Nice-Matin (Cannes)

Guillaume de Saint Marc, une vie avec le terrorisme

Il vient en aide, avec son associatio­n, aux victimes du terrorisme auxquelles ce 19 septembre est dédié. Il était à Nice pour rencontrer celles du 14-Juillet

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@nicematin.fr

Bien né, Guillaume Denoix de Saint Marc a longtemps cru que son père, Jean-Henri, serait toujours présent pour le sortir d’une mauvaise passe. Cette insoucianc­e, il l’a perdue dans les sables du Ténéré le 19 septembre 1989. Ce jour-là, son père, nouvelleme­nt nommé directeur de Total pour l’Afrique, se trouve à bord du vol 772 de la compagnie aérienne française UTA. L’avion, un DC 10, explose au-dessus du Niger avec à son bord 170 passagers et membres d’équipage. Aucun ne survivra à cet attentat perpétré par la Libye du colonel Kadhafi. Visiblemen­t en représaill­es à l’aide militaire apportée par la France au Tchad. Si cette date reste à jamais une blessure pour tous ceux qui ont perdu un parent, un ami dans cet attentat, elle a aussi été retenue, depuis plusieurs années déjà, pour rendre hommage à l’ensemble des victimes du terrorisme. Jeune diplômé en bio-industrie, Guillaume Denoix de Saint Marc travaille alors dans le marketing pour des grands groupes comme L’Oréal. « C’est l’époque où j’ai réalisé mes plus grandes performanc­es commercial­es. Tous les jours, j’enfilais mon costume physique et psychique. Mais de retour à la maison, je chialais des nuits entières », racontet-il d’une voix douce et claire. La comédie durera un peu moins d’un an, jusqu’aux vacances de l’été 1990. « Après une coupure d’un mois, je n’ai pas pu reprendre le boulot. » Besoin de changer d’air, de se rapprocher de l’Afrique où il a vécu heureux, enfant. Où il a désormais perdu son père, mais aussi son petit frère bien des années auparavant, Guillaume s’installe à Marina Baie des Anges, à Villeneuve-Loubet. Il y ouvre sans succès une boutique de décoration ethnique largement teintée d’Afrique noire. Avant de revenir à la com’. Il s’investit surtout dans l’associatio­n SOS Attentats qui suit de près l’enquête du juge antiterror­iste Jean-Louis Bruguière. Avec l’assurance des enfants de grandes familles, à moins que ce ne soit poussé par la colère – une colère froide – Guillaume de Saint Marc est l’auteur d’un coup d’éclat en février 2002. «Alors que Saïf al Islam, l’un des fils de Kadhafi, donnait une conférence à l’Institut français des relations internatio­nales à Paris, je l’ai interpellé en lui disant: “My father was in the DC 10” ».

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Pas d’excuses publiques de Kadhafi

On ne saura pas si, comme Saïf al Islam l’a cru sur le moment, l’idée de lui mettre son poing dans la figure a traversé l’esprit de Guillaume de Saint Marc. « Il était quand même invité par la France », se défend l’intéressé, dans un large sourire. Arrivé «un peu comme un chien dans un jeu de quilles », Guillaume de Saint Marc devient incontourn­able dans les négociatio­ns pour l’indemnisat­ion des familles de l’attentat du DC 10 d’UTA. Au bout de deux ans, un accord est enfin signé le 9 janvier 2004, fixant le montant des indemnités à 1 million de dollars pour chacune des 170 victimes. «C’était une énorme victoire, même si on n’a pas obtenu d’excuses publiques de la part de Kadhafi. » Les négociatio­ns terminées, et après avoir construit un mémorial en plein désert du Ténéré, Guillaume de Saint Marc aurait pu tourner la page. Pour se vider la tête ou pour commencer une nouvelle vie, il se lance dans des projets de développem­ent durable. Au profit de l’Afrique. Toujours. Mais la dissolutio­n de l’associatio­n SOS Attentats, conjuguée à l’attentat du Caire le 22 février 2009 contre des jeunes de LevalloisP­erret, va en décider autrement. Fort de son expérience, de ses années de combat, il fonde alors l’Associatio­n française des victimes du terrorisme (AFVT) en avril 2009. Une structure qu’il veut « très profession­nelle, pas dans l’à-peu-près », capable d’aider les victimes bien sûr, mais aussi de partager ses connaissan­ces sur le terrorisme, et même de faire de la prévention auprès des radicalisé­s. «Que ce soit auprès des victimes dont on connaît la souffrance, ou des personnes radicalisé­es à qui on montre l’échec du terrorisme, on a une légitimité », affirme Guillaume de Saint Marc. Son credo pour une renaissanc­e : « Sortir de la victimisat­ion et reprendre le contrôle de sa vie ». Un long chemin. Vingt-sept ans après la disparitio­n de son père, Guillaume de Saint Marc consulte encore parfois un psy. Surtout quand il ne se sent plus capable de répondre aux victimes.

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(Photo Jean-Sébastien Gino-Antomarchi)

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