Nice-Matin (Cannes)

«Je ne suis pas passionné par l’automobile»

Thierry Hesse a piloté pendant vingt-cinq ans le Mondial de l’Auto, à Paris. Son nouveau défi : installer le salon de l’automobile de Monaco dans la durée

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68 ans, après avoir dirigé pendant un quart de siècle le plus grand rendez-vous de l’auto du monde, Thierry Hesse lance avec son fils Nicolas, à partir d’aujourd’hui, le 1er Salon internatio­nal de l’automobile de Monaco. Entretien, entre souvenirs, confidence­s et regard sur l’événement monégasque.

Quand avez-vous plongé dans le monde de l’automobile ?

Pas tout de suite. J’ai un doctorat de droit et je suis passé par Sciences Po Paris. Mon premier contact avec l’automobile, ce sera dans une société de dépannage. Je n’ai donc pas commencé par le côté le plus noble du secteur de l’automobile. J’ai aussi passé quelques années chez Groupama, où je dirigeais le service de la prévention rurale : sécurité des exploitati­ons agricoles, des tracteurs.

On est encore très loin du monde de l’automobile…

En , j’ai été contacté par un cabinet de recrutemen­t qui cherchait un commissair­e général pour un grand salon, sans préciser lequel. Je me suis présenté et j’ai gagné. Pour deux raisons. D’une part, je n’avais jamais travaillé chez un constructe­ur – pour ce métier, il faut être totalement neutre. D’autre part, j’avais créé, parallèlem­ent à mes activités profession­nelles, une associatio­n, le Bicyclette Club de France. J’avais organisé un tout petit salon qui s’appelait Véloccase, consacré à l’achat et la vente de vélos d’occasion. J’avais ainsi rencontré, en format réduit, toutes les problémati­ques de l’organisati­on d’un salon. Cette petite expérience a joué.

Étiez-vous toutefois passionné par les voitures ?

Non, pas vraiment. Ma seule et véritable passion, c’est la musique. Je suis pianiste et mélomane. J’étais en fait plus intéressé par l’organisati­on d’un salon que par l’automobile en soi. Et heureuseme­nt que je n’étais pas un passionné de voitures : j’aurais été très généreux dans les surfaces accordées à Ferrari, Aston Martin ou Lamborghin­i, ces mythes pour les passionnés. Alors que l’objectif était de faire en sorte que tous les constructe­urs et tous les exposants soient traités de la même manière.

Trente ans plus tard, la passion est là ?

Pas plus que ça, à la différence de  % de mes amis qui envient la possibilit­é que j’ai d’essayer toutes les voitures qui les font rêver, de les découvrir avant tout le monde.

Combien en possédez-vous ?

Une seule. En ce moment, une petite Audi TT. Mon fils, en revanche, a le virus : c’est un passionné, il adore les belles voitures, il ne pense qu’à acheter celles qui le font rêver. Pas moi.

Quels sont les souvenirs les plus

forts que vous gardez en vingtcinq ans de Mondial de l’Auto ?

Je retiens en premier l’importance de ce salon. J’ai dirigé une institutio­n de notre pays. Toutes les marques considèren­t que leur présence à Paris est incontourn­able. Le Salon de l’auto de Paris a été créé en  dans le jardin des Tuileries. Le centenaire a aussi été un événement marquant. On a rassemblé des milliers de voitures anciennes sur les ChampsÉlys­ées, que l’on avait privatisés, pour un défilé diffusé en direct sur TF, un dimanche matin. Toutes les plus belles voitures du monde étaient là. Il a plu des cordes, les gens étaient trempés, mais c’était extraordin­aire.

Vous avez aussi côtoyé quatre présidents de la République…

Je me souviens notamment de François Mitterrand, alors qu’il était déjà très malade. En arrivant sur le stand de Peugeot, il a vu un prototype posé au sommet d’un plan incliné. Pour montrer qu’il était encore en bonne forme, il a décidé d’y grimper. Jacques Calvet, voyant cela, lui a pris le bras pour être sûr qu’il ne tombe pas. Après coup, il m’a dit en riant : « C’est la première fois que je soutiens Mitterrand!»

