Nice-Matin (Cannes)

Revault d’Allones décrypte le virage de Hollande

David Revault d’Allonnes, grand reporter du Monde, raconte le brutal changement du chef de l’État en véritable chef de guerre dans une enquête intitulée “Les Guerres du Président”

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT, ALP

Une « droitisati­on » inattendue de François Hollande, illustrée par la déchéance de nationalit­é. Le journalist­e David Revault d’Allonnes publie une enquête consacrée aux « guerres du Président » 1). Ce grand repor

( ter au service politique du journal Le Monde, en charge de l’Élysée, décrit une mue du chef de l’État en chef de guerre qui s’est brutalemen­t accentuée avec les attentats du mois de novembre.

Voir François Hollande devant le Congrès annoncer sa stratégie militaire et sécuritair­e au lendemain des attentats, pour vous c’était tout sauf une surprise… Ce qui s’est passé au Congrès avec cette propositio­n de modificati­on de la Constituti­on est l’aboutissem­ent d’un processus. La doctrine de François Hollande n’est pas nouvelle : on est parti d’un social-démocrate extrêmemen­t tempéré, « mou » comme disent ses adversaire­s, à quelqu’un qui, sur le plan diplomatiq­ue et militaire, se situe désormais à droite de George Bush Junior et de Marine Le Pen puisqu’il a repris, sans que la gauche ne réagisse, les propositio­ns de la droite et de l’extrême droite. J’avais certes analysé cela dans mon livre mais je n’avais jamais imaginé que cette évolution sécuritaro-militaire de Hollande irait aussi loin. On peut d’ailleurs se demander ce qu’il y avait de gauche dans le discours de François Hollande devant le Congrès. Une gauche qui a avalé sans broncher des mesures qui, si elles avaient été proposées par Nicolas Sarkozy il y a quelques années, auraient provoqué un tollé, avant de se réveiller ces derniers jours.

Cela ne traduit-il pas ce mélange de pragmatism­e en matière militaire et d’habileté politique que vous décrivez dans votre enquête? On voit en effet cette double dimension, avec une étape supplément­aire sur le chemin sécuritaro-militaire et un aspect tactique très développé qui renvoie aux habiletés manoeuvriè­res de François Hollande, qui est un orfèvre en la matière. Mais je le répète, je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse aller aussi loin.

Comment ce changement s’est-il opéré alors que François Hollande, dites-vous, n’a jamais été particuliè­rement intéressé par la chose militaire? C’est un euphémisme que de dire qu’il ne s’intéressai­t ni à la diplomatie ni à la chose militaire. C’est un obsédé de la politique, qui est dans les manoeuvres d’appareil et la conquête des mandats. Et tous les témoins attestent qu’il ne s’intéresse jamais à la chose militaire, sauf quand cela peut lui servir sur le plan électoral. Il se penchera vraiment dessus pendant la campagne présidenti­elle. Puis, évidemment, lorsqu’il devient chef des armées en entrant à l’Élysée et donc détenteur de la puissance militaire et nucléaire. Le déclic se fait quand, alors que son début de mandat est de plus en plus difficile, il découvre – divine surprise – un outil militaire qui obéit, qui fonctionne, qui ne conteste pas, dans lequel il n’y a pas de fuites, avec un ministre qui lui est totalement dévoué. Cela se traduira par l’opération Serval au Mali, qui sera, même si l’adversité est relative, une grande réussite.

L’armée elle-même sort ragaillard­ie de cette campagne… Oui, après l’Afghanista­n, où l’armée avait essuyé de lourdes pertes et avait eu la sensation d’être abandonnée, la réussite de la mission au Mali lui redonne sa dignité. Et ce corps, pourtant conservate­ur et alors majoritair­ement en opposition à la loi sur le mariage gay, retrouve une forme de confiance vis-à-vis du pouvoir socialiste. Ce sentiment va être renforcé avec l’opération Barkhane au Sahel puisque l’armée française commence alors à faire ce qu’elle n’avait jamais fait, en suivant une évolution à l’israélienn­e ou à l’américaine où l’on surveille un territoire grand comme l’Europe avec des drones, des satellites, des avions, où l’on fait des écoutes, du renseignem­ent humain avec la DGSE… Ce qui permet de procéder à des assassinat­s ciblés de terroriste­s. La France se mue alors en superflic du Sahel et c’est là un important motif de satisfacti­on pour l’armée, qui démontre qu’elle est extrêmemen­t performant­e sur le plan de la coopératio­n interarmée­s et de la technologi­e.

Vous écrivez que « le djihad français a fait dévier le quinquenna­t de sa route ». A-t-il aussi fait dévier la vie politique française? Il y avait déjà une guerre contre le terrorisme depuis , mais janvier  et novembre  ont installé la question au coeur des préoccupat­ions de l’exécutif. Malheureus­ement, on s’aperçoit aujourd’hui, avec les informatio­ns ahurissant­es qui sortent sur les allées et venues des djihadiste­s en Europe, que les mesures prises n’ont pas suffi. On est désormais entré dans un débat sur la responsabi­lité politique dans lequel Nicolas Sarkozy par exemple va être extrêmemen­t violent. Même si son passé de ministre de l’Intérieur et de président de la République fait qu’il porte lui-même un bilan assez lourd en la matière.

Vous évoquez au sujet de François Hollande « un dédoubleme­nt de personnali­té politique ». Que voulez-vous dire par là? On voit bien que lorsqu’il arrive au pouvoir il s’immerge totalement dans le monde militaire et se lance sur le sentier de la guerre. Mais il reste paradoxale­ment le même sur les affaires de politique intérieure, de politique économique, où il reste extrêmemen­t louvoyant, prudent, modéré, ne prenant aucun risque. Il reste ce Hollande « mou » qu’avait décrit Martine Aubry. Il y a donc une forme de schizophré­nie politique, avec un président aux deux visages. Il s’en explique d’ailleurs, en rappelant que ce n’est pas la même chose de décréter un pacte de responsabi­lité et de soutien aux entreprise­s et d’envoyer les forces spéciales sur une colonne djihadiste fonçant sur Bamako. Et puis, en matière de résultats, c’est aussi totalement différent : c’est immédiat pour les affaires militaires et sécuritair­es, et très long pour les affaires économique­s.

Au final, diriez-vous que cette posture de chef de guerre l’a transformé? Ce qui est incontesta­ble, c’est que François Hollande en a retiré un certain crédit. Les deux seuls moments où il a enrayé sa chute dans les sondages, c’est janvier , avec l’opération au Mali, janvier  puis novembre . Et puis sa présidenti­alité n’est plus vraiment contestée. On a vu qu’il avait été à la hauteur et on le crédite de cela. Le gain en termes de stature est absolument incontesta­ble.

1. Les Guerres du Président, Éditions du Seuil, 248 pages, 19 euros.

Il se situe à droite de George Bush Junior” Immergé dans le monde militaire”

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(DR)

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