Nice-Matin (Cannes)

Aide à une famille soudanaise : « C’était la seule chose à faire » « Une condamnati­on serait injuste »

Face au tribunal d’Imperia, hier, le Cagnois Félix Croft a expliqué pourquoi il avait pris des réfugiés à bord de sa voiture à Vintimille. Echanges parfois crispés pour ce premier procès du genre en Italie Sursis pour Cédric Herrou : le parquet fait appel

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

J’ai agi dans le cadre de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Ce que je pense être le cadre de la légalité européenne... » Comme un symbole, c’est sous les drapeaux italien et européen, aux portes du palais de justice d’Imperia en Ligurie, que Félix Croft se présente face aux caméras hier. Le Cagnois de 28 ans semble éprouvé par deux heures et demie d’audience, où l’accusation ne l’a pas ménagé. Il reviendra le 16 mars écouter les réquisitio­ns du ministère public et plaider sa cause. Il encourt 5 à 15 ans de prison. Pour la première fois, un tribunal italien juge un « bénévole humanitair­e », comme se définit Félix Croft. Après deux renvois successifs, entouré de ses avocates Laura Martinelli et Emilia Ferrante. il a pu expliquer pourquoi il avait pris cinq membres d’une famille soudanaise à bord de son break Citroën, le 22 juillet 2016, à Vintimille. « A l’époque, je m’y rendais régulièrem­ent pour aider les bénévoles. On m’a parlé de cette famille qui vivait à l’église. On a décidé avec ma copine d’aller les voir. Notre aide était simplement morale, raconte Félix Croft, assis face au tribunal, relayé par l’interprète. Le tribunal correction­nel de Nice avait condamné le  février Cédric Herrou,  ans, porte-drapeau des habitants de la Roya qui viennent en aide aux migrants, à  € d’amende avec sursis. La justice reprochait à cet agriculteu­r militant d’avoir aidé à l’entrée et au séjour d’étrangers en situation irrégulièr­e. Le prévenu avait été relaxé pour l’occupation illégale d’un centre de vacances désaffecté de la SNCF à SaintDalma­s-de-Tende. Le parquet de Nice, par la voix du procureur de la République Jean-Michel Prêtre, a annoncé hier qu’il interjetai­t appel de ce jugement. Lors du procès, le  janvier, le parquet avait requis huit mois de prison avec sursis Au début, je ne répondais pas quand ils me demandaien­t de les emmener. Puis ils m’ont dit qu’ils n’avaient plus un rond. Que la maman était enceinte. L’élément déclenchan­t, c’est la brûlure tout le long du flanc du petit... Cette vision a corroboré leur histoire. A partir de là, il m’est apparu que dans ma position, il y avait une seule chose à faire. »

Mis sur le gril

Félix Croft sera interpellé vers 22 h 15, sur la bretelle d’accès à l’autoroute en direction de Nice. « Il s’est tout de suite arrêté », attestent les deux carabinier­i qui l’ont interpellé. Mais la vice-procureure Maria Grazia Pradella, rompue aux affaires sensibles, presse de questions le jeune Cagnois. « Qui vous a dit cela ? » « Pourquoi cette famille en particulie­r ? » « Comment pouviez-vous savoir qu’elle était enceinte ? » Sur le gril, Félix Croft, bien que calme, finit par s’agacer et manier l’ironie : « Les deux Opinel à bord ? C’est parce que j’aime manger du lonzo !» Et de répliquer sur un autre terrain : « Je suis aussi au courant que, malheureus­ement, beaucoup de migrants refusent de demander de l’aide pour des raisons politiques... » Les témoins successifs brossent un tableau peu reluisant de l’aide aux migrants à Vintimille. De quoi sensibilis­er le tribunal présidé par Donatella Aschero ? Les juges italiens s’inspireron­t-ils des peines clémentes tombées en France ? Début de réponse à la prochaine audience. « Solidari con te Félix ». « Solidaires avec toi Félix ». En italien ou en français, la solidarité s’exprime sans frontières, hier, au palais de justice d’Imperia. Proches, militants associatif­s, citoyens révoltés : près de quatre-vingts personnes sont venues soutenir Félix Croft. « Je suis venu parce que c’est mon neveu. Mais aussi parce qu’il risque une condamnati­on complèteme­nt injuste, estime Jacques Carini, Cagnois de  ans. Porter assistance à des gens ne devrait pas être réprimandé ! Sinon, on va se méfier de tout le monde... » Venue à titre personnel, Cathie Lipszyic, d’Amnesty Internatio­nal Nice, rappelle la position de l’associatio­n en la matière : « Toute aide, quelle qu’elle soit, ne devrait pas être traduite en justice. Le délit de solidarité n’existe plus depuis . Ce qu’il a fait ne mérite pas la prison ni rien du tout ! » De l’autre côté des Alpes, le cas de Félix Croft interpelle également. « Il commence à y avoir une prise de conscience des Italiens, un mouvement qui grandit, assure Elena Elia, vice-présidente de l’associatio­n Mico à Cuneo. En travaillan­t avec les migrants, nous constatons les dysfonctio­nnements du système actuel. Or ces personnes fuient la guerre et la pauvreté. Ceux qui les aident ne peuvent donc être considérés comme illégaux. » Lamine, du mouvement Arti Migranti, soutient lui aussi le Français « parce qu’il a fait une belle chose. Il a agi par simple humanité. »

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(Photos C. C.) Félix Croft à sa sortie du tribunal d’Imperia, hier après-midi. « Solidaires avec toi Félix » : près de  citoyens et militants associatif­s sont venus soutenir le jeune Azuréen.
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