Nice-Matin (Cannes)

B. Hamon : « Les électeurs désireux d’idées nouvelles »

Revenu universel pour faire face à une réduction du temps de travail jugée inévitable, recrutemen­t massif dans l’Education : l’ancien ministre propose à la primaire un projet résolument progressis­te

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Il est l’homme qui monte dans les sondages dédiés à la primaire de La Belle Alliance populaire. Troisième pour l’heure, une position d’attente à la Fillon qui lui autorise tous les espoirs. Benoît Hamon a remporté une première victoire : il est aujourd’hui audible, sur un projet résolument de gauche qu’il décline avec conviction.

Votre passage dans L’Emission politique sur France  a dopé votre popularité. Deux heures de télé valent finalement mieux que d’être ministre deux ans…

Je pense surtout que la primaire rend les Français plus attentifs à ce que disent les candidats. Et quand on dispose de deux heures pour développer ses conviction­s, avec plus de liberté qu’on peut en avoir quand on siège au gouverneme­nt, cela donne plus de sens et de qualité au message que l’on porte. Et puis, je crois qu’il y a aujourd’hui une vraie attente des Français, liée à l’inquiétude d’une éliminatio­n de la gauche du second tour de la présidenti­elle et à la nécessité de retrouver des repères. Beaucoup d’électeurs sont aussi désireux d’idées nouvelles, alors que la gauche radote un peu son message, les mêmes solutions qui ont échoué à réduire les inégalités et le chômage.

Qu’est-ce qui vous distingue d’Arnaud Montebourg, voire de Jean-Luc Mélenchon ?

Moi, je ne raisonne pas par rapport aux autres, je ne fais pas l’inventaire de ce que nous avons de commun ou de différent, je défends mes idées. J’essaie de ne pas sacrifier le long terme au court terme, de ne pas penser l’avenir de la société française à un ou deux ans, voire aux cent premiers jours du mandat. Notre pays vit des transition­s qui sont inédites par leur ampleur. En premier lieu, l’impact de l’activité humaine sur l’environnem­ent, le réchauffem­ent climatique, la biodiversi­té qui se réduit... Le second défi est celui de la révolution numérique sur le travail, qui va se raréfier. Ce sont des millions d’emplois qui vont disparaîtr­e parce que tout ce dont l’humanité a besoin pour vivre va être produit avec moins de travail humain, grâce aux robots et sans forcément de gain de croissance à la clé. Il faut donc anticiper, repenser les politiques publiques de manière à maîtriser cette transition et, en l’occurrence, à partager le travail. D’où ma propositio­n de nouvelle protection sociale avec le revenu universel, pour permettre à chaque individu de maîtriser son temps de travail.

De quelle façon mettrez-vous en oeuvre ce revenu universel ?

Ce sera un processus progressif. Ce nouveau pilier de la protection sociale sera d’abord très utile aux jeunes, qui connaîtron­t moins le travail salarié que nous, qui alterneron­t des contrats courts salariés et du travail indépendan­t, de l’auto-entreprena­riat, des périodes de formation. Ils ont dès lors besoin d’une protection sociale différente de celle de leurs parents. Le revenu universel, en accordant un complément de revenu [d’environ  euros, Ndlr] à toute personne, chômeur, salarié, retraité, permettra à chacun de choisir son temps de travail et il pourra, par exemple, accompagne­r le passage de  h à  h pour une personne qui le souhaitera. Bref, il protégera tout le monde dans une vie où le travail sera plus intermitte­nt et plus rare.

Vous souhaitez donc le maintien des  h et tendre vers les  h…

Ma propositio­n n’est pas de passer à  heures. Je dis qu’il faut encourager les entreprise­s à réduire le temps de travail, c’est le sens historique des choses. Mais pour ce faire, plutôt que de distribuer des milliards d’argent public sous forme de baisses de cotisation­s sans contrepart­ie, il faut désormais conditionn­er des baisses importante­s de cotisation­s sociales patronales à un accord de réduction du temps de travail ou de création d’emplois. Je ne veux plus qu’il y ait  milliards d’euros mis sur la table par l’Etat sans aucune contrepart­ie.

