Le refit de « Blue Bird »
En 1938, le recordman de vitesse britannique, Malcolm Campbell, au sommet de sa gloire, lançait Blue Bird pour enfin réaliser son grand rêve d’enfance, la chasse au trésor. La restauration de ce yacht explorer historique achevée en 2008 a été, elle aussi, une belle aventure.
Le récit de la renaissance de Blue Bird pourrait commencer par « Il était une fois » tant l’existence de Malcolm Campbell (1885-1948) mériterait d’être contée comme une succession d’exploits marqués par les lectures fondatrices d’une enfance heureuse. Un yacht dessiné et construit sur commande reflète toujours la personnalité de son propriétaire, qui cherche ainsi à célébrer une réussite ou à préserver l’intimité de sa vie privée. Le multiple recordman de vitesses n’attend rien de tel du vaisseau avec lequel il vise à réaliser son rêve de gosse en toute liberté, comme les héros de sa jeunesse. Le journaliste anglais, Tom Cunliffe, dans
Blue Bird, Seven Decades at Sea, cite à ce propos T.E. Lawrence (1888-1935), plus connu sous son surnom de Lawrence d’Arabie :
« La plupart des hommes rêvent la nuit, mais tout s’efface au réveil. Les rêveurs éveillés, eux, sont des gens dangereux, car ils peuvent transformer leurs rêves en réalité. » Campbell est de cette lignée. Né au sein d’une famille de diamantaires londoniens, il aurait très bien pu mener une existence paisible. Mais la littérature et la tentation de l’aventure au long cours en ont décidé autrement. Les romans d’Henry Rider Haggard ont eu une influence décisive sur lui, en particulier Les Mines du roi Salomon, paru en 1885, dans lequel un groupe d’aventuriers anglais pénètre des terres inconnues d’Afrique à la recherche de légendaires mines de diamants.
La littérature omniprésente
On connaît la suite, des grands prix en Bugatti puis des records mondiaux au volant de monstres baptisés d’après le titre d’une pièce
de théâtre, toujours avec cette présence constante de la littérature dans la vie du champion. On aurait pu croire la vitesse et la gloire capables de satisfaire ses appétits de conquête, mais les graines de la vocation d’explorateur ne cessent de croître jusqu’au jour où les fruits vont tenir la promesse des fleurs. Dès 1924, comme dans un roman, un capitaine de paquebot lui fait des confidences où il est question d’un trésor caché entre Madère et les Canaries. Campbell y entraîne pour une première recherche son ami Bill Guinness
Bannenberg et Rowell ont créé une chaude alchimie de matières et de coloris.
avec son yacht bien nommé Adventuress. Quelques années plus tard, la fine équipe repart beaucoup plus loin, vers les îles Cocos, au large du Costa Rica.
Un chevalier chasseur de records
On y parle d’un mystérieux trésor de Lima enterré depuis 1824, dont une somptueuse Vierge à l’enfant en or massif, ainsi préservée des troupes de Simon Bolivar libérant le Pérou. Cet archipel perdu a inspiré R.L. Stevenson pour son Île au trésor. En 1931, le roi George V le fait chevalier et Malcolm publie un livre relatant l’expédition sous la forme d’un
serment : « Pour mener à bien l’opération, il me faut un bateau robuste et très marin. Un jour, c’est sûr, je retournerai aux Cocos… » Campbell est un aventurier sérieux qui ne laisse rien au hasard, étant d’ailleurs le seul chasseur de records de son époque à mourir dans son lit. Il reçoit son nouveau Blue Bird (quatrième du nom) en 1938, mais n’ira pourtant jamais jusqu’aux Cocos. La guerre survient. L’Amirauté réquisitionne le yacht en proposant l’achat ou la location. Le propriétaire choisit la première solution, moins avantageuse car le conflit va durer cinq ans. Le bateau transformé est laissé dans un état lamentable en 1945. Campbell n’est plus en mesure de repartir au large, mais rachète le yacht de ses rêves, sans y remonter avant sa mort, en 1948. Blue Bird change alors de mains et de nom avant d’appartenir, à partir de 1955 et pendant plus de vingt ans, à Jean-Louis Renault, fils de Louis et passionné de croisière. En 1978, le bateau traverse l’Atlantique pour la première fois et arrive aux États-Unis. On ne détaillera pas ici les péripéties du parcours de ce yacht chargé d’histoire qui doit à sa solide construction de bateau de travail d’avoir traversé les époques avec sa coque d’origine.
L’heure de la renaissance
Il faut attendre le début des années 2000 pour que s’éclairent les perspectives d’une nouvelle vie. Tara Getty cherche un yacht classique
pour sa famille en complément de Talitha G., le fabuleux vaisseau construit par Krupp en 1929. L’incontournable veilleur de l’histoire du yachting, Nick Edmiston, lui propose, en 2004, le bateau qui se languit à Rotterdam, déclenchant aussitôt le désir d’une renaissance de l’historique Blue Bird. Une « dream-team » se met alors en action, pilotée par le Dr. William Collier qui dirige rien de moins que le cabinet G.L. Watson & Co de Glasgow qui signa les plans du yacht en 1938 et en détient les précieuses archives.
Une merveille après trois ans de travail
Autour de lui, une équipe très expérimentée avec, entre autres, le studio Bannenberg et Rowell, Fairlie Restorations, Astilleros de Mallorca, et une longue liste d’intervenants aussi talentueux que passionnés vont faire merveille. Après trois ans de dur labeur, Blue Bird reprend la mer en 2007 avant de se voir décerner le prix du meilleur refit l’année suivante. La particularité de ce yacht né pour l’aventure est d’être exclusivement réservé à un usage familial. On ne peut que saluer la passion pour le yachting classique des Getty qui font partager un peu de leur
Ce yacht a le privilège d’avoir une vocation exclusivement familiale.
Blue Bird fut un des héros de l’opération Dynamo en mai 1940.
domaine privé, à la manière des châtelains qui ouvrent quelques portes de leur demeure pour les journées du patrimoine. Blue Bird, par la personnalité exceptionnelle de son premier armateur, fait partie d’un héritage mondial.
Une part du mystère non levée
Depuis 2008, peut-être le rêve de Campbell de retourner aux îles Cocos a-t-il déjà été discrètement réalisé? Le trésor de Lima existet-il ? Que seraient devenues les mines du roi Salomon si on pouvait les visiter comme une banale attraction touristique ? Un peu de mystère ne saurait nuire dans un monde où tout s’expose.