La route du cidre
Ne cherchez pas la mer… Une fois n’est pas coutume, Neptune vous embarque au centre d’une Bretagne méconnue et verdoyante, terre de légendes arthuriennes, parsemée de mégalithes au milieu desquels coulent des rivières intimistes. L’une d’entre elles, l’Oust, ne forme qu’un avec le canal de Nantes à Brest que nous avons remonté de Glénac à Malestroit.
Faute de pouvoir partir vers des destinations exotiques, les Français ont, l’année dernière, massivement privilégié le littoral pour leurs vacances, avec parfois une saturation qui frisait l’étouffement. Crise sanitaire oblige, il y a de fortes chances pour que l’été 2021 soit identique. Et si se mettre au vert, loin de l’agitation des foules, représentait la solution idéale pour profiter sereinement d’une saison estivale qui risque d’être encore atypique? C’est ce que nous avons voulu vérifier, en louant un bateau en Bretagne. Mais pas cette Bretagne maritime, avec les images d’Épinal qu’elle véhicule. Celle de l’intérieur, plutôt, qui recèle de rivières, de rias, d’estuaires et de cours d’eau, certains se jetant dans l’océan, tandis que d’autres alimentent un réseau fluvial qui, s’il n’est pas aussi vaste que celui de l’est ou du sud de la France, mérite néanmoins largement le détour.
Une nature préservée
On pense notamment à la Vilaine, à la Rance, après Dinan, ou bien à l’Ille, vers Rennes, sans oublier le fameux canal de Nantes à Brest, sur lequel nous avons justement
caboté. Ce réseau de rivières est capable d’accueillir de grosses unités de 15 mètres de long, comme la nôtre. Il s’agit d’un Octo Fly C, fabriqué et loué par Nicols, un des spécialistes dans ce domaine. Ce dernier possède de nombreuses bases en France, mais aussi dans toute l’Europe. Nous avons donc remonté l’Oust entre Glénac et Malestroit, au coeur de l’Argoat, cette Bretagne « terrienne » assez méconnue. À tort, car ce type d’échappée permet de découvrir des paysages préservés, des rives verdoyantes et parfois vallonnées et surtout un patrimoine d’une richesse exceptionnelle. Seul impératif : ces balades ne peuvent s’effectuer qu’à la belle saison, les écluses étant ouvertes d’avril à octobre uniquement. Voilà qui ne pose aucun problème pour notre navigation, bucolique à souhait, et qui s’est déroulée à cette période où la nature renaît, où les berges s’habillent de ce vert tendre propre au début du printemps. Dès les premiers tours d’hélices, les oiseaux accueillent notre arrivée à coups de trilles.
Un autre rythme à apprécier
Cette bande-son donne le ton de notre croisière et nous accompagnera tout au long des soixante kilomètres qu’elle représente. Oubliez les noeuds et les milles nautiques; dans les eaux intérieures, les distances comme les vitesses s’expriment en kilomètres/heure et en kilomètres. D’ailleurs, il n’y a pas que ses réflexes de marins d’eau salée dont il faut se débarrasser. Ici, il est nécessaire de réapprendre à profiter du temps qui passe. Le bateau vous y obligera, puisque son rythme de croisière tourne aux alentours des 6 kilomètres/heure (8 en pointe). Ce train de sénateur permet d’apprécier les décors assez changeants de l’Oust, cette rivière canalisée par endroits qui constitue
l’un des tronçons du canal de Nantes à Brest. Tout débute à Glénac. Ce charmant village morbihannais, bordé de bois denses, est désormais intégré au giron de La Gacilly, commune toute proche que l’on peut d’ailleurs rejoindre par bateau, dans la direction opposée, vers le nord. Glénac est à la croisée de plusieurs chemins, notamment fluviaux, puisque l’Aff (qui marque la frontière entre le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine) se jette dans l’Oust à ce niveau. Ce n’est donc pas un hasard si Nicols y a implanté sa base, située à un carrefour stratégique des voies navigables bretonnes: la Vilaine s’établit sur un axe nord-sud et le canal de Nantes à Brest, dans le sens estouest, avec l’Erdre qui file en direction de Nantes. Les abords de
Glénac ont subi des transformations lors de la canalisation de l’Oust, mais les marais, particulièrement appréciés des aigrettes, hérons et échassiers en tout genre, y figurent toujours en face de l’Île aux Pies. C’est d’ailleurs par cette portion de la rivière que nous rejoignons la première écluse.
