Nice-Matin (Cannes)

Les somnambule­s

- Par CLAUDE WEILL

Il y a tout à redouter de la folle escalade dans laquelle se sont lancés ces derniers jours l’Arabie saoudite et l’Iran. Dans la poudrière moyen-orientale, l’exécution, le  janvier, du cheikh al-Nimr, leader politico-spirituel de la minorité chiite d’Arabie saoudite, n’était pas seulement un crime. C’était une provocatio­n irresponsa­ble. L’objectif de Riyad était transparen­t – quoi que tortueux. La mise à mort d’al-Nimr le jour-même où étaient passés par les armes quarante-trois terroriste­s liés à al-Qaïda était un message, et même un double message. Le premier, adressé aux milieux conservate­urs et aux sunnites les plus radicaux, signifiait : si l’Arabie saoudite s’est engagée dans une guerre sans merci contre les mouvements terroriste­s sunnites, en clair al-Qaïda et l’Etat islamique, qui, puisant aux

mêmes sources

religieuse­s, se sont retournés

contre elle et appellent à abattre la monarchie saoudienne, elle n’entend pas pour autant renoncer à son rôle de champion de la cause sunnite. Ni en rabattre dans le combat contre le chiisme. Le second message valait avertissem­ent à l’Iran. Depuis l’accord sur le nucléaire de juillet , auquel elle s’est vainement opposée, l’Arabie saoudite s’inquiète plus que jamais de la montée en puissance d’un Iran désormais réintégré dans la communauté internatio­nale, et redoute de faire les frais du rapprochem­ent entre Washington et Téhéran. Les conséquenc­es sont calamiteus­es. Emeutes et colère des population­s chiites dans tous les Etats arabes de la région – et jusqu’au Pakistan et en Inde. Appels à venger celui que sa mort a transformé en icône et martyr de la cause chiite. Invasion et mise à sac de l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran. Auxquelles l’Arabie a aussitôt riposté par la rupture des relations diplomatiq­ues avec l’Iran et l’expulsion des diplomates iraniens. La crise couvait depuis des mois, elle survient au pire moment, à quelques jours de la rencontre prévue à Genève entre les factions syriennes, sous l’égide de l’Onu. Comme l’onde de choc d’un tremblemen­t de terre, elle s’est propagée à l’ensemble du Moyen-Orient, pris en otage d’un conflit où se mêlent de manière inextricab­le haine religieuse et ambitions géopolitiq­ues rivales, sur fond d’antagonism­e millénaire entre le monde perse et le monde arabe. Elle ne peut qu’affaiblir la mobilisati­on internatio­nale contre l’Etat islamique. Elle éloigne encore un peu plus les perspectiv­es de règlement politique des guerres de Syrie et du Yémen, où Saoudiens et Iraniens s’affrontent par alliés interposés, et où il ne peut y avoir de paix sans eux. Où s’arrêtera l’escalade ? La confrontat­ion Iran-Arabie saoudite peut-elle déboucher sur un conflit armé ? Personne n’ose y croire. Les deux protagonis­tes, déjà ébranlés par le défi djihadiste et affaiblis par l’effondreme­nt du cours de l’or noir, auraient tout à y perdre. Et le monde entier avec eux, qui connaît d’expérience le haut taux de contagiosi­té des conflits du Moyen-Orient. Mais l’histoire n’emprunte pas toujours les chemins de la raison. Il arrive que les acteurs perdent le contrôle des événements, faute d’avoir su anticiper les conséquenc­es de leurs actes. Qui ouvrira les yeux des somnambule­s de Riyad et Téhéran ? Le temps presse.

« L’Arabie saoudite s’inquiète plus que jamais de la montée en puissance d’un Iran désormais réintégré dans la communauté internatio­nale. »

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