Deux mois après
Six contacts de Lahouaiej Bouhlel sont mis en examen à ce jour. Des mystères demeurent autour du profil du terroriste du 14-Juillet qui a causé la mort d’au moins 86 personnes
Dans la cabine du camion qu’il a loué pour son effroyable massacre, à côté de sa dépouille criblée de six impacts, il y a le pistolet qu’il a utilisé pour tirer sur les policiers, mais aussi des armes factices. Pourquoi avoir amené avec lui, outre un pistolet 7.65 chargé, des grenades inoffensives et un fusil d’assaut d’opérette ? « Il voulait tuer des policiers pour parachever son oeuvre et mourir sous leurs balles. Avoir des armes, mêmes fausses, devait provoquer une riposte proportionnée et parachevait son attentat », analyse un enquêteur. Un proche de la famille n’est pas d’accord : « Il s’aimait trop pour vouloir mourir ». « Je ne pense pas qu’il était kamikaze. Il espérait s’en sortir. » C’est l’une des innombrables controverses autour de Mohamed Salmene Lahouaiej Bouhlel, Tunisien de 31 ans, marié mais en instance de divorce, père de trois enfants, installé à Nice depuis 2008. La SDAT, sous-direction de l’antiterrorisme et l’antenne de la police judiciaire de Nice poursuivent leur travail de fourmis en passant au crible les relations de Lahouaiej Bouhlel. La liste de noms et de numéros de téléphone qu’il avait sur lui est une précieuse pièce à conviction, tout comme son ordinateur saisi à son domicile, route de Turin à Nice-Est.
L’appel d’Al-Adnani
Les mythes du loup solitaire ou d’une radicalisation expresse n’ont pas résisté aux premières investigations. Pour autant, un lien direct avec Daesh n’est pas clairement établi. A Nice, les djihadistes ont souvent été recrutés par le Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda notamment grâce au charisme d’Omar Diaby (alias Omar Omsen), ancien délinquant local devenu expert en propagande. Lahouaiej Bouhlel, via Internet, consultait tout à la fois des sites pornographiques et de propagande islamiste. Sur son ordinateur, il possédait une photo d’un dignitaire d’Al-Qaïda. Mais son mode opératoire correspond aux suggestions du porte-parole de Daesh, Abou Mohamed Al-Adnani : «Si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen, en particulier les méchants et sales Français, alors comptez sur Allah et tuez-les de n’importe quelle manière. Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec sa voiture, jetez-le d’un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le.» Nul besoin de faire allégeance ou de parfaire sa formation en Syrie. Une logistique minimale, quasi artisanale suffit à provoquer un maximum de terreur et à entretenir un climat de menace permanent. Le terroriste tunisien, en choisissant la date de la Fête nationale, a parfaitement réussi son entreprise mortifère.
« Certains ont fermé les yeux »
Lahouaiej Bouhlel pratiquait-il la «Taqiya », cette méthode de dissimulation djihadiste qui consiste à se fondre dans la masse, quitte à boire de l’alcool, à danser la salsa dans un club niçois pour passer sous les radars de l’antiterrorisme ? D’aucuns avancent cette hypothèse. D’autres estiment que certains signes auraient mérité d’être signalés aux autorités. « Certains ont préféré fermer les yeux sur sa radicalisation », s’indigne un enquêteur. Originaire de Msaken, comme la majorité des Tunisiens de Nice, Lahouaiej Bouhlel s’est facilement intégré, a toujours travaillé. Il était chauffeur-livreur pour une société de Carros, avait une vie sociale, s’adonnait à la musculation, n’était pas bisexuel comme cela a été avancé, mais multipliait les conquêtes féminines. Celui qui n’était pas à un paradoxe près, fréquentait parfois la mosquée de Las Planas, trouvait légitime que Daesh possède son propre territoire tout en s’accommodant d’une vie dissolue. Une manière de préparer tranquillement son funeste projet ? Le procureur de Paris a confirmé la préparation, depuis au moins le 14 juillet 2015, de l’attentat de Nice. Après avoir loué dans un premier temps une camionnette, le terroriste choisit finalement un 19 tonnes avec lequel il viendra onze fois entre le 11 et le 14 juillet repérer les lieux de son futur carnage. Hamdi Zaghar, 36 ans, Chokri Chafroud, 37 ans, Mohamed Oualid Ghraieb, 40 ans, qui figurent parmi ses proches, ont été mis en examen et écroués sans que les charges qui pèsent sur eux soient révélées. La justice leur reproche entre autres, une association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Ils apparaissent parfois tout sourire sur des photos compromettantes avec Lahouaiej Bouhlel et n’ont rien fait pour le dissuader de passer à l’action. Complices actifs ou passifs ? Le secret de l’instruction est pour l’instant bien gardé, tout comme les résultats des analyses toxicologiques effectuées sur la dépouille du terroriste. Ramzi Arefa, 21 ans, et le couple d’Albanais, Artan Henaj et sa compagne Enkelidja, les autres mis en cause, semblent davantage relever de la délinquance de droit commun. Encore que... des SMS envoyés le soir du 14-juillet par Lahouaiej Bouhlel posent question. Ces suspects ont été déférés pendant l’été devant un juge antiterroriste, mis en examen et incarcérés. Ils ont fourni le pistolet à Lahouaiej Bouhlel. Ce qui peut paraître anodin à ces personnes habituées aux petits trafics en tout genre, a pris, selon un avocat, une dimension qu’eux-mêmes étaient loin d’imaginer.