. Aujourd’hui, les plans de ce yacht sont finalisés et Starlight est prêt à entrer en chantier, pour une livraison possible en 2024, un délai acceptable pour un chantier comme pour un futur client.
Le cercle des designers français
Malgré une charge de travail importante et de nombreux déplacements professionnels, Franck Darnet donne des cours à l’ENSA (Ecole nationale supérieure d’architecture) de Nantes qui, depuis 1991, propose un DPEA (Diplôme propre aux écoles d’architecture) d’architecture navale. Darnet Design contribue à faire entrer la France dans le cercle très fermé des architectes designers de superyachts, aux côtés de Rémi Tessier, de Jacques Pierrejean et de Philippe Briand, faisant jeu égal avec les stars italiennes et anglo-saxonnes.