Nice-Matin (Cannes)

Ils sont revenus

Un an après la vague qui a englouti leurs maisons et coûté la vie à leur voisine, nous avons donné rendez-vous sur place aux anciens résidents du hameau dévasté

- GAËLLE ARAMA garama@nicematin.fr

Un an après la vague qui a englouti leurs maisons et tué leur voisine, les sinistrés sont retournés au hameau de Carimaï au Cannet condamné à être rasé. 

Au bout de la petite route refaite qui mène à Carimaï, un spectacle sinistre, désolant, nous attend dès l’entrée. Tout semble s’être figé dans l’horreur depuis cette nuit cauchemard­esque du 3 octobre 2015. Boîtes aux lettres défoncées, enchevêtre­ments de déchets et de voitures désossées par les pilleurs, donnent le ton. Le temps semble s’être arrêté. C’est là, sur le parking, qu’on a donné rendez-vous aux ex-sinistrés. Tous ont été relogés, après quatre à six mois dans des conditions éprouvante­s

‘‘ au camping du Ranch. Une douzaine sont venus. Certains pour la première fois depuis des mois. D’autres y retournent souvent. Macabre Françoise mais vital pèlerinage. Comme Chantal, sur place tous les soirs pour donner à manger aux chats. Les visages graves s’éclairent pour les retrouvail­les. Accolades affectueus­es qui en disent long sur les liens indéfectib­les et le chemin parcouru. Ensemble. Françoise ne dit rien. Marche en silence jusqu’au grand portail déglingué pour accrocher un petit panneau de carton : «N’oublions pas Danielle ». Sans premier étage où se mettre à l’abri, cette résidente septuagéna­ire a été emportée. Retrouvée sans vie, 2 kms plus loin. Najib, qui habitait là depuis 18 ans, a le regard triste. «Ça me fait mal. Mes enfants de 17 et 15 ans ont grandi là. C’est comme un cimetière ici ». Le portail est fermé. Mais on entre en empruntant les berges herbeuses de cette maudite Frayère. Un filet d’eau ce jour-là. Propriété de l’OPH (Office Public de l’Habitat), le hameau jadis coquet niché sous l’autoroute n’est plus qu’un village fantôme. Les éclats de rire ont laissé place aux éclats de verre et autre débris éparpillés. Vestiges explosés de la vie à Carimaï. Un an après, le sol de béton est toujours jonché. Carcasses rouillées de voitures. Réfrigérat­eur retourné. La vague de souvenirs les submerge d’émotion. «De revenir ici, je ne suis pas bien. Je ne peux plus», lâche Ines. Cette grandmère de 59 ans s’estime mal relogée. « On avait un petit paradis. On se retrouve dans un petit appartemen­t. 53 m2 avec mes trois enfants adultes et trois chiens». La petite troupe avance. Les regards balaient les maisons murées de parpaings. Muettes et aveugles. Mais qui parlent quand même avec le coeur. À l’encre des inscriptio­ns bouleversa­ntes taguées et mal orthograph­iées. La détresse des ados de Carimaï s’est exprimée en graffs déchirants sur les façades. « On veut rentrée chez nous » ou «Les travaux ont eu notre peau». Et cet oeil bleu ourlé d’où perle une larme... Chaque soir sur la placette du hameau, c’était le même rituel. Les plus jeunes se retrouvaie­nt pour discuter. Alors Manuella, 13 ans et Ryan 14 ans, s’assoient sur leur banc. Comme avant. « Mon fils vient chaque semaine. Il reste des heures ici. Il est en train de devenir fou... » Difficile d’avancer, de reconstrui­re une vie en gardant l’espoir d’un possible retour. Un jour. C’est là, le drame des naufragés de Carimaï. «On ne nous a jamais réunis pour nous dire qu’on ne reviendrai­t pas. D’ailleurs, tous nos baux sont provisoire­s. Par contre, on nous a invités à la commémorat­ion pour les un an...» peste Françoise. En s’approchant de sa maison, le sourire de Fatna, à la nature gracieuse, s’évanouit. Elle glisse un oeil à l’intérieur par un pan de mur troué. Dans l’obscurité, on distingue le fatras moisi de son ancien salon. « Le matin même, j’avais acheté 18 bouteilles d’huile au supermarch­é. Il y avait des promos. C’est devenu une blague entre nous... ». Sur sa terrasse ravagée, des boîtes de conserve et des fruits laissés par de récents squatters. « Je vous invite, c’est moi qui régale !» plaisante-t-elle pour conjurer les larmes. Vite réconforté­e par sa meilleure amie Eva. Le salut du hameau fut la force de ses liens. Une communauté déjà précaire, soudée dans l’adversité. Qui s’est retrouvée éclatée, séparée, isolée. « On est allée voir l’OPH en pleurant pour rester ensemble. Et on a remonté la pente ensemble » racontent les deux amies qui habitent désormais toutes deux à Ranchito avec enfants et mari. Après l’évacuation en pleine nuit, les habitants ont dû affronter la vie au camping et les démarches administra­tives. « On s’est battu avec les assurances pour être remboursé mal et très tard», raconte Eva. Mais ils n’oublient pas le soutien de la mairie et la générosité des associatio­ns. Najib ramasse un rouleau à pâtisserie à côté d’une piscine hors sol pulvérisée. « C’est la fatalité ». D’autres sont plus virulents, laissent exploser leur colère. Cherchent une explicatio­n à la vague fatale. «Ils ont lâché des eaux au bac de rétention de Gréolières! On a retrouvé des carpes énormes. Il n’y en a pas dans la Frayère. C’est honteux. Il y aura une enquête ! » tonne Pascal, relogé dans le quartier des Mûriers, au 4e étage sans ascenseur. Il nous confie avoir pris dix kilos depuis un an. Tous ont somatisé. Plus ou moins. Nuits sans sommeil, anxiolytiq­ues, cauchemars. Et cette angoisse à chaque pluie. Une ancienne résidente, âgée de 76 ans, s’est éteinte en juillet. «En dépression, elle allait signer un bail à la Bocca. Elle habitait Carimaï depuis 60 ans, à l’époque où c’était une cité de harkis », explique sa fille Aïda. L’heure est venue de se quitter. Un dernier coup d’oeil à l’ancien jeu de boules muté en cimetière de voitures... sans pneus. « Quoi qu’il arrive, on n’oubliera jamais. Mais il faut se donner du courage et passer à autre chose », glisse Fatna, au sourire ressuscité. Ils le disent avant de se disperser vers leurs nouvelles vies : ils n’auront «jamais mieux». Mais ils «ne reviendron­t plus à Carimaï».

On ne nous a jamais réunis pour nous dire qu’on ne reviendrai­t pas ” C’est honteux. Il y aura une enquête! ” Pascal

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(Photos Patrice Lapoirie)
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