Nice-Matin (Cannes)

Au verrou franco-italien

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sommet, il y a un an, en marge de l’inaugurati­on de l’exposition universell­e de Milan. François Hollande et le chef du gouverneme­nt italien, Matteo Renzi, ont alors décidé de ne plus faire cavaliers seuls. Les deux pays collaboren­t depuis pour endiguer le flux migratoire. Des patrouille­s communes ont été mises en place tous les jours. « La lutte contre les passeurs qui exploitent la misère humaine est notre principal objectif », assure François-Xavier Lauch, le directeur de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes. Cela va de ce que le commissair­e Casanova appelle «le passeur casse-croûte », souvent immigré lui-même

‘‘ qui trouve une source de revenu en faisant des navettes entre la France et l’Italie, à des filières plus structurée­s comme ces donneurs d’ordres comoriens qui organisaie­nt leur trafic d’êtres humains depuis Marseille. « On a récupéré des gens au bord de l’asphyxie, entassés à l’arrière de camions ou dans le coffre de voitures », déplore le chef de la police aux frontières à Vintimille, Martino Santacroce.

Quand les passeurs gênent la mafia Les autorités des deux pays voient dans la baisse des interpella­tions constatées ces dernières semaines, le fruit de leur active coopératio­n. Un observateu­r attentif avance aussi une autre explicatio­n : « Vintimille a été le théâtre de deux incendies criminels, sur une plage et sous l’autopont à l’entrée de la ville. Deux points de ramassage pour les passeurs. Sur la plage on voyait les migrants s’aligner en file indienne à la nuit tombée. Ils ont essayé, également, de s’implanter à l’autoport où transitent les poids lourds qui sillonnent l’Europe. Ça devait contrarier d’autres activités bien plus lucratives », sourit cet homme particuliè­rement bien renseigné qui, sous couvert de l’anonymat, lâche le mot : «La mafia ! Les passeurs devaient gêner la mafia. Les incendies sont la signature de la ‘Ndrangheta. Et force est de constater que ça fonctionne. Les passeurs se sont réorganisé­s». La malavita peut donc continuer à prospérer tranquille­ment... Mais il n’y a pas que les capo qui en ont eu ras le bol. La population de Vintimille en général commence à en avoir marre de servir de réceptacle à toute la misère du monde alors qu’à un jet de galet de là, le maire de Menton, JeanClaude Guibal, assure n’avoir aucun problème avec les migrants : « C’est simple, on n’en voit pas ! » Preuve, s’il en fallait de l’efficacité du dispositif d’intercepti­on frontalier. Sauf qu’il a fait de Vintimille une voie de garage migratoire.

Camps fermés et distributi­on interdite Celle où le militant « no border » Germinal (lire par ailleurs) a choisi de mener son combat pour les droits des migrants. « Ils ont emmené Alfano au centre de la Croix Rouge, mais personne n’a cru bon venir sur la plage où nous avions notre propre camp. Beaucoup de réfugiés préfèrent venir dans ce free spot parce qu’ils n’y sont pas fichés. Il faut les comprendre. Ces gens ont connu la guerre, les arrestatio­ns arbitraire­s, le fait d’avoir à donner leurs empreintes leur fait peur. » Après la visite du ministre de l’Intérieur, le campement sauvage de la plage a été démantelé lui aussi. « Ils ont profité d’une distributi­on de nourriture de Caritas pour décréter qu’il n’y avait plus personne », s’indigne Germinal qui pointe du doigt le manque d’humanité du maire de Vintimille : « Il a interdit les distributi­ons de nourriture par les associatio­ns. ». Officielle­ment l’arrêté municipal a été pris pour des « raisons d’hygiène ». Onze « no border » qui apportaien­t leur soutien logistique aux migrants ont été interdits de séjour dans la cité frontalièr­e. Soupçonnés, sans doute, d’outrepasse­r leurs « missions » d’aide matérielle, psychologi­que et alimentair­e. « Ce sont les mêmes qui renseignen­t les clandestin­s sur les voies de passage entre l’Italie et la France. Par exemple ils placent des drapeaux arc-en-ciel frappés du mot pace tout le long du Pas de la Mort au-dessus de l’autoroute. N’hésitant pas non plus à couper les fils de fer barbelés qui datent de la seconde Guerre Mondiale », indique un fonctionna­ire de police français.

Ils tenteront de passer « encore et encore...» Interdits de séjour mais pas démotiver pour autant. Un nouveau campement sauvage s’est déjà reconstitu­é, à l’abri des regards cette fois, sous un des ponts de la Roya... Il vient d’être à son tour menacé d’expulsion par un arrêté municipal du 26 mai. L’associatio­n catholique Caritas estime « qu’ils sont déjà plus de 260 à s’y masser. Dans des conditions dramatique­s et déplorable­s. Avec de nombreux mineurs dont nous craignons qu’ils ne soient pas accompagné­s ». Dans cet interminab­le jeu de dupes qui ne manque pas de paradoxes sur fond de misère humaine, un dernier exemple : si Croix Rouge et Caritas peuvent venir en aide aux migrants, c’est grâce aux dons mais aussi à l’argent... du contribuab­le italien. Et ce, en vertu des accords du Latran de 1929 qui prévoient que 0,8 % du montant de l’impôt sur le revenu peut être utilisé par l’État pour venir en aide aux réfugiés via des associatio­ns religieuse­s. Un contribuab­le italien qui aimerait pourtant voir tous les Sabir et Adam repartir d’où ils viennent. Ou passer cette satanée frontière. Les deux Soudanais ne demandent pas mieux. Ils réessaiero­nt. « Encore, et encore, et encore avec l’aide de Dieu », assurent-ils. Parce que c’est devenu leur unique raison de vivre.

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Tous les jours les contrôles se multiplien­t en gare de Menton-Garavan.

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