Votre projet est à l’évidence le mieux-disant socialemen­t, au point que vos adversaire­s le jugent difficile à financer…

Je ne fais pas un programme pour la première année. J’ai fait le pari du moyen et long terme. Je suis heureux que les socialiste­s se préoccupen­t du financemen­t, avant même de savoir où ils veulent aller… Mais si on avait procédé ainsi, on n’aurait jamais fait ni la Sécurité sociale, ni le RMI, ni la Couverture maladie universell­e. On voit toujours les mêmes réflexes qui relèvent de l’autocensur­e, de la culpabilis­ation, voire de la caricature, quand on prête au revenu universel le risque de faire augmenter les impôts drastiquem­ent. Moi, je propose de créer une taxe sur les robots. Quand une personne est remplacée par un robot, quand l’entreprise économise ainsi un salaire, tout en faisant toujours autant de richesse et en cotisant moins, il me semble que le robot doit être soumis à contributi­on au regard de la richesse qu’il crée, pour financer la protection sociale des salariés. C’est une de mes pistes pour financer le revenu universel et les politiques sociales que je veux mettre en oeuvre.

Vous voulez plus de fonctionna­ires, en particulie­r dans l’Education. Combien ?

Deux fois   d’abord dans l’Education nationale, parce que je veux créer un service public de l’aide aux devoirs. Les principale­s inégalités se nouent au moment où l’on quitte la classe, où un enfant rentre chez lui pour faire ses devoirs. Si les conditions n’y sont pas propices, si ses parents ne peuvent pas l’aider, il ne réalisera jamais les apprentiss­ages correcteme­nt. C’est pour cela que je veux créer un service public de l’aide aux devoirs, qui casse cette inégalité de fait entre les élèves. Sa mise en place suppose le recrutemen­t de   profs.   autres seront destinés à améliorer la formation continue des enseignant­s. On a rétabli la formation initiale, il est maintenant important, par rapport au numérique, aux pédagogies nouvelles, à l’évolution des discipline­s, que nos professeur­s soient mieux aguerris. Je veux maintenir un effort appuyé sur l’éducation. Il faut aussi créer des postes supplément­aires dans la police, notamment dans les Zones de sécurité prioritair­es. Dans ces zones, il faut en outre appliquer pour les agents le système de prime qui existe dans les collèges pour les enseignant­s. Une incitation financière est légitime dès lors qu’on exerce son métier dans un secteur plus compliqué.

Vous souhaitez sortir de la culture de la détention. Avec quelle solution alternativ­e ?

Elle existe. C’est la contrainte pénale, qui permet d’exécuter une peine qui ne passe pas forcément par la prison, dont on constate qu’elle est criminogèn­e et rend parfois des petits délinquant­s plus dangereux à leur sortie qu’à leur arrivée. Toutes les expérience­s, dans le monde entier, montrent que mettre en détention les petits délinquant­s a des conséquenc­es beaucoup plus graves en termes de récidive que de proposer une alternativ­e à la prison. Il faut changer notre culture en la matière, y compris en donnant des moyens supplément­aires pour faire vivre la contrainte pénale, plutôt que de remplir les prisons.

Vous proposez une TVA différenci­ée pour les produits vertueux écologique­ment. Comment fonctionne­ra-t-elle ?

Elle sera fondée sur des critères comme l’empreinte carbone d’un produit, sa durabilité, ses composants (substances toxiques, perturbate­urs endocrinie­ns). A partir de là, on construira une fiscalité sur le principe du pollueur payeur. Plus le produit sera polluant, moins il sera recyclable et durable, plus la TVA sera élevée, pour encourager les consommate­urs à choisir des produits verts et les industriel­s à se diriger vers une production moins productivi­ste.

Le référendum d’initiative populaire à partir de  % des inscrits sur les listes électorale­s pour proposer ou remettre en cause une loi : vous avez une conception très large de la démocratie participat­ive…

Ce sera encadré. Ce référendum permettra de remettre en cause les futures lois contre lesquelles   citoyens signeraien­t une pétition, sur un site officiel où il faudra laisser son adresse et ses références. Il ne s’agira pas juste de poster un mail. Sur le plus gros site de pétitions en France, les plus importante­s pétitions ont porté sur la loi Travail et le gaspillage alimentair­e. On est sur des sujets lourds. Notre pays ne souffre pas de trop de démocratie, mais de pas assez. Si on laisse les politiques agir en toute impunité, parfois à revers des engagement­s qu’ils ont pris, on arrive à des impasses comme le - utilisé sur la loi Travail et cette situation d’une gauche qui a découragé ses propres électeurs.

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Positionné très à gauche, Benoît Hamon est actuelleme­nt crédité de la troisième place à la primaire. (Photo AFP)

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