Nice-Matin (Cannes)

«C’était  tours de magie»

Venu souffler la vingtième bougie de son unique triomphe en F1, Olivier Panis ravive le souvenir d’une course folle. Flash-back sur un exploit impossible à rééditer aujourd’hui, assure-t-il

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Une seule victoire, oui, mais à Monaco ” Je me demande encore comment j’ai pu en sortir indemne ”

Un homme : Olivier Panis. Une machine : la Ligier JS Mugen-Honda. Un monument : le circuit de Monaco. C’était hier. Ou presque. Le  mai . Au terme d’une remontée fantastiqu­e, le Grenoblois avait décroché la lune en Principaut­é. Incroyable mais vrai : son seul et unique succès au top niveau reste à ce jour le dernier d’un pilote français en F. Histoire de célébrer le e anniversai­re de cette page d’histoire comme il se doit, Honda a sorti la pièce de collection du musée maison et invité son pilote à de poignantes retrouvail­les vendredi soir dans un écrin sur mesure : l’atrium du Casino. Moteur!

Olivier, ça fait quoi d’avoir vingt ans?

Franchemen­t, ça fait drôle et ça fait loin. Chaque fois que je repense à cette course, j’ai l’impression qu’elle s’est déroulée il y a quatre ou cinq ans parce que plein de souvenirs très précis remontent à la surface. Mais non! C’était bel et bien en . Vingt ans déjà. Au moment de célébrer cet anniversai­re, forcément, on ressent un peu de nostalgie. Mais je regarde aussi devant. Je suis tourné vers l’avenir et je dis: «Place aux jeunes!» En espérant qu’un Français réussira enfin à prendre le relais bientôt.

Quel fut pour vous le moment le plus fort de ce dimanche pas comme les autres?

Difficile d’en désigner un en particulie­r. Le scénario était si intense, si extraordin­aire. Bien sûr, il y a le dépassemen­t sur Irvine dans un trou de souris à l’épingle du Loews. Neuf fois sur dix, ce genre de contact nous laisse sur le carreau. Parfois, je me demande encore comment j’ai pu en sortir indemne. Et puis les derniers tours conservent aussi une place

à part dans ma mémoire. Avec un réservoir presque vide, le stand qui me demande de ravitaille­r et Coulthard sur mes talons, il a fallu garder la tête froide. C’était super tendu.

Le matin, vous aviez annoncé à Anne, votre épouse, qu’un podium était envisageab­le, même en partant e. Vous le pensiez vraiment?

Ah oui! Dès que je vois la pluie tomber en tirant le rideau de ma chambre, je me dis qu’elle sera mon alliée et qu’il y a une chance à saisir. Compte tenu du potentiel de notre auto sur ce tracé, et de mon envie de réagir après les problèmes rencontrés lors des qualificat­ions, j’y croyais. Pas à la victoire, naturellem­ent. Mais le podium, oui, c’était possible. Anne m’a pris pour un fou. Cette ambition affichée constituai­t aussi une manière de se motiver. Mais, au fond de moi, je sentais qu’il allait se passer quelque chose.

Peut-on dire que vous étiez dans un état second, en transe, durant les  tours couverts ce jour-là? En visionnant la course à la télé, ensuite, je n’en ai pas cru mes yeux. Voir la voiture dans de telles positions, glisser ainsi, sur le «grasmouill­é», quel effroi! Dix fois, vingt fois, trente fois, mes prises de risque auraient pu se terminer dans les rails. Il y avait quelque chose de surréalist­e. C’était  tours de magie…

Une sensation unique dans votre carrière? Non, j’ai connu d’autres moments spéciaux. Plus tôt, une course de F au Nürburgrin­g avec une voiture parfaite, où je colle une seconde et demie au tour à tout le monde d’un bout à l’autre du week-end. Plus tard, à Indianapol­is, lorsque je décroche le e temps qualif’ du Grand Prix des États-Unis au volant de la Toyota. Bon, Monaco  trône tout de même en pole position, loin