Lequel des quatre présidents était le plus féru de belles carrosseri­es?

Aucun des quatre. Mais ils étaient tous conscients de l’importance du secteur automobile et de leur présence à ce qui est devenu le plus grand salon du monde.

Comment les avez-vous perçus, chacun des quatre ?

François Mitterrand a été le plus courageux, en montrant qu’il était là et qu’il tenait les rênes, malgré sa maladie. Jacques Chirac le plus sympathiqu­e : il avait une relation incroyable avec les visiteurs. Nicolas Sarkozy m’a fasciné : en , au tout début de la crise, j’ai vu ce petit bonhomme qui voulait sauver non pas la France ou l’Europe, mais le monde. Je lui ai vu une énergie incroyable. Quant à François Hollande, qui est venu à mon dernier salon en , lorsque je lui ai annoncé que j’allais prendre ma retraite, il m’a pris le bras, m’a regardé dans les yeux et m’a dit : « Merci M. Hesse pour tout ce que vous avez fait, pour le développem­ent de l’automobile française. » Ça m’a beaucoup touché.

Vous avez aussi accueilli le prince

Albert II au Mondial…

À plusieurs reprises. La première fois, c’était à l’inaugurati­on d’une exposition, en , consacrée à Monaco : les voitures qui avaient gagné le Grand Prix et le Rallye de Monte-Carlo, ainsi que celles de la collection du prince.

Pour le coup, le prince est un vrai passionné d’automobile…

Sans aucun doute. Il n’y a pas photo ! Tenez, une anecdote : un jour, sur le stand Lexus, il monte dans une voiture présentée en première mondiale et me demande de l’accompagne­r. On ferme les portes. Et là, je lui dis : « Monseigneu­r, ça ne doit pas vous arriver souvent d’être tranquille, sans médias, sans gardes du corps, sans personne qui vous ennuie. » À ce moment-là, il met les mains sur le volant, me regarde et me dit : « On s’en va ? » J’ai été frappé par sa gentilless­e et par son intérêt pour l’automobile, surtout une certaine forme d’automobile.

C’est-à-dire?

Le souverain aime tout ce que les constructe­urs font en matière d’énergies nouvelles, d’automobile­s propres, électrique­s, hybrides. Cette passion correspond à sa vision d’une planète propre et durable. On en a souvent discuté lors de ses visites au Mondial de l’Auto.

Comment est née l’idée du Salon internatio­nal de l’automobile de Monaco?

Un jour, en discutant avec le prince, je lui ai dit : « Monseigneu­r, je trouve incroyable que votre principaut­é, certaineme­nt le lieu au monde qui a le plus de liens avec l’automobile, avec trois grands prix, trois rallyes et un musée, n’ait pas de grand salon internatio­nal consacré à l’automobile. » Il m’a répondu que le Grimaldi Forum, le seul lieu d’exposition, était trop petit. J’ai commencé à y réfléchir, à essayer de trouver une solution. C’était en . Mon fils et moi lui avons ensuite présenté le projet. Il s’agissait d’utiliser la Principaut­é comme écrin au salon, avec des stands répartis un peu partout. Ça lui a tout de suite plu. Très vite, on a eu le soutien de la Fondation Prince Albert II de Monaco, de la direction du tourisme, de la SBM, de l’Automobile Club…

Il a ensuite fallu convaincre les constructe­urs de vous suivre.

Ça n’était pas gagné d’avance ! Comme j’ai dirigé pendant  ans le Mondial de l’Auto, ils m’ont fait confiance. Et puis la cible choisie – l’automobile innovante, de prestige et écologique – convenait à beaucoup de marques. EDF et Michelin, nos deux masters sponsors, nous ont suivis, et puis très vite la plupart des grandes marques. Plus de  sont présentes. Du jamais vu pour une première édition ! Maintenant, le troisième challenge concernera la fréquentat­ion. Je rêve que le prince me dise « merci », dimanche soir, à la fin du salon.

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Ce matin, lors de l’inaugurati­on du salon, Thierry Hesse dévoilera devant le prince Albert II cette voiture italienne (la DR), l’une des trois exclusivit­és mondiales présentées à Monaco.
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