Nice-Matin (Cannes)

«À la justice de trancher»

Philippe Bianchi se tourne vers les tribunaux pour trouver les responsabl­es du décès de son fils

-

Le 5 octobre 2014, la Marussia de Jules Bianchi venait heurter une grue sur la piste de Suzuka. Le Niçois décédera dans sa ville le 17 juillet 2015 des suites de l’accident. Personne n’a oublié cet ange de la piste de 25 ans. Et pourtant, à la question «qui est responsabl­e ?», il n’existe aucune réponse. Alors, c’est avec beaucoup d’énergie que Philippe Bianchi, le papa, a annoncé hier s’être tourné vers la justice anglo-saxonne pour trouver des explicatio­ns. Il ira « jusqu’au bout ».

Pourquoi avoir attendu le Grand Prix de Monaco pour faire cette annonce? On est d’ici. Donc c’est plus facile pour nous de communique­r. Nous avons beaucoup travaillé sur les projets pour continuer de faire exister Jules. Présenter nos actions à Monaco, ça a aussi un sens. Cela fait cinq mois qu’on discute avec les avocats sur les suites à donner, et il se trouve que nous sommes prêts. Voilà pourquoi nous avons communiqué à l’occasion du Grand Prix.

Quels sont vos recours ? Nous engageons une action en justice en Angleterre, qui va aller jusqu’au bout. On ne stoppera rien. On est conseillé par le cabinet Stewarts Law, spécialisé dans la réparation de dommages. Je pense que ce sont les plus compétents aujourd’hui dans le monde pour s’occuper de ça. Au départ, ça n’a jamais été notre volonté, nous la famille, d’entrer en guerre contre qui que ce soit. C’est déjà très compliqué de gérer la disparitio­n de Jules… Mais à un moment, on ne peut pas se contenter des réponses qu’on nous a apportées.

Qui attaquez-vous ? Le circuit de Suzuka, les organisate­urs du Grand Prix, Marussia, la FIA (Fédération Internatio­nale de l’Automobile), la FOM (Formula One Management). Après, je ne décide pas des assignatio­ns à faire, ce sont mes avocats. Quand on vit un drame pareil, on est obligé de saisir tout le monde. Ça ne veut pas dire que tout le monde est responsabl­e. Ce sera à la justice de trancher.

La FIA avait rendu son rapport… Oui. On nous y explique que la responsabi­lité de Jules est clairement engagée. Analyser ce dossier a pris un certain temps. On peut y lire que des fautes ont été commises. Après l’accident, il y a eu de nombreux changement­s effectués dans les règlements. Les pilotes me le confirment quand je discute avec eux. Concernant le circuit de Suzuka, le virage a été modifié, une grue extérieure a été positionné­e, etc. Alors, vous comprenez que pour la mémoire de Jules, on ne peut pas passer l’éponge sur ce qu’il s’est passé. Il faut qu’une justice soit rendue. Comment aviez-vous reçu la conclusion du rapport qui pointait du doigt la conduite de Jules ? Pour moi, ce n’est qu’un rapport interne. Avec tout le respect que j’ai pour les gens qui ont composé cette commission, on ne peut pas être juge et partie. Il y a des choses pas du tout cohérentes. Dire d’un pilote de F1 qu’il roulait trop vite… Franchemen­t… Et en plus, on peut prouver que ce n’était pas le cas.

Pourquoi avoir attendu autant ? On a instruit le dossier avec les avocats. Entre-temps, on a essayé de discuter avec la FIA et les autres parties adverses. Des échanges stériles. Il n’y a eu aucune volonté de leur part d’arriver à un accord à l’amiable, satisfaisa­nt pour la famille. Nous, on a perdu l’essentiel. Jules, c’était notre étoile. Il s’est battu pour vivre son rêve, en partant de rien. Grâce à Nicolas Todt (fils de Jean Todt, président de la FIA et agent de Jules Bianchi ),ila progressé. Puis, avec le soutien de Ferrari, il est arrivé en F1. Alors certains, je sais, critiquero­nt mon action. Mais comment peut-on critiquer l’action d’un papa qui cherche les responsabl­es de la mort de son fils ? Compte tenu des circonstan­ces du décès de Jules, c’est logique ! On devrait écouter et ne pas réagir ? Non. La maman et la soeur de Jules tiennent un stand, ici à Monaco, pour continuer de le faire exister. Cette action en justice est logique. C’est trop facile de dire que c’était la faute de Jules. Vous sentez-vous soutenu par le monde de la F1 dans cette affaire et avez-vous des témoignage­s de pilotes ? On a des témoignage­s de pilotes. Très rapidement après l’accident, certains ont pris parti pour Jules. Après, curieuseme­nt… Beaucoup de ces soutiens ne sont pas officiels. On m’explique clairement les fautes, etc. Tous les pilotes sont très gentils avec moi et ils soutiendro­nt l’associatio­n et les différente­s actions de la fondation de Jules. Mais on a le sentiment que les acteurs du grand cirque de la F1 évitent de parler parce que c’est un sujet qui dérange. Au début, je ne voulais pas m’exprimer. J’écoutais la voix de la sagesse qui me disait qu’il était préférable de trouver une solution pour faire le deuil de tout ça. Mais clairement, ça ne s’est pas passé comme je l’aurais voulu. Cela va faire bientôt deux ans que l’accident de Jules s’est produit, on ne peut pas en rester là. C’est très triste de devoir en arriver là. Il y a eu la mort de quelqu’un, c’est grave. Cela faisait vingt ans que ce n’était pas arrivé ! On ne peut pas régler ça de manière uniquement politique, il faut aussi le faire avec son coeur. Ma famille est détruite. J’ai perdu Jules, certes, mais mes enfants sont dévastés et marqués à vie. J’aurais aimé un peu plus de sensibilit­é.

Vous êtes écoeuré… À part les pilotes et certaines personnes de la F1 qui étaient là, on a été lâché. On s’est débrouillé seul tout le temps. Je ne demande pas d’être plaint mais que les gens assument leurs responsabi­lités.

Avec cette procédure, vous visez clairement Jean Todt, président de la FIA, alors que Jules était managé par son fils Nicolas… Il tient très bien son rôle de président de la FIA. Le peu de discussion­s que j’ai eues avec lui, il s’est comporté comme le président de la FIA. Très politique. Jamais comme le père de Nicolas, ou comme un père de famille tout court. Et c’est ce qui a manqué, je pense, dans cette histoire. Nous, on aimerait que la justice soit rendue pour que ça n’arrive plus. Car ça aurait pu arriver à n’importe quel pilote. PROPOS RECUEILLIS PAR FABIEN PIGALLE

(AVEC G. L.)

 ?? (Photo J.-F. Ottonello) ?? Philippe Bianchi ira « jusqu’au bout ».
(Photo J.-F. Ottonello) Philippe Bianchi ira « jusqu’au bout ».

Newspapers in French

Newspapers from France