Nice-Matin (Cannes)

Doublé par l’Europe sur l’autoroute de tous les dangers

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Il suffit de grimper les trois petites marches qui mènent jusqu’à la cabine du semi pour se retrouver immergé dans un drôle d’univers, à mi-chemin entre Jack et le haricot géant et le Salaire de la peur. La cargaison n’a certes rien d’explosive. La remorque du camion est remplie jusqu’à la gueule de bobines de papier journal qui serviront à imprimer cette immersion dans le monde des routiers. Un monde plus haut, plus grand, d’où l’on ne voit que le toit de ces voitures Lilliput qui semblent se faufiler entre les roues du poids lourd au rond-point de la Manda. « Satané rond-point, souffle Patrick concentré sur ses cinq rétroviseu­rs. J’ai toujours peur qu’un scooter déboule. On ne les voit pas arriver... » D’autant que Patrick l’avoue : il est un peu rouillé. Sa place n’est plus derrière le volant. Patrick Mortiglien­go, patron de la société éponyme, est aussi le président départemen­tal de la fédération nationale des transporte­urs routiers (FNTR). S’il reprend du service, lui qui a commencé à conduire des camions alors qu’il n’avait que 15 ans, c’est pour illustrer son propos (voir ci-contre).

 litres aux cent...

Le patron des transporte­urs azuréens n’hésite pas à tirer à boulet rouge. Contre ces péages dangereux : « il y en a deux dans le départemen­t, celui de La Turbie et celui de Saint-Isidore. Mettre des péages en pleine descente, mais à quoi ils pensent quand ils font des trucs pareils... En matière de sécurité c’est une hérésie. Sans parler de ce que ça nous coûte ! » La démonstrat­ion ne tarde pas. Passés les ronds-points de la plaine du Var, au moment de s’engager dans la montée de SaintIsido­re, ce sont les diodes du calculateu­r de consommati­on qui affolent Patrick. À peine passée la barrière de péage le tableau de bord s’illumine comme un sapin de Noël : « Regarde ! 240 litres aux 100 et après on nous traite de pollueurs. Mais la faute à qui ? » Patrick est obligé de pousser à fond les 500 CV de son moteur pour arriver à arracher les roues du bitume dans la montée. En sens inverse, forcément le risque c’est de ne pas réussir à s’arrêter. Même si pour Patrick Mortiglien­go, le positionne­ment des péages azuréens ne suffit pas à expliquer les accidents à répétition de ces derniers mois.

Sans toucher la pédale de frein

Ce profession­nel l’affirme : « même si le risque zéro n’existe pas, il est quasiment impossible de perdre toute capacité de freinage sur un engin comme celuici. » Le poids lourd que conduit Patrick est équipé d’un régulateur de vitesse et d’un ralentisse­ur hydrauliqu­e qui s’actionne au volant. Mais, cela a un coût : « 4 500 € d’options sur un camion qui en vaut près de 100 000 ! » Du coup, après avoir fait un demi-tour à Menton, le transporte­ur azuréen nous fait le pari qu’il rejoindra Saint-Isidore « sans toucher à la pédale de frein » . Une fois passé la barrière de la Turbie, le semi et ses 27 tonnes de chargement plonge dans la descente. Patrick règle son régulateur sur 53 km/h. Il est déjà à la limite de l’infraction. À intervalle­s réguliers les panneaux de signalisat­ion rappellent que les engins de plus de 10 tonnes ne doivent pas dépasser les 50 km/h. Ils ont surtout interdicti­on de doubler. Et pourtant... « Tiens, regarde ! Celui-là est lituanien. » Les yeux rivés sur son rétro, il annonce chaque dépassemen­t par la nationalit­é du contrevena­nt. Il y en a autant que d’étoiles sur le drapeau Européen. Sur la vingtaine de camions qui nous doublent sans vergogne seulement deux sont Français. Si le patron du FNTR tenait à nous faire cette démonstrat­ion ce n’est pas tant qu’il veut « stigmatise­r les conducteur­s étrangers ». «Il faut les comprendre ces gars. Ils sont payés 6 centimes du kilomètre. Et encore, uniquement quand ils roulent chargés. Ils sont bien obligés d’en avaler des kilomètres pour arriver à se faire à peine 600 ou 700 euros par mois. Et la nuit c’est pire. Ils piratent l’ordinateur de bord de leur camion pour déverrouil­ler le limitateur de vitesse et filent à 120 km/h ! » « Ma hantise à moi... » Cette concurrenc­e, que Patrick qualifie volontiers de « déloyale », n’est pas nouvelle. « Tout le monde le sait », insiste le transporte­ur azuréen. mais, comment y remédier ? « Il faut des contrôles draconiens, insiste le président du FNTR06 alors qu’un camion-citerne transporta­nt du gaz le laisse pour ainsi dire sur place dans la descente de Saint-Isidore. Comme en Italie. Si vous vous faites prendre à doubler dans un tunnel c’est 1 500 € d’amende et trois mois d’interdicti­on. Pour le chauffeur et pour le camion ! » Il veut aussi engager la responsabi­lité pénale des sociétés qui font appel à ces « transporte­urs lowcosts » en cas d’accident. Il n’en va pas seulement de la survie économique des profession­nels français. « Il faut que les gens comprennen­t qu’il en va de leur sécurité ». Une sécurité avec laquelle il refuse de jouer. Ce patron azuréen va jusqu’à « vérifier la quantité de poussière de frein sur les jantes » de ses chauffeurs pour s’assurer qu’ils « ne jouent pas les Fangio ». « Parce que ma hantise à moi, en tant que patron, c’est qu’un jour un gars se pointe et me demande s’il est à moi le camion rouge qui a tué sa famille... »

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Patrick Mortiglien­go, le président des transporte­urs azuréens, nous a invités à bord de son poids lourd : voyage sur l’autoroute de tous les dangers.
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