La plus grande collection du monde
Dans les années 1970, les nombreux petits chantiers du lac de Côme doivent évoluer pour ne pas disparaître alors que le plastique remplace le bois. Personne ne veut plus conserver les « vieux bateaux » sauf un certain GianAlberto Zanoletti.
Les Romains le savaient bien. Le lac de Côme a quelque chose d’unique. La famille des Pline, l’Ancien et le Jeune, y tenait de somptueuses villas. Très profond, aux rives escarpées adossées à la roche abrupte, ce long axe nord-sud à deux branches relie les riches plaines lombardes au reste de l’Europe par-delà le pays des Helvètes. L’Empire qui entretenait cinq flottes pour régner sur le monde connu en avait basé une dans la baie de Côme, démontrant l’importance stratégique de cette voie d’eau pour le commerce et d’éventuelles invasions. La nature sait faire des cadeaux mais la géographie s’impose toujours aux hommes. Pas ou peu de routes, des chemins tortueux menacés par le ravinement ont tôt fait de développer la navigation sur ce lac majestueux. Rien d’étonnant qu’au fil des siècles des dizaines et des dizaines de chantiers se soient égrenés au long de ses côtes, au service de populations industrieuses, rudes et fières. L’essor de la plaisance et l’implantation de riches villas où la gentry milanaise et européenne venait se ressourcer au XIXe siècle ont encore renforcé
l’expansion des activités nautiques dans tous les domaines, pêche, transport de denrées et de passagers, rame, aviron, voile, vapeur puis moteur thermique.
Un vrai travail de Romain
Même la saga de la famille Riva a commencé là, en 1771, et Daniele Riva, héritier d’Ernesto et des maîtres d’art de cette longue lignée, produit toujours des bateaux sur les hauteurs de Côme. Des noms comme Abbate, Cranchi,
Timossi, Taroni ont ensuite connu la gloire au XXe siècle mais certains n’ont pas pu ou voulu survivre à la transformation des traditions par l’avènement imparable de la construction en plastique. Au tournant des années 1970, par désintérêt, manque de place ou volonté de tourner la page vers la modernité, nombre de chantiers et de propriétaires commencent à abandonner leurs embarcations en bois aux intempéries quand il ne s’agit pas de les réduire tout simplement en fagots pour l’hiver. Sans ce décor millénaire planté, l’action décisive d’un pionnier de la sauvegarde du patrimoine nautique ne saurait être mesurée dans toute son ampleur.
Le plus incroyable inventaire
C’est ici qu’entre en scène GianAlberto Zanoletti. Résidant à Milan et sur le lac de Côme, passionné par les rapports de l’homme avec la nature, il a parcouru le globe, photographié les fonds marins et même couru tout court, battant en 1970 un record du monde en catégorie SF de 1000 cm3 sur une coque Abbate à moteur Carniti. Rien de la cause des bateaux et de ceux qui les ont conçus et construits ne lui est étranger. En décidant de veiller désormais sur l’héritage laissé sur les rives du lac, il entame, d’abord seul, une longue et tenace collecte. Puis, en 1976, il fonde avec une poignée de fidèles l’association qui donne naissance en 1982 au Museo della Barca Lariana. Ce véritable refuge pour espèces en voie d’extinction installé dans une ancienne filature avec de
vastes réserves a permis de sauver un inestimable trésor fait de coques de toutes sortes, de moteurs, d’artefacts, d’archives et de plans qui constituent une collection unique au monde de plus de 400 bateaux. En 2014, sur www.barchedepocaeclassiche.it, cet humaniste évoque ainsi sa mission : « Comme dans la nature, la richesse de l’espèce humaine vient de la variété de tout ce qui l’entoure. Cela vaut pour les bateaux. Si une typologie disparaît avec son histoire, c’est l’humanité qui s’appauvrit. »
Un conservatoire hors du temps
Peu après, le destin le frappe d’une maladie dégénérative alors que son musée est fermé pour des raisons de normes. Son fils Ferdinando Zanoletti prend alors la relève de manière décisive. Il crée une fondation et lance une grande rénovation qui aboutit en 2018 à la réouverture au public de ce musée dont l’exploration est devenue plus fascinante que jamais. Son père GianAlberto a pu assister à cette renaissance avant de disparaître un an plus tard. Cet incroyable musée hors du temps lui est dédié.