Déchéance de nationalité : tous les Français concernés ?
Punir un terroriste sans pour autant stigmatiser les binationaux. Certains ténors du PS veulent ainsi mettre un terme aux critiques. Quitte à fabriquer des apatrides...
Des responsables de la majorité ont tenté, hier, de dégager un compromis sur la question de la déchéance de la nationalité, qui déchire la gauche, plusieurs évoquant une possible extension de la mesure à tous les Français. Dévoilé en conseil des ministres le 23 décembre, le projet de réforme constitutionnelle prévoit d’étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français condamnés « pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Seuls peuvent aujourd’hui être déchus les binationaux devenus français. L’exécutif a exclu jusqu’à présent d’étendre la mesure à tous les Français : « La déchéance de nationalité ne doit pas avoir pour résultat de rendre quelqu’un apatride », a souligné le président de la République en annonçant la réforme constitutionnelle devant le congrès le 16 novembre.
Faire taire les critiques
Mais cet élargissement « est un élément qui est dans le débat », a admis, hier, le secrétaire d’Etat au Parlement Jean-Marie Le Guen. Une telle extension permettrait de faire taire les critiques des nombreux responsables socialistes qui s’offusquent de l’inscription dans la Constitution d’une « rupture d’égalité » entre les binationaux – quelque 5 % des Français – et le reste de la population. Silencieux depuis la présentation du projet de réforme, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis, qui avait estimé le 4 décembre que la déchéance de nationalité pour les binationaux nés français n’était « pas une idée de gauche », s’est montré ouvert à cette solution. « On peut continuer sur la déchéance de nationalité [...] mais, à ce moment-là, il faut qu’elle soit ouverte à l’ensemble des Français », a-t-il estimé. Même suggestion du président du groupe socialiste à l’Assemblée Bruno Le Roux, partisan d’un compromis concernant tous les « terroristes » français, « qu’ils soient binationaux ou pas ». La proposition a déjà été avancée la semaine dernière par le sénateur UDE Jean-Vincent Placé, et par la députée Les Républicains, Nathalie Kosciusko-Morizet. Le président de la région Nord-Pas-deCalais/Picardie, Xavier Bertrand, s’y est rallié hier.
« Droit à une nationalité »
Problème: une telle mesure est contraire à la déclaration universelle des droits de l’Homme, qui stipule dans son article 15 que « tout individu a droit à une nationalité ». Une convention onusienne de 1961 « sur la réduction des cas d’apatridie » affirme en outre que « les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride ». Une source gouvernementale haut placée rappelle que la France a signé cette convention sans la ratifier. « Mais il y a un usage international auquel la France se conforme : le refus de l’apatridie », ajoute-telle immédiatement. La France, qui s’enorgueillit d’être la « patrie des droits de l’Homme », pourrait-elle s’engager sur cette voie?