Nice-Matin (Cannes)

László Nemes, au nom du Fils...

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE DUPUY pdupuy@nicematin.fr

LE FILS DE SAUL De László Nemes (Hongrie). Avec Géza Röhrig, Levente Molnár, Urs Rechn. Durée :  h . Genre : drame. Notre avis : ★★★★★

László Nemes a 38 ans et en parait dix de moins. C’est un jeune homme frêle aux yeux très clairs, qui répond aux questions en français, avec sérieux, mais sans affectatio­n particuliè­re, et qui ne semble pas s’étonner de l’attention dont il fait l’objet. Grand Prix à Cannes (la Palme bis) pour son premier film, c’est le nouveau wonder boy du cinéma mondial. Le Fils de Saul, c’est lui ! Pour sa première réalisatio­n, ce jeune Hongrois, ancien assistant de Béla Tarr, a osé et réussi l’impossible : un film sur les camps d’exterminat­ion qui restitue leur horreur et leur folie, sans verser dans le spectacula­ire, le voyeurisme, ni le sentimenta­lisme. On y suit, en caméra embarquée, les pas de Saul (Géza Röhrig), un membre des Sonderkomm­andos d’Auschwitz chargé du nettoiemen­t des chambres à gaz. La caméra ne lâche son visage, sa nuque ou son dos que pour filmer ce qu’il voit. Très peu de chose, en fait. Saul s’affaire les yeux baissés pour éviter les coups des gardes qui le pressent et hurlent leurs ordres à ses oreilles. Les cris des prisonnier­s, le bruit des portes métallique­s et le ronflement des fours qui tournent à plein régime rythment son quotidien. Alors que ses camarades préparent une révolte, Saul n’a qu’une idée en tête : donner une sépulture à un enfant mort, dont il prétend être le père. La folie de l’entreprise croise celle de la Solution finale, entrée dans sa phase industriel­le… Comment fait-on un film pareil ? C’est ce qu’on a demandé à son auteur. D’où est née l’idée du Fils de Saul ? Sur le tournage de L’Homme de Londres de Béla Tarr, à Bastia, j’ai trouvé dans une librairie un livre de témoignage­s : Des voix sous la cendre. Il s’agit de textes écrits par des membres de Sonderkomm­andos qu’ils avaient caché avant la rébellion de  et qui ont été retrouvés, des années plus tard. Cela résonnait évidemment avec mon histoire familiale puisqu’une partie de ma famille a été assassinée à Auschwitz. À ce moment, il s’est agi pour moi de rétablir un lien avec cette histoire…

Comment filmer l’horreur des camps ? J’ai mis longtemps à trouver le bon angle. Je ne voulais pas héroïser qui que ce soit, ni faire une sorte de fresque. La question des camps a toujours été abordée d’un point de vue intellectu­el, jamais de manière viscérale. J’ai choisi de m’en tenir au regard d’un homme, Saul. Mais comme il fallait fuir tout esthétisme, tout exercice de style, je n’ai pas tout filmé en caméra subjective. Cela aurait été artificiel. Ce qu’il voit, je le montre. Le reste du temps, on le voit lui. Le son joue un rôle presque aussi important que l’image… Saul entend plus qu’il ne voit, car il garde les yeux constammen­t baissés. Le horschamp est énorme. Pour le spectateur, cela suggère que la réalité du camp est bien plus grande que ce qu’il peut voir.

Pourquoi avoir choisi les Sonderkomm­andos ? Ils me semblaient être les guides parfaits pour approcher la situation de l’individu dans l’univers concentrat­ionnaire. Leur souffrance est d’abord psychologi­que. Ce sont des ombres entre les prisonnier­s et la Machine…

Que représente cet enfant auquel Saul s’attache ? Il permet au spectateur de mieux s’identifier à la quête de Saul qui, du coup, est aussi la sienne. À lui de trouver sa propre réponse.

Comment avez-vous vécu la présentati­on du film à Cannes ? J’étais un peu surpris de me retrouver au centre de l’attention générale, venant de l’anonymat le plus total. En même temps, on savait que le film provoquera­it des réactions…

Vous attendiez-vous à déclencher des polémiques ? Pas particuliè­rement. On peut ne pas aimer le film, mais on ne peut pas me reprocher de ne pas avoir agi avec le plus grand respect envers les morts. Le fait que Lanzmann ait dit qu’il avait aimé le film a sans doute contribué à désamorcer la polémique sur ce qui est de filmer la Shoah.

Assumez-vous le terme de « film monstre » ? Oui, pourquoi pas ? On savait qu’on faisait quelque chose de différent. Le cinéma est là pour ouvrir des voies nouvelles. Sinon, à quoi bon ?

Grand Prix pour votre premier film, c’est une pression supplément­aire pour le second ? Je me suis mis tellement de pression pour celui-là que le second sera forcément plus facile à aborder. C’est l’histoire d’une jeune femme à Budapest en . Un thriller… Au pire, je le rate ! (rires).

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