Bleu de France, un succès éclatant à l’international
Depuis 1948, la famille Roux lave, repasse et détache des milliers de vêtements par an Une étonnante affaire familiale, du boulevard de la Madeleine à Nice jusqu’au Gabon
Un jour, avec mon père, nous sommes allés à Moscou. Lorsqu’il a vu le nom de son enseigne Bleu de France, il est resté bouche bée. » Ce jour-là en Russie, Robert Roux lit dans les yeux de Jean, son désormais feu paternel, une fierté incommensurable. Ce jour-là, à des milliers de kilomètres de sa Côte d’Azur natale, le créateur de la marque, spécialiste dans l’entretien des textiles, mesure réellement le chemin parcouru. Jamais il n’aurait imaginé que son premier « bébé » en fasse trentequatre autres dans cinq pays d’Europe et d’Afrique.
Les grandes familles bourgeoises pour clients Flash-back. Année 1948. Derrière son vélo, Jean Roux, tout juste 21 ans, traîne une carriole remplie à ras bords de vêtements jusqu’à son atelier d’artisan. C’est ici, au 114, boulevard de la Madeleine, que le jeune maître coloriste donne un coup de propre à la garde-robe des grandes familles bourgeoises de Nice. « Ses clients étaient la Maison Auer, Le Negresco…, se souviennent ses deux enfants, Robert et Anne-Marie Lejeune, aujourd’hui aux commandes de l’entreprise. Il teignait aussi les vêtements, selon la mode du moment. » Tout se faisait à la main, à l’ancienne. Métier rustique aux antipodes des machines actuelles, dernière génération, équipées du dispositif aquanettoyage. Un savoir-faire précieux. Une concurrence aux abonnés absents. Les deux clés qui lui permettent d’établir un solide réseau de dépôts de teinturerie sur la Côte d’Azur et en Corse. Puis, les deux enfants intègrent l’univers du textile, en foulant les pas de « papa » en 1975. C’est à ce moment précis que Bleu de France opère un tournant radical dans sa politique entrepreneuriale. C’est en famille qu’Anne-Marie Lejeune et Robert Roux veillent au bon fonctionnement de l’héritage familial. Une soeur en charge du personnel, un frère en relation avec les banques. (Photo F. Chavaroche)
« On compte alors une dizaine de pressings dans le département. Et on se diversifie vers le nettoyage industriel de locaux et la location de linges et de vêtements professionnels », explique Robert Roux. De ces deux activités, il ne reste plus une miette aujourd’hui. Elles ont été cédées à de plus gros. « En revanche, depuis 2006 et le retrait des affaires de
notre père, nous avons développé un autre secteur : la décontamination après sinistre. » Au siège de l’enseigne, désormais établie au numéro 116, les vêtements rongés par les fumées acides ou la moisissure revivent littéralement. Pour une seconde vie.
Une rencontre divine Quid de l’export ? Il y a bien eu cette aventure rapidement avortée aux États-Unis dans les années quatre-vingt. « Il n’y a aucun complexe dans notre métier. Il faut tenter, on ne réussit pas à chaque fois »,
nuance Robert Roux. Mais ça, c’était avant 2004 et cette rencontre divine avec André Vittenberg. « J’ai rencontré ce jeune Russe sans un sou mais d’une motivation sans faille. Il m’a dit qu’il n’y avait pas de pressing en Russie », se rappelle Robert Roux qui lui donne alors carte blanche pour ouvrir la première franchise sur place. Dix mois plus tard, c’est un formidable retour sur investissement. Dix ans plus tard, la Russie compte vingt-deux pressings franchisés. Jusqu’en plein coeur de la Sibérie à Novossibirsk « Je crois beaucoup à la rencontre. Les plans sur papier? Je m’en méfie. » C’est sur ce principe que le duo familial de choc se base pour accroître Jean Roux crée l’entreprise artisanale Bleu de France.
1973 Création d’un département « Nettoyage industriel de locaux et de bureaux » qui comptera jusqu’à 200 salariés. Il n’existe plus.
Après ses études, Robert, le fils de Jean Roux, rejoint l’entreprise familiale.
Création d’un département « Location de vêtements de travail ». Jusqu’à 70 000 personnes seront équipées de Nice à Avignon. Il n’existe plus.
Développement d’un nouveau créneau : la décontamination de vêtements après sinistre.
Aujourd’hui, Bleu de France compte 35 pressings dans cinq pays d’Europe et d’Afrique, 180 employés et un CA 2015 de 8 M€.
son influence à l’export. A Dakar, au Sénégal. À Marrakech, au Maroc. Et tout récemment à Libreville, au Gabon. Le petit dernier. « Notre père serait très fier. Il ne nous a jamais mis de bâtons dans les roues », soufflent les deux héritiers d’une bien belle affaire. Mais ils en sont conscients : le métier change. S’abîme. Se transforme. « La profession a pâti de décisions surréalistes », peste celui qui est aussi président de la Fédération nationale des pressings. Un héritage en péril? Robert Roux balaie cette hypothèse d’un grand revers de main.
THIBAUT PARAT tparat@nicematin.fr