Nice-Matin (Cannes)

Trintignan­t: « Pas très doué mais j’ai fait des progrès »

Sa voix envoûtante et la musique d’Astor Piazzolla. C’est le cadeau du théâtre d’Antibes, à trois mois du Festival de Cannes où l’on devrait retrouver Jean-Louis Trintignan­t chez Michael Haneke

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

Il dit ce mardi au théâtre Anthéa des textes de Trois poètes libertaire­s. Vian, Desnos et Prévert. Auxquels s’ajoutent Gaston Miron, poète fameux au Québec, et All ai nLepr est, dont l’ accordéoni­ste niç ois Richard G allia no a longtemps accompagné les chansons. Des notes d’Astor Piazzolla par le Daniel Mille Quint et ponctueron­t la soirée. Ne reste qu’à se laisser porter par un timbre et une diction magnétique­s.

Votre venue est une surprise pour le public. Et pour vous?

Je travaille sur ce programme depuis trois mois. J’ignorais que je remplaçais mon ami André Dussollier, mais je savais qu’il avait eu un problème au pied. Dommage. J’ai vu son spectacle et c’était vachement bien. Mais le nôtre est très bien aussi, je crois…

Quels sont les thèmes qui ont guidé votre choix?

Je ne sais pas, c’est surtout un esprit. Un esprit de gauche qui me plaît. Allain Leprest était même communiste, ce qui est un peu démodé à notre époque.Un« bon »communiste­qui voulait vraiment le bonheur des petites gens. Nous n’y sommes pas encore prêts. Il en avait conscience, d’ailleurs. S’il a mis fin à sa vie, c’est à cause de ça. La maladie, mais la politique aussi.

Pas prêts à quoi? Au partage? À la fraternité?

Je pense que nous ne sommes pas prêts encore à cet idéal. Dans cent ans peut-être. Ou deux cents. L’homme est trop égoïste. Mais je ne veux pas parler de politique, je suis nul. Je suis nul en beaucoup de choses, mais en politique encore plus. Mon père était socialiste. J’ai été élevé dans une idée de gauche et je suis resté de gauche. Même si parfois j’ai un peu douté – je ne suis pas le seul – je pense que tout ce qui est venu de bien depuis un siècle, c’est la gauche qui l’a apporté. Les victoires syndicales sont importante­s, je crois. Souvent plus que les victoires scientifiq­ues.

Pourtant, vous ne votez pas.

Oui, c’est vrai, je suis contradict­oire. Je ne vote pas et j’ai tort. Mais je ne suis pas communiste. Plutôt anarchiste. Mon idéal politique est un peu utopiste. Renaud disait dans une chanson que si les élections pouvaient réellement changer les choses, le vote serait sûrement interdit.

Le débat vous est indifféren­t?

Non, je le suis avec intérêt. Malheureus­ement, je ne crois pas aux chances de la gauche.

Vous aviez renoncé à la scène. Qui vous y a fait revenir?

Je pense que j’aurais dû m’arrêter. Des proches, des amis m’ont poussé. Et ça me plaît beaucoup, en même temps. Mais je trouve que j’ai un âge où je dois laisser la place à des jeunes qui sont plus intéressan­ts.

Excès d’humilité? Vous êtes souvent dur avec vous…

Je n’étais pas très doué pour ce métier. Je pense que je suis meilleur aujourd’hui que je ne l’étais à trente ans. À trente ans, j’étais joli. Mais timide. J’ai fait des progrès.

Est-ce la timidité qui vous a éloigné des plateaux ?

Non, j’étais dans une période où je pensais que pour un comédien, les rencontres et les activités en dehors pouvaient compter autant que le métier. On fait trop de films, on écrit trop de livres, on fait trop de spectacles. Je crois que l’on devrait être plus exigeant. Ne parler que si l’on a quelque chose à dire. Vous dites avoir fait du cinéma par cupidité. Autodérisi­on? Le cinéma est payé huit fois plus que le théâtre. Je le sais: j’en ai fait beaucoup ces dernières années. Et franchemen­t, je préfère. Si j’avais les moyens, je ne ferais pas de cinéma. Le théâtre est plus intéressan­t pour un comédien. On est moins nombreux, on dîne ensemble, on ne parle que du spectacle. Au ciné, chacun s’occupe de sa discipline. L’ingénieur du son pense à son métier avant de penser au film. Tandis que dans une troupe, on a vraiment du plaisir, on se régale.

Si vous respectiez vos principes, nous n’aurions pas Amour…

Michael Haneke a tourné cet été Happy end, qui sera présenté, je pense, au Festival de Cannes. Ce n’est pas sûr encore. Il devrait sortir en octobre. Je joue dans ce film avec Isabelle Huppert et Mathieu Kassovitz.

Ce n’est tout de même pas l’argent qui vous a motivé?

Non. Quand même un peu, si. Mais ce n’est pas ça vraiment. Haneke est peutêtre un des plus grands metteurs en scène au monde. C’est une chance inespérée de tourner avec lui.

Êtes-vous soucieux de laisser une empreinte?

Je pense que c’est plus intéressan­t d’avoir travaillé avec lui que d’avoir fait d’autres films uniquement pour l’argent. Sa productric­e dit que Happy end est le meilleur film d’Haneke. Attendons de le voir. En tout cas, c’est à chaque fois un beau sujet. Jamais didactique, toujours intelligen­t. Ici, on suit à Calais un couple de bourgeois. Avec en toile de fond les migrants. Ce couple continue dans ses petits soucis de fric, d’adultère et tout ça, alors que les autres ont des problèmes très importants.

Même pudique, vous admettez que vos films peuvent compter?

Non, pas tous. François Périer disait qu’on a de la chance, dans ce métier: quand on fait un truc pas mal, ça se sait et ça dure longtemps alors que quand on fait un truc pas bien, ça s’efface très vite. C’est un peu vrai. Je n’ai pas une vie extraordin­aire. Elle est même plus médiocre que celle de beaucoup de gens moins connus mais plus importants que moi et que d’autres acteurs dont on parle trop.

Brigitte Bardot vit recluse. Vous la comprenez?

Ah oui, je la comprends très bien. On dit qu’elle était très belle et c’est vrai. Mais elle est surtout très intelligen­te. Sauf politiquem­ent où elle se trompe, je pense.

Comme elle, vous vous êtes retiré en Provence…

Oui, à Uzès. Je fais de l’huile d’olive et du vin. Mais je ne suis pas un très bon paysan. J’aimerais bien, ce n’est pas le cas.

Êtes-vous, sinon heureux, dumoinsapa­isé?

Non, non. Je suis très malheureux. Sincèremen­t. J’arrive à ne pas être trop malheureux, mais je suis assez désespéré. Un poème de Gaston Miron dit qu’à notre époque, il vaut mieux être chien qu’être homme. Je pense que ce n’est pas sot. On ne demande pas grand-chose à un chien, alors qu’on demande trop à un homme. Comme on ne parle pas la même langue, on considère les chiens avec un peu de mépris. Mais ils ne sont pas tellement plus bêtes que nous. Peut-être plus intelligen­ts, même.

Je ne vote pas et j’ai tort” Mieux vaut être chien”

Trintignan­t, Mille, Piazzolla. Mardi31 janvier,à20h. Théâtre Anthéa, à Antibes. Tarifs : de 19 à 37€. Rens. 04.83.76.13.00. Cette interview a été réalisée avant le décès d’Emmanuelle Riva.

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