L’islam au rapport
Par CLAUDE WEILL Il faut lire le rapport de l’Institut Montaigne intitulé Un islam de France est possible. Alors que la question musulmane sera – pardon, est déjà – au coeur de la campagne présidentielle, et que la France depuis trente ans ne cesse de débattre de l’islam et de sa place dans la République, le travail du think tank libéral Montaigne, appuyé sur une enquête de l’Ifop auprès d’un millier de musulmans de France, a le mérite de poser des faits, des chiffres, des données sociales incontestables, là où trop souvent on ne rencontre que passions, préjugés et bricolages idéologiques. Bien sûr, cette étude n’est pas définitive. Elle n’y prétend pas. Sa méthodologie et ses conclusions – brillamment développées par Hakim el Karoui, ancien du cabinet Raffarin et fondateur du club XXIe siècle – peuvent être discutées. Elles le sont déjà. Mais le fait que les protagonistes les plus opposés – de l’extrême droite anti-immigrationniste jusqu’à ceux qu’on taxe parfois d’« d’islamo-gauchistes » – aient trouvé là de l’eau pour leur moulin prouve assez la richesse de ce rapport. Loin des avis polémiques et des simplifications outrancières, il donne une vision nuancée et décapante de la réalité musulmane. Sans angélisme, ni catastrophisme. Résumons, au risque de caricaturer. Oui, la population musulmane se distingue du reste de la communauté nationale par la prégnance du fait religieux, dont témoignent trois marqueurs: une pratique religieuse plus intense, la norme alimentaire halal (très majoritairement respectée), le soutien au port du voile (les deux tiers des interrogés s’y déclarent favorables). Mais ce monde musulman de France n’en est pas moins divers et contrasté. L’auteur y distingue trois grands groupes, de tailles inégales. Le premier (près de la moitié de l’échantillon) rassemble des personnes qui sont soit déjà sécularisées, soit en train d’achever leur intégration au système de valeurs de la France contemporaine. Le second groupe (un quart de l’effectif), très pieux, conservateur, accepte la laïcité mais revendique fortement la possibilité d’exprimer son appartenance religieuse dans l’espace public. Le troisième groupe ( %), le plus problématique, réunit des musulmans qui ont adopté une attitude de retrait, voire de sécession vis-à-vis de la société et ses valeurs. Ils sont majoritairement jeunes, peu qualifiés, mal insérés dans le monde du travail. L’islam est le vecteur de leur révolte. Le fondamentalisme religieux, le moyen d’exprimer leur rébellion contre une société dont ils s’estiment exclus. La moitié des moins de ans s’identifient à ce groupe « sécessionniste ». Il est clair, note l’auteur du rapport, que cette attitude est en forte hausse depuis une décennie. Et non moins clair que cette affirmation « identitaro-religieuse », voire « théologico-politique », sur fond de menace terroriste, suscite angoisse et incompréhension dans la société française. C’est ici que la politique a son rôle à jouer. Qui n’est pas d’exciter les peurs pour les instrumentaliser, ni de dresser les communautés les unes contre les autres. Mais d’analyser les causes du mal pour tenter d’y porter remède. Les causes, elles sont terriblement complexes. Aussi bien internationales (les conflits qui déchirent le monde arabe, alimentant chez les jeunes musulmans un « être au monde victimaire », avec ses ennemis: l’Amérique, Israël, l’Occident) que franco-françaises (disons: les ratés de l’intégration, la crise sociale, les discriminations). Les remèdes ne peuvent être simplistes. On ne répondra pas à la pulsion de rejet de ces jeunes par un discours de rejet symétrique. Comme l’écrit Hakim el Karoui, « la France peut faire la guerre à Daesh, elle ne peut pas entrer en guerre avec une partie de sa jeunesse. »