Devenir un petit Calais Germinal, le « no border »
Quand on lui demande son nom, il hésite, embrasse du regard cette Piazza della Liberta cernée par les forces anti-émeutes italiennes et, finalement, lâche dans un sourire : « vous n’avez qu’à dire que je m’appelle Germinal! » Cet « Étienne Lantier » des temps modernes est l’un des onze « no border » interdits de séjour à Vintimille pour « trouble à l’ordre public ». Germinal a fait appel. Mais en ce dimanche de manif, ce jeune Italien de 26 ans est prêt à récidiver au nom de ses idées. Les « no border » ont enfilé perruques et sous-vêtements rose fluo. Ils agitent un plumeau sous le nez des carabiniers: « Stop! No comenta… Ici c’est chez moi, là c’est chez toi! »
« Les frontières tuent » Une demi-douzaine de militants jouent les gardes frontière d’opérette en plein coeur de Vintimille. Pour dénoncer l’absurdité de ces lignes virtuelles entre pays qu’ils voudraient rayer de la carte. « Pas de frontière! » Telle est la doctrine des « no border », celle de Germinal: «Mapatrie c’est le monde entier. Elle n’a pas de frontière », martèle-t-il. Tout simplement « parce que les frontières tuent! » Comme ce cadenas entre la France et l’Italie qui fait barrage à des centaines de migrants. Germinal, originaire de Palerme, a traversé la Botte pour les rejoindre. Pour écouter le récit de leur exode. Comme celui de cet Érythréen: « il s’est mis à pleurer en me racontant comment un policier avait écrasé sa cigarette sur sa jambe. » Ce n’était pas à l’autre bout du monde. Juste de l’autre côté de la frontière : « on a des témoignages de violences policières », assure Germinal. En retour les forces de l’ordre pointent du doigt les débordements des « no border ». Ils seraient en quelque sorte le black bloc du monde caritatif.
« De simples numéros pour les associations » Germinal n’hésite pas à parler de « business associatif ». Il ne mâche pas ses mots à l’encontre de ces « quasi-officines de l’État » qui, « comme la Croix Rouge », n’offrent « un matelas » qu’aux migrants qui acceptent de se laisser ficher : « Pour avoir accès à leur centre d’accueil il faut d’abord qu’ils donnent leurs empreintes! Là-bas ils ne sont finalement que des numéros. Nous, on les connaît tous par leur prénom… » En marge des centres d’accueil tenus par les associations, les « no border » ont ouvert des « free spot », des campements sauvages. Puisque les migrants sont toujours là, les « no border » aussi. « Parce qu’aucun homme n’a le droit d’empêcher ceux qui fuient la guerre de pouvoir refaire leur vie ici », estime Germinal. Dans un monde néolibéral qui prône la libre circulation des marchandises au nom de la croissance économique, c’est au nom de la décence que ce jeune « no border » italien de 26 ans milite pour que les peuples puissent disposer… « des mêmes droits ». Une cause qui, en son temps aurait pu inspirer Émile Zola.
Dossier : ERIC GALLIANO ET GUILLAUME BERTOLINO egalliano@nicematin.fr guibertolino@nicematin.fr