Nice-Matin (Cannes)

Peyrat : « L’affaire Turquin m’a laissé un goût amer»

Après le meurtre le 7 janvier dans les Caraïbes de l’ancien vétérinair­e de Tourrette-Levens reconnu coupable du meurtre de son fils Charles-Edouard, Me Jacques Peyrat, qui fut son avocat, se livre

- LUDOVIC MERCIER lmercier@nicematin.fr

En 1991, le petit CharlesEdo­uard Turquin disparaît du domicile de son père, JeanLouis Turquin. C’est finalement ce dernier qui sera reconnu coupable de meurtre en 1997 et condamné à vingt ans de prison, sans qu’on n’ait jamais retrouvé le corps de l’enfant. Détenu modèle, il sera libéré en 2006. Sa mort par arme à feu, survenue le 7 janvier dans sa résidence antillaise de Saint-Martin vient épaissir un peu plus le mystère qui plane depuis toujours sur cette affaire. L’ancien maire de Nice, Jacques Peyrat, son avocat de l’époque, revient sur les éléments troublants du dossier. Faites entrer la défense.

Que vous évoque la mort de Jean-Louis Turquin ?

Aujourd’hui encore, c’est le mystère qui plane sur cet homicide. On lui a tiré dans le dos. C’est l’acte d’un lâche, ou d’un revanchard. Je ne peux pas m’empêcher de me souvenir du climat de haine qui a entouré cette affaire. Une haine due en partie à ses affinités avec le Front national et le fait que le père biologique de son enfant était israélite.

En quoi la personnali­té de JeanLouis Turquin a-t-elle influencé le déroulemen­t de cette affaire ?

C’était d’abord un scientifiq­ue très brillant, major de sa promotion de vétérinair­es, un praticien très recherché. Et comme le sont souvent les hommes de science, il semblait froid. Il était aussi effroyable­ment cocu. Son épouse le trompait avec des voyous et des clochards. D’ailleurs, le père biologique de CharlesEdo­uard, Moïse Ber Edelstein, était un indigent qui pêchait sur le quai de Rauba-Capeu et qui, plus tard, a été happé par une vague lors d’une tempête. Malgré ces frasques, Jean-Louis Turquin adorait sa femme. Il aurait tout fait pour la garder, et il s’est d’ailleurs prêté à des jeux de rôle dans ce but.

Comme lors de ses « aveux » ?

Alors qu’ils étaient séparés, un jour, elle est venue le voir et s’est offerte à lui à la condition qu’il lui avoue ce qu’il avait fait de leur fils. Lui, toujours très épris, et pour répondre à son envie lui a avoué l’avoir étranglé et avoir jeté le corps dans une décharge vers Saint-André-de-la-Roche ou Lucéram. Après cette confession, ils ont fait l’amour. Seulement voilà, elle s’était équipée d’un petit magnétopho­ne et c’est cet enregistre­ment qui a constitué l’unique preuve objective de ce dossier. Et c’est d’ailleurs un problème.

En quoi est-ce un problème ?

En droit français, un enregistre­ment fait par un individu à l’insu d’une personne ne peut pas servir de preuve. Nous avons d’ailleurs appelé à la barre Michèle-Laure Rassat, experte en droit pénal et auteur de nombreux ouvrages reconnus qui l’a bien précisé : c’était une faute de se baser sur cette pièce. Malgré cela, les trois magistrats de la cour l’ont reconnu coupable et ont motivé leur jugement en partie par cet enregistre­ment.

N’y a-t-il jamais eu de preuves physiques ?

La justice pénale n’impose pas qu’il y ait un cadavre pour qu’il y ait homicide. Mais il faut des preuves. Toutes les décharges des environs ont été fouillées, retournées, personne n’a jamais retrouvé de corps. Rien. Pas la moindre preuve non plus.

Charles-Edouard n’a jamais été déclaré mort par sa mère. Il serait en Israël. Avez-vous tenté de suivre cette piste ?

C’est un détective privé engagé par Jean-Louis Turquin qui a trouvé cette piste après avoir suivi son exépouse. À Ashdod, près de Tel Aviv, il a trouvé des coiffeurs qui ont certifié avoir coiffé la mère et l’enfant, et qui les reconnaiss­aient sur des photos. Nous les avons fait venir à nos frais. Avant le procès, comme ils ne parlaient pas français, nous avons baragouiné nos quelques mots d’anglais. Suffisamme­nt pour être bien certains qu’ils reconnaiss­aient Charles-Edouard et sa mère sur les photos. Durant le procès, ils témoignaie­nt en hébreu, assistés d’une interprète. Et un confrère qui parlait hébreu m’a prévenu qu’elle traduisait l’inverse de ce que les témoins déclaraien­t. Ils affirmaien­t les avoir vus, et la traductric­e prétendait le contraire ! Nous avons fait un incident de séance. Nous avons demandé un nouvel interprète, en vain. Par la suite, nous nous sommes pourvus en cassation, sans succès là non plus. Plus tard, nous avons appris que la traductric­e était en fait une amie de Mme Turquin.

Pourquoi ne pas être allé jusqu’à la Cour européenne de justice ?

Jean-Louis Turquin ne l’a pas voulu. Jusqu’au bout, il était bien plus préoccupé par le sort de son fils que par son devenir à lui.

Avez-vous toujours l’intime conviction de son innocence ?

Vous savez, en tant qu’avocat, il m’est arrivé de défendre des coupables. Avec les années, on arrive à avoir une bonne conscience des personnes que l’on défend. Et j’ai toujours été convaincu de l’innocence de JeanLouis Turquin. Je reste persuadé que cet enfant avait effectivem­ent disparu, que son père le recherchai­t parce qu’il ne l’avait pas tué. Pendant plusieurs mois, il a collé et distribué des affichette­s pour le retrouver. Et je suis également convaincu que si Charles-Edouard n’a pas été déclaré mort par sa mère, c’est qu’elle savait pertinemme­nt qu’il était en vie.

Cette affaire semble vous avoir particuliè­rement marqué. Pourquoi ?

Souvent, pour nous pénaliste, un cas en remplace un autre. Mais l’ambiance nauséabond­e autour de cette affaire et le malaise suscité par la haine que manifestai­t l’opinion publique sont toujours restés en moi. Ce dossier a pesé beaucoup dans ma vie. Elle m’a laissé le goût amer d’une affaire inachevée, haineuse et injuste.

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(Photo Frantz Bouton) L’ex-maire de Nice et avocat pénaliste n’a jamais douté de l’innocence de son client.
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(Photo AFP) Jacques Peyrat et Jean-Louis Turquin.

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