La France est-elle ingouvernable?
Quelle litanie d’échecs depuis ans! Le contrat d’insertion professionnelle, le CIP, dit «Smic jeunes», en février ; la réforme des régimes spéciaux de retraite en décembre ; le contrat première embauche (le CPE) en février ; la loi El Khomri aujourd’hui: le social est devenu une matière si inflammable dans notre pays qu’on peut se demander si la réforme y est encore possible. Certes, la droite a le plus souvent soulevé la tempête, mais la gauche, depuis l’alternance de , n’a pas été non plus épargnée. En général, il est vrai, sur des sujets de société qui soulevaient l’opposition de la droite. Le mouvement actuel est donc, en soi, une nouveauté: le pouvoir socialiste est contesté par ses propres amis politiques et par des syndicats jusqu’alors indulgents avec la gauche. Si droite et gauche ne peuvent plus faire respecter leur légitimité électorale, autant dire que le pays est bloqué. Un retrait de la loi El Khomri ou l’adoption d’un texte dévitalisé serait, donc, un très mauvais présage: une capitulation signifierait que le Président élu en mai n’aurait aucun état de grâce et peu de liberté d’action. Sans doute, le gouvernement a-t-il commis beaucoup d’erreurs en lançant cette réforme du code du travail, mal préparée, mal écrite, présentée trop tardivement dans le quinquennat par un pouvoir très affaibli, sans être en outre précédée d’un vrai dialogue avec les syndicats. Pour autant, fait-elle du passé social table rase? Même dans sa première version, ce n’était pas le cas. Est-ce une révolution que de transférer pour partie la négociation sociale des branches vers les entreprises en laissant la main aux syndicats comme le prévoit l’article de la loi El Khomri? Évidemment, non. Il est faux de dire que les patrons, dans cette réforme, prennent la main sur le social. La CFDT, adepte du dialogue, en passe de devenir le syndicat le plus puissant de France devant la CGT, fait d’ailleurs de ce nouveau dispositif un élément clé de son credo progressiste. En vérité, CGT et FO mènent dans cette affaire un double combat: ils veulent la peau de ce gouvernement qui les a négligés et ils redoutent que ce nouveau dispositif fasse le jeu de la CFDT. C’est un combat entre syndicats réformistes et syndicats protestataires qui se joue aussi dans cette épreuve. Et son issue pèsera lourd dans la balance future du pays. Si le gouvernement recule, c’est la capacité à réformer le pays qui sera durablement affectée. Les marges de manoeuvre étaient déjà faibles, elles deviendront presque nulles. Et le décrochage en cours de la France dans la compétition mondiale en sera aggravé.
«Le mouvement actuel est une nouveauté : le pouvoir socialiste est contesté par ses propres amis politiques et par des syndicats jusqu’alors indulgents avec la gauche.»