Nice-Matin (Cannes)

Joue-la comme Ricciardo

Hier matin, avant de laisser la piste aux fauves et au «chrono-maître» australien Ricciardo, j’ai embarqué avec l’ancien rallyman et directeur de course, Marc Duez. Une première mémorable

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h47 hier. Fermeture de piste. Marc Duez presse le contact de la Mégane cabriolet blanche de la direction de course. Le champ est libre. L’asphalte à point et l’air déjà lourd – 22 degrés à l’ombre. En bord de piste, les commissair­es en combinaiso­n orange agitent leurs drapeaux. Le moteur vrombit, l’aiguille du compteur grimpe, la haie d’honneur s’accélère. Au coeur de la montée de Sainte-Dévote, le pilote belge roule déjà plus vite que ma Polo n’y est autorisée sur l’autoroute du Soleil! Assis à sa droite, je réalise soudain mon privilège. Je roule sur les traces des légendes du sport automobile. Je roule sur le circuit de Monaco… Au passage du casino, cette pensée m’égare. Senna, Schumacher, Montoya, Alonso… Les visages défilent jusqu’au « gauche-droite » du casino – mordu sur les bordures – qui me replonge dans ce rêve éveillé. C’est parti pour un manège en 19 actes, 19 virages en enclos où la barrière – d’autant plus en décapotabl­e – prend souvent des airs de main courante. Je roule sur le circuit de Monaco…

Des bonshommes Lego Ces courbes mythiques que je fantasmais le dimanche après-midi sur TF1, avant que Drucker et son canapé rouge ne prennent la pole des programmes en clair et que le sport devienne payant. Privant le fan lamdba de l’émergence d’une nouvelle génération en F1. Au passage du Nibox, les visages en noir et blanc placardés sur la façade ne forment qu’un bref damier. L’aiguille remonte en flèche, les commissair­es se muent en bonshommes Lego animés des bras. Le tunnel se profile. Sa trajectoir­e sans fin. Son atmosphère feutrée et son rôle d’accélérate­ur de particules. Alors que mon pilote passe les rapports comme on enfile des perles, mon effort pour maintenir le drapeau monégasque flottant en dehors de l’habitacle équivaut à passer les vitesses d’une 2CV face à tant de prise d’air. 180 km/h, c’est la dernière marque que mon oeil captera en sortie de tube, trop obnubilé à fixer la piste et ses à-côtés. Je roule sur le circuit de Monaco… Le port Hercule se dessine, laissant de marbre mon pilote d’un jour et son faux air de Gervais Martel. Le Yacht-club dans les rétros, Marc Duez attaque très serré la nouvelle chicane. Petite montée d’adrénaline. La veille encore, l’Indonésien Ryo Harianto se prenait les pieds dans le tapis à l’approche de l’obstacle. Eh oui, je roule sur le circuit de Monaco…

Quel degré de folie ? Cheveux au vent, notre équipage vogue vers le virage du Tabac et l’avale sans sourciller. Plus la ligne blanche s’avance, plus mes yeux s’écarquille­nt. Et une question : sérieuseme­nt, quel degré de folie faut-il atteindre pour oser doubler sur ce tracé à une vitesse au moins deux fois supérieur à la mienne sur l’instant ? L’exigeante épingle de la Rascasse impose une baisse de régime comme pour sonner le glas de ce road-trip unique. Dernière accélérati­on sur la grille de départ et puis Marc lève le pied. Coupe la sirène. L’étoffe du drapeau monégasque au bout de mon bras droit retombe. La porte claque. Le sourire se fige. Les Formule Renault ruminent dans les stands… Quelques heures plus tard, Daniel Ricciardo sème la concurrenc­e avec un tour en 1’13’’622. Moins de la moitié de notre performanc­e matinale. Peu importe. Hier, j’étais aussi Daniel Ricciardo.

THOMAS MICHEL tmichel@nicematin.fr

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(Photo Cyril Dodergny) Le tunnel. Sa trajectoir­e sans fin. Son atmosphère et ses sensations.

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