Le positionnement inattendu de Juppé
Alain Juppé est, en ce début d’année , le premier de tous les candidats déclarés à la primaire républicaine de novembre prochain à prendre le départ. Un nouveau livreprogramme dans les librairies cette semaine, Pour un État fort, une longue interview accordée hier au Journal du dimanche, et, pour aujourd’hui et demain, un JT de heures, et une émission du petit matin sur une radio nationale. Bref, un départ en fanfare pour l’homme politique qui est aujourd’hui le plus populaire, distançant de loin ses autres concurrents au sein de son parti, au point de laisser croire, sans doute un peu trop tôt, que la primaire au sein des Républicains, prévue pour novembre prochain, ne serait qu’une formalité.
« Beaucoup de centristes espéraient trouver en lui un candidat – le seul – capable de réunir la gauche de la droite et la droite de la gauche.»
Ce serait pourtant prématuré de le croire. Beaucoup de pronostics électoraux, beaucoup de sondages péremptoires ont été en effet, toutes ces dernières années, bien souvent démentis. La politique ne suit jamais exactement le chemin que lui prédisent les oracles de l’opinion publique. Ainsi le Juppé qui abat ses cartes aujourd’hui ne se situe-t-il pas à l’endroit où on l’attendait. On le pensait ouvert au centre, défendant une ligne politique frontalement différente de celle de Nicolas Sarkozy, dont il a souvent, en privé, déploré la « dérive droitière ». C’est ainsi qu’un certain nombre de « déçus de la gauche », comme on les appelle, se déclaraient a priori tentés par l’idée de faire un bout de chemin avec le maire de Bordeaux, tandis que des électeurs du centre, à l’image de François Bayrou lui-même, espéraient trouver en lui un candidat, le seul, capable de réunir la gauche de la droite et la droite de la gauche. C’est pourtant, par une inflexion inattendue, un programme solidement ancré à droite qu’Alain Juppé a choisi de proposer. Dans la France d’aujourd’hui, «enguerre» – c’est par ces mots que commence son livre –, Alain Juppé s’approprie beaucoup des réflexions lancées par Nicolas Sarkozy sur l’identité française, les racines chrétiennes de la France, par exemple, face à un monde tourneboulé. Sur d’autres plans aussi, lorsqu’il se prononce pour une réforme de l’aide médicale gratuite, qui devrait selon lui, être réservée aux cas d’urgence, ou bien pour le durcissement du regroupement familial, il se situe délibérément sur le créneau de l’ancien président de la République : face à Nicolas Sarkozy, il aura, disons-le, peut-être parfois du mal à affirmer son originalité. Il n’a pas non plus la moindre complaisance, dans ses propos, vis-à-vis du tandem Hollande-Valls, et sur les mesures de sécurité adoptées par le gouvernement, dont la déchéance de la nationalité, une mesure qu’il juge inutile, inefficace, employée par le président actuel pour faire un « coup » politique. Il n’en laisse pas moins entendre, avec une réelle ambiguïté, qu’il la voterait s’il était parlementaire. Bref, le Juppé nouveau est arrivé, là où on ne l’attendait pas.