À la rencontre des éclusiers
Nous en dénombrons cinq sur notre parcours jusqu’à Malestroit, certaines présentant un intérêt patrimonial certain, à l’image de la porte de garde du Limur, sur la commune de Peillac, qui ne manque pas de charme avec sa maison attenante. Toutes sont occupées par un éclusier qui est en charge d’ouvrir et de fermer les portes. Vous pouvez vous signaler votre présence par un coup de Klaxon en arrivant, mais quoi qu’il en soit, les éclusiers communiquent entre eux et votre venue sera de toute façon annoncée. Les
écluses sont gérées et entretenues par le conseil régional de Bretagne, et disposent de quais d’attente si besoin. Leurs horaires peuvent varier en fonction de la période, mais en été il est possible de les emprunter de 9 h à 19 h, avec une pause d’une heure le midi, entre 12 h 30 et 13 h 30. Précisons que Nicols propose différents types de croisières au sein d’un catalogue très fourni, et que l’on peut les choisir en fonction de ses moyens, mais également de la durée. Par exemple, notre balade peut être effectuée en l’espace d’un weekend, soit cinq heures de navigation à l’aller et autant au retour. Ce qui laisse largement le temps pour profiter de la vie à bord ou pour se promener à travers la campagne environnante.
Un voyage paisible et touristique
Ceux qui disposent de davantage de temps pourront aller jusqu’à Josselin, dont le château majestueux domine la rivière. Même avec Malestroit comme objectif, ce tronçon permet d’admirer des rives et des villages qui se succèdent, avec des décors variés : tantôt des chapelles dont on aperçoit
Rectiligne, la partie canalisée de l’Oust n’en demeure pas moins bucolique.
le clocheton, tantôt des châteaux, des calvaires… Après avoir appareillé vers 16 h, et compte tenu des horaires d’ouverture des écluses, nous sommes obligés de faire une escale à Saint-Martin-sur-Oust dès le premier soir. Plusieurs pontons sont disponibles. Le nôtre ne dispose ni d’eau ni d’électricité, mais c’est sans importance car notre Octo Fly C est totalement autonome. Une pause bienvenue qui nous permet de rencontrer l’équipe de la cidrerie La Ruaudais (voir l’encadré page 85), dont la boutique et la crêperie sont situées quasiment au pied de notre ponton. Un heureux hasard qui nous donne l’occasion de déguster (avec modération) leurs cidres récompensés à de nombreuses reprises par des médailles d’or au salon de l’Agriculture. Le reste du trajet est effectué dès le lendemain, cap sur
Malestroit, la bien nommée « Perle de l’Oust ». Trois écluses plus tard, celle qui a reçu le label de Petite Cité de Caractère dévoile ses ponts, son île, ses vieilles pierres et ses maisons à pans de bois. Son histoire est intimement liée à celle du canal de Nantes à Brest, un projet pharaonique lancé par Napoléon Ier en 1811 et inauguré par Napoléon III en 1858. Si l’origine de cette voie maritime est
largement antérieure à l’Empire, c’est bien Napoléon Ier qui en donnera l’impulsion, réalisant l’intérêt stratégique et économique d’un tel ouvrage. D’abord utilisé à des fins commerciales, ce canal est aujourd’hui dédié au tourisme. Pas de risque, donc, d’y croiser ces immenses péniches au gabarit Freycinet! À Malestroit, la nôtre est le plus grand modèle parmi la flotte amarrée au pied de la ville. L’espace pour faire demi-tour est suffisant. Le chemin du retour se fera à notre rythme, au gré de nos envies. Une belle échappée à travers champs et dans le temps!