‘‘ devant. Il y a eu tant de rebondisse­ments: la touchette de Michael (Schumacher), le moteur de Damon (Hill), la suspension de Jean (Alesi), les dépassemen­ts sur Brundle, Herbert, Häkkinen, Irvine…

Justement, avez-vous reparlé de votre manoeuvre osée avec Irvine ensuite? Dès le lendemain matin! Figurez-vous qu’on s’est retrouvé côte à côte à la réception de l’hôtel. Il m’a juste dit en souriant: «J’avais la réputation d’un gars impossible à doubler. Tu as prouvé le contraire!» Cette réaction sans aucune rancune reflétait bien l’état d’esprit de l’époque. C’était le seul endroit où je pouvais tenter. Le contact a provoqué son abandon. En , ça faisait partie du jeu. Aujourd’hui, le même dépassemen­t serait sanctionné. Sûr et certain. On crierait au scandale…

Et Guy Ligier, comment avait-il réagi? S’il était encore actionnair­e, Guy ne tenait plus les rênes de l’équipe à ce moment-là. Je me souviens de ses mots au téléphone juste après l’arrivée. Cette e victoire ô combien inattendue d’une Ligier en Grand Prix l’avait comblé de joie. En tant qu’être humain, c’était quelqu’un que j’appréciais beaucoup. Un personnage charismati­que, passionné pur et dur, qui a permis à beaucoup de pilotes français d’atteindre le plus haut niveau. Malgré les pressions politiques, il a longtemps gardé le cap, tracé sa route.

Si on vous avait dit, au pied du podium, que ce premier succès en F serait aussi le dernier… C’est vrai que j’aurais aimé gagner plus de courses. Et devenir champion du monde, mon rêve absolu. Par la suite, on est passé de peu à côté de la victoire plusieurs fois. Mais en même temps, il faut aussi se poser la question: combien de pilotes de F ont achevé leur carrière sans avoir connu ce frisson? OK, il n’y en a qu’une, mais pas n’importe laquelle. Monaco: un Grand Prix mythique, une épreuve de folie.

Voilà vingt ans maintenant qu’on attend une Marseillai­se, votre successeur. Le bout du tunnel est-il encore loin? J’espère qu’on le verra le plus rapidement possible. (Il soupire) Tout de suite ou à court terme, ça me semble quand même assez improbable. Si Total aide Romain (Grosjean), la filière Elf qui a propulsé tant de Français en F fait cruellemen­t défaut aujourd’hui. La loi Evin est aussi passée par là. Moi, jamais je n’aurais accompli une telle trajectoir­e sans l’aide de la Seita et l’industrie du tabac. Hélas, tant que l’on manquera autant de moyens, quand bien même la Fédé (FFSA) se démène, ce sera compliqué.

Votre fils, Aurélien, ne roule pas à Monaco cette année… Dommage. Vu le début de saison prometteur qu’il réalise en Formula V . (vainqueur de la course  à Motorland Aragon, NDLR), j’aurais bien voulu le voir en action ici. Tout ce que je lui souhaite, c’est de revenir un jour pour gagner en F.

À ce propos, pensez-vous que le pilote qui s’élancera e ce dimanche a une chance… (Il coupe) Aucune chance de s’imposer. L’évolution de la F et sa réglementa­tion ne vont pas dans le sens du spectacle. De nombreux acteurs et observateu­rs le déplorent régulièrem­ent. Les progrès techniques, la fiabilité des autos, les pénalités infligées pour trois fois rien… Tout cela rend impossible une telle éventualit­é. Même s’il tombe des cordes. PROPOS RECUEILLIS PAR

GIL LÉON

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(Photo Cyril Dodergny)  mai : Olivier Panis et la Ligier JS-Mugen Honda soufflent leurs  bougies à Monaco. Comme on se retrouve!
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 mai  : Olivier Panis hisse les couleurs au bout de l’exploit. Impossible n’est pas français ! (Photo AFP)

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