Nice-Matin (Cannes)

Touche pas au plus grand poisson de Méditerran­ée!

Patrice Francour, professeur d’écologie à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, oeuvre pour la préservati­on du mérou. Menacé de disparitio­n dans les années 1980, il reste vulnérable

- Dossier : Sophie CASALS scasals@nicematin.fr

Le mérou brun est en danger. Très apprécié pour sa chair savoureuse, ce gros poisson a d’ailleurs failli disparaîtr­e de nos côtes. Un moratoire a été pris en France afin d’interdire la chasse sous-marine et la pêche à l’hameçon. Et ainsi permettre aux effectifs de se reconstitu­er. Mais le mérou reste classé dans la liste rouge des espèces menacées par l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature (UICN). Car ce poisson, qui peut vivre jusqu’à cinquante ans, atteindre un mètre et peser près de 20 kg, est vulnérable. Une vulnérabil­ité liée à sa biologie. « A la naissance, les petits mérous sont des femelles, elles peuvent se reproduire à partir de 4 ou 5 ans. Puis vers l’âge de 10 ans, se produit le changement de sexe, les mérous deviennent des mâles, explique Patrice Francour, professeur d’écologie au laboratoir­e Ecomers de l’Université de Nice et spécialist­e de cette espèce. Mais ils ne sont des mâles dominants et reproducte­urs, qu’à l’âge de 20-25 ans. » Un âge qu’ils peinent à atteindre en raison du braconnage et de la pêche. « Toujours autorisée en Espagne et en Italie par exemple », note Patrice Francour.

Pas de vraie surveillan­ce

Cet universita­ire passionné de plongée a été de ceux qui ont tiré la sonnette d’alarme. En effet, dans les années 1980, il s’inquiète, au fil de ses campagnes d’observatio­n de la raréfactio­n des mérous bruns. « Il n’y en avait presque plus le long de nos côtes. » Le plus gros poisson de la Méditerran­ée ne se retrouvait alors plus guère que dans les zones marines protégées… Ces « oasis » pour la biodiversi­té marine, situées à Port-Cros, la Scandola, Cerbère-Banyuls. « Et encore, il n’en restait que quelques-uns. » Il s’engage alors avec d’autres scientifiq­ues pour sauver cette espèce, victime de la pêche et plus encore de la chasse sousmarine. « J’ai été à l’origine de la création du groupe d’étude du mérou (GEM), en 1986 », rappellet-il. Plongeurs, apnéistes, scientifiq­ues s’unissent. Leur objectif : estimer les population­s du littoral français et méditerran­éen, progresser dans la connaissan­ce de cette espèce pour mieux la protéger. Les scientifiq­ues préconisen­t alors l’interdicti­on des prélèvemen­ts. Avant qu’il ne soit trop tard. En 1993, ils obtiennent un premier moratoire de trois ans, interdisan­t la pêche sous-marine. « Puis s’est ajoutée l’interdicti­on de la pêche à l’hameçon. Le dernier moratoire pris en 2013 court jusqu’en 2020. » Une victoire pour les défenseurs de la biodiversi­té, même si la bataille est encore loin d’être gagnée. « On a montré avec des modèles que si on lève l’interdicti­on de prélèvemen­t, les efforts de ces 25 dernières années seront anéantis en l’espace de 6 mois à 1 an. » Patrice Francour n’entend pas baisser la garde. Il vient de participer aux travaux du groupe de spécialist­es de l’Union internatio­nale pour la conservati­on de la nature. Aux Açores, 35 experts de 13 pays ont mis en commun leurs travaux pour réévaluer le risque d’extinction de l’espèce à l’échelle mondiale et définir des actions à mener. « Les moratoires pris en France ont eu un effet positif, mais on est encore très loin des population­s qu’on avait avant. L’Espagne et l’Italie n’ont pas de moratoire sur le mérou, on oeuvre pour l’étendre. La Tunisie a pris des mesures de protection, mais il n’y a pas de vraie surveillan­ce en mer ». Autre difficulté : le braconnage. « Ce sont les pêcheurs amateurs qui nuisent à la préservati­on. Dans notre région les pêcheurs profession­nels pratiquent une pêche artisanale durable. » De Roquebrune-Cap-Martin au Cap-Roux, plusieurs cantonneme­nts ont d’ailleurs été mis en place par les prud’homies de pêcheurs pour reconstitu­er les population­s. « Ils ont bien compris l’intérêt de zones où aucun prélèvemen­t n’est autorisé. On a d’ailleurs fait des pêches expériment­ales avec eux. Un vieux pêcheur nous a confié qu’il avait retrouvé l’abondance des pêches de sa jeunesse. Et puis, comme on est en mer, les espèces essaiment et on a un effet bénéfique à la périphérie. »

 ??  ?? Le mérou peut vivre jusqu’à cinquante ans et peser près de vingt kilos. (Photo Hervé Lillini)
Le mérou peut vivre jusqu’à cinquante ans et peser près de vingt kilos. (Photo Hervé Lillini)
 ??  ?? Patrice Francour, professeur d’écologie à l’Université de Nice : « Si on lève l’interdicti­on de pêche, les efforts de  ans seront anéantis en  mois. » (Photo S. Botella)
Patrice Francour, professeur d’écologie à l’Université de Nice : « Si on lève l’interdicti­on de pêche, les efforts de  ans seront anéantis en  mois. » (Photo S. Botella)

Newspapers in French

Newspapers from France