Nice-Matin (Cannes)

Frédéric Lenoir : « Comment recréer du lien sans religion? » FRANCE ISRAËL

De passage dans la région, le philosophe et écrivain débattra aujourd’hui avec le public de l’importance du lien, dans une société écartelée entre consuméris­me et communauta­risme JUSQU’AU DIMANCHE 15 JANVIER 2017

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

crivain, philosophe, sociologue des religions, historien… Frédéric Lenoir cumule, avec succès, une quarantain­e de livres, une pièce de théâtre, une comédie musicale, le parrainage d’une associatio­n… Il sera aujourd’hui à Nice, à l’invitation de l’associatio­n JALMALV (Jusqu’à la mort, accompagne­r la vie) Côte d’Azur qui célèbre ses 30 ans, pour évoquer « la joie de donner » (1). Rencontre.

Vous dites que donner procure de la joie. N’est-ce pas une appréciati­on un peu subjective ?

C’est un constat, et non un jugement de valeur. Il suffit d’observer la nature humaine. Paradoxale­ment, alors que l’homme est fondamenta­lement égoïste, qu’il ne fait les choses que parce qu’il y trouve un intérêt, il trouve dans le fait de donner, du plaisir, de la joie, du bonheur. Des études ont montré que les gens généreux, qui s’intéressen­t aux autres, qui sont en empathie, sont plus heureux que les autres. Le fait d’avoir le souci d’autrui, de s’intéresser à l’autre, de développer des relations « gratuites », et non utilitaris­tes ou intéressée­s apporte du bonheur, de la joie. Il est ainsi dans l’intérêt de l’homme de donner.

Vous prônez le vivre ensemble. Mais dans le même temps, vous vous intéressez au développem­ent personnel. N’y a-t-il pas opposition entre ces deux concepts ?

Tout dépend comment on envisage le développem­ent personnel ; selon l’usage LE COMMERCE QUI PROFITE À TOUS qu’on va en faire, ça sera plutôt égoïste ou altruiste. Pour certains, il s’agit effectivem­ent d’être entièremen­t tourné sur soi, de maximiser ses plaisirs, sans souci d’autrui. Mais, pour d’autres personnes, consciente­s d’avoir des problémati­ques relationne­lles, l’objectif est d’être capable de mieux aimer.

Faut-il bannir la recherche de plaisir personnel ?

Certaineme­nt pas. La recherche du plaisir quotidien est essentiell­e. Notre bonheur vient de tous nos petits plaisirs : prendre un café le matin, regarder un rayon de soleil, écouter une musique qu’on aime… Comme dit Épicure, il n’y aurait pas de bonheur sans plaisir. Mais le bonheur ne devient entier et profond que lorsqu’il est relié aux autres. Le plaisir quotidien ne suffit pas à donner du sens à notre existence. Ce qui donne du sens, c’est l’autre. La joie ne vient pas de boire son café le matin, elle s’exprime face au sourire d’un enfant, en échangeant avec un ami, en partageant une relation amoureuse.

Quand vous évoquez l’autre, vous parlez du proche. Mais quid de l’autre, étranger ?

Quand on ne le connaît pas, l’autre reste abstrait et il suscite plutôt la peur et pose problème. Mais dès qu’on le connaît, ça change. Une expérience a été ainsi conduite en Grande Bretagne auprès de gens hostiles à l’accueil politique de réfugiés syriens. On leur a demandé de regarder dans les yeux ces réfugiés, pendant cinq minutes, sans parler. Au bout de cette période, la plupart étaient bouleversé­s. Ils avaient envie d’aider. Ce n’est plus une idée abstraite, un problème général, ça devient une problémati­que personnell­e de relation et de rencontre.

Qu’est ce qui passe dans ce regard ?

Lorsque l’on regarde quelqu’un dans les yeux, ce n’est plus un étranger. Il devient immédiatem­ent un prochain, il rentre dans votre intimité, vous entrez dans la sienne par le regard. Essayez de regarder  minutes quelqu’un dans les yeux ; c’est un exercice extrêmemen­t difficile, mais ça ne laisse pas indifféren­t.

Le déclin des grandes religions en Occident participe-t-il de l’altération de lien social que chacun s’accorde à reconnaîtr­e ?

Les religions créent en effet du lien très fort entre les individus. Les gens partagent des croyances, des rites, sont incités à s’entraider au nom de la religion. La question qui se pose aujourd’hui à nous, occidentau­x, est : Quel substitut trouver à la religion pour plus de conviviali­té, de solidarité d’entraide, de partages, de valeurs communes ? Comment recréer du lien sans religion?

C’est possible ?

Oui, mais ça fait appel à un travail personnel plus important. Dans le religieux, le lien est naturel, on est porté par le groupe. Dans une société individual­iste, créer du lien demande plus d’effort, il faut aller chercher au fond de soi, cette soif de rencontrer autrui. Tous les êtres humains partagent les mêmes valeurs de justice, de solidarité… On a beaucoup de points en commun, il faut simplement aller chercher ce qui nous réunit, nous rassemble et avoir envie de le partager avec les autres… Ça ne nous est pas donné d’emblée dans notre monde occidental.

Nombre de vos livres font un malheur en librairie. Vous considérez-vous comme un maître à penser ?

Je n’ai pas de relation personnell­e avec mes lecteurs, je ne suis pas un gourou. Par contre, je pense pouvoir jouer un rôle, en essayant d’apporter du sens à la vie des gens, en les aidant à trouver des satisfacti­ons plus profondes que celles fournies par le consuméris­me, le matérialis­me pur et dur, d’un côté, le fanatisme religieux, le communauta­risme de l’autre, soit les deux positions prédominan­tes aujourd’hui. On peut mener une existence profonde, donner du sens à sa vie en dehors de ces extrêmes en essayant de mieux se connaître, de faire un travail sur soi, de grandir, de s’améliorer de partager des valeurs…

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Frédéric Lenoir sera, à  heures aujourd’hui, au Centre Universita­ire Méditerran­éen à Nice. (DR)

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