On a gagné!
On a gagné. L’Euro a été de l’avis général – en particulier des sept millions de visiteurs étrangers – une réussite. Hormis quelques problèmes de pelouse ou de signalétique, tous – professionnels ou simples supporteurs – ont salué la qualité de l’organisation et des infrastructures et rendu hommage à l’hospitalité des Français. Quand on sait la réputation qui nous est souvent faite à l’étranger (arrogants, mauvais coucheurs, j’en passe), et quand on se souvient de l’image que la France projetait il y a quelques semaines (entre grèves, manifs à répétition et scènes d’émeutes urbaines), ce n’était pas gagné d’avance. On a gagné. La police était sur les dents. Le péril djihadiste hantait les esprits. Certains proposaient même d’interdire les fan zones. Et puis… rien. Passées quelques violentes poussées de hooliganisme, les rassemblements n’ont donné lieu à aucun drame et très peu de débordements. Ce fut une fête colorée, fraternelle, bon enfant. Un rêve d’Europe, cordiale et tolérante. Un mois d’insouciance et de tranquillité comme le pays n’en avait pas connu depuis des mois. On a gagné. La France du juillet n’est plus celle du juin. Elle a la tête ailleurs, l’esprit plus léger. Pendant quelques semaines, elle a non pas oublié (on n’oublie jamais) mais mis entre parenthèses les sujets qui la taraudent et la divisent: la loi El Khomri, la menace terroriste, le chômage, le discrédit du gouvernement, les querelles politiciennes… Tout ce qui nourrit et entretient cette mélancolie nationale dont la France semble s’être fait une spécialité. Bien sûr, la rémission n’est que provisoire et superficielle. Le football est un opium léger, dont l’effet se dissipe rapidement. Mais bon sang, que ça fait du bien! On a gagné. Au fil de la compétition, une sélection bricolée jusqu’à la dernière minute est devenue une véritable équipe. Peut-être pas la meilleure que nous ayons jamais eu. Mais soudée, volontaire, généreuse. Capable de se dépasser dans les moments difficiles. Et les Français se sont pris d’amour pour elle, sans calculs ni arrièrepensées. Rappelez-vous, dans le passé, les pénibles commentaires sur l’origine et la couleur des joueurs, les absurdes procès en patriotisme, les imputations malsaines dirigées contre tel ou tel entraîneur. Rien de tel, cette fois-ci. Mais au contraire, un pays en phase avec ses représentants. Oublié Knysna, oublié les guerres d’ego et les caprices de divas. Avec cette génération, dont Antoine Griezmann est la figure rayonnante, on a redécouvert que le football pouvait être joyeux, inventif, ludique. Et fédérateur! On a gagné. Si on nous avait dit avant le juin que les Bleus iraient en finale, nous aurions signé des deux mains. Et si on nous avait dit, en prime, que nous éliminerions l’Allemagne! Rien que pour cet exploit, cette victoire venue briser une malédiction vieille de plus d’un demi-siècle, et qui valait peut-être autant que le titre de champion d’Europe, l’Euro restera une des belles pages de notre histoire sportive. On a perdu en finale, bien sûr. Cela s’est joué à trois fois rien. À quelques centimètres. Un tir sur le poteau. C’était le tour des Portugais de vaincre leur malédiction nationale. Appelezça les dieux, le sort, la chance. C’est le football. Mais ils sont si sympathiques, ces Portugais, si chaleureux, si enthousiastes, leurs supporters; il y avait une telle injustice à ce qu’un pays si passionné de foot n’ait jamais remporté aucune grande compétition; et soit dit en passant, ce pays ami, tellement éprouvé par la crise et les politiques d’austérité, avait tellement besoin lui aussi de se changer les idées et de retrouver confiance en lui, que je ne peux m’empêcher de penser que la France mise à part, bien sûr, nul ne méritait plus que lui de gagner l’Euro .
«...Et si on nous avait dit, en prime, que nous éliminerions l’Allemagne! »