Nice-Matin (Cannes)

La France est-elle ingouverna­ble?

- DENIS JEAMBAR

Quelle litanie d’échecs depuis  ans! Le contrat d’insertion profession­nelle, le CIP, dit «Smic jeunes», en février ; la réforme des régimes spéciaux de retraite en décembre ; le contrat première embauche (le CPE) en février ; la loi El Khomri aujourd’hui: le social est devenu une matière si inflammabl­e dans notre pays qu’on peut se demander si la réforme y est encore possible. Certes, la droite a le plus souvent soulevé la tempête, mais la gauche, depuis l’alternance de , n’a pas été non plus épargnée. En général, il est vrai, sur des sujets de société qui soulevaien­t l’opposition de la droite. Le mouvement actuel est donc, en soi, une nouveauté: le pouvoir socialiste est contesté par ses propres amis politiques et par des syndicats jusqu’alors indulgents avec la gauche. Si droite et gauche ne peuvent plus faire respecter leur légitimité électorale, autant dire que le pays est bloqué. Un retrait de la loi El Khomri ou l’adoption d’un texte dévitalisé serait, donc, un très mauvais présage: une capitulati­on signifiera­it que le Président élu en mai  n’aurait aucun état de grâce et peu de liberté d’action. Sans doute, le gouverneme­nt a-t-il commis beaucoup d’erreurs en lançant cette réforme du code du travail, mal préparée, mal écrite, présentée trop tardivemen­t dans le quinquenna­t par un pouvoir très affaibli, sans être en outre précédée d’un vrai dialogue avec les syndicats. Pour autant, fait-elle du passé social table rase? Même dans sa première version, ce n’était pas le cas. Est-ce une révolution que de transférer pour partie la négociatio­n sociale des branches vers les entreprise­s en laissant la main aux syndicats comme le prévoit l’article  de la loi El Khomri? Évidemment, non. Il est faux de dire que les patrons, dans cette réforme, prennent la main sur le social. La CFDT, adepte du dialogue, en passe de devenir le syndicat le plus puissant de France devant la CGT, fait d’ailleurs de ce nouveau dispositif un élément clé de son credo progressis­te. En vérité, CGT et FO mènent dans cette affaire un double combat: ils veulent la peau de ce gouverneme­nt qui les a négligés et ils redoutent que ce nouveau dispositif fasse le jeu de la CFDT. C’est un combat entre syndicats réformiste­s et syndicats protestata­ires qui se joue aussi dans cette épreuve. Et son issue pèsera lourd dans la balance future du pays. Si le gouverneme­nt recule, c’est la capacité à réformer le pays qui sera durablemen­t affectée. Les marges de manoeuvre étaient déjà faibles, elles deviendron­t presque nulles. Et le décrochage en cours de la France dans la compétitio­n mondiale en sera aggravé.

«Le mouvement actuel est une nouveauté : le pouvoir socialiste est contesté par ses propres amis politiques et par des syndicats jusqu’alors indulgents avec la gauche.»

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