Nice-Matin (Cannes)

Jean-Yves Le Drian ou l’art de la guerre face à Daesh

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Ministre de la Défense, président de la région Bretagne, premier-ministrabl­e potentiel, Jean-Yves Le Drian est un homme fort occupé. Il a, malgré tout, déniché un peu de temps pour écrire un livre. Court au demeurant et à vocation pédagogiqu­e. Qui est l’ennemi ?

(1) dessine, en quatre-vingts pages, une stratégie face à l’adversaire bien vite ciblé : Daesh. Un ennemi protéiform­e, nébuleux, affranchi des règles de la guerre ordinaire, qui nous oblige à repenser notre approche stratégiqu­e et éthique. « Daesh inscrit ce combat dans une vision apocalypti­que, totalitair­e et éradicatri­ce, qui fanatise ses membres. Nous sommes ciblés d’abord pour ce que nous sommes, pour ce que nous représento­ns… Ces hommes ne viennent pas prendre des otages ou négocier une contrepart­ie. Ils recherchen­t seulement et délibéréme­nt le plus grand carnage possible. » Jean-Yves Le Drian se place dans une logique de fermeté mâtinée de raison. « Ma conviction est qu’il n’y a pas d’ennemi de l’intérieur : si le combattant de Daesh en Syrie et en Irak est un ennemi, et doit être traité comme tel, le terroriste sur le territoire national est un criminel, et doit aussi être traité comme tel. Parler

d’ennemi de l’intérieur peut conduire à une stigmatisa­tion et à des tensions dangereuse­s – précisémen­t ce que certains théoricien­s ennemis recherchen­t… La cinquième colonne, jadis communiste, aujourd’hui islamiste, reste d’abord un fantasme. »

Quintuple stratégie Le ministre de la Défense pointe, après d’autres, la difficulté de lutter contre une idéologie dont la virulence se trouve démultipli­ée par Internet et les réseaux sociaux. Et il définit une stratégie en cinq points : militaire pour libérer les territoire­s sous la coupe de Daesh; diplomatiq­ue

pour conduire une transition politique en Syrie ou en Libye notamment ; policière et judiciaire forcément ; politique et économique « car l’assèchemen­t du recrutemen­t djihadiste passe aussi par la juste répartitio­n des fruits de la croissance, la lutte contre la corruption et l’accès à certains services de base comme la justice. Rien de durable contre Daesh ne sera possible sans l’aval et la participat­ion active des sociétés autochtone­s »; idéologiqu­e enfin : « C’est sans doute le point le plus crucial. On ne fait pas la guerre, au sens militaire, à une idéologie. En revanche, il faut mettre en oeuvre tous les moyens de lutte pour contrer son influence, notamment sur le terrain de l’informatio­n. »

Cadre moral Pour Jean-Yves Le Drian, la bataille ne se gagnera pas avec les armes de l’ennemi, en s’affranchis­sant de nos propres valeurs. « Si nous devons nous adapter à la menace, être attentif à ses singularit­és et innover en permanence, nous devons aussi revendique­r le cadre qui est le nôtre, celui de l’Etat de droit fondé sur des principes universels… Les forces morales de la Nation ont tout leur rôle à jouer. Notre capacité collective à répondre au choc d’un nouvel attentat majeur ou d’une surprise stratégiqu­e s’apprend et se cultive. Elle dessine le modèle d’une défense qui déborde le périmètre de la Défense, où les Français continuent de déléguer à leurs soldats le soin premier de les défendre, mais où ils peuvent aussi jouer un rôle concret à leurs côtés. Ce faisant, elle invite chacun à trouver sa place au sein du collectif, par exemple en devenant réserviste. » Une position moralement louable, à défaut d’être franchemen­t rassurante…

THIERRY PRUDHON

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Jean-Yves Le Drian sortant de l’Elysée. (Photo MAXPPP